Publié le 6 juillet 2015 à 16h30 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h19
Stop ! Chef d’œuvre… Au cinquième soir du Festival la chaleur et l’émotion sont montées d’un cran au Grand Théâtre de Provence. A l’affiche «Iolanta», l’ultime opéra composé en 1892, un an avant sa mort, par Tchaïkovski ; chant du cygne, testament lumineux posé sur la partition par le compositeur. «Iolanta», c’est l’histoire de la fille du Roi René, oui, celui dont la statue se trouve en haut du Cours Mirabeau à Aix-en-Provence. La pauvre enfant est aveugle et on lui cache sa cécité sous peine de mort pour qui la lui révèlera. Promise dès sa plus tendre enfance à Robert de Bourgogne elle va trouver l’amour auprès de Vaudémont qui, dans la foulée, l’informera de son handicap. Et elle recouvrera la vue grâce aux soins du médecin maure Ibn-Hakia qui ne pouvait la soigner que si elle était consciente de son état… Un acte unique pour cette pièce, près de deux heures d’une musique idéalement construite qui prends aux tripes et au cœur, s’achevant sur un final extatique aux accents de liturgie orthodoxe. On sort de là électrisés et émus, parfois aux larmes, tant la densité de la représentation est importante. Il faut dire que le travail de mise en scène de Peter Sellars atteint ici le génie. Le dispositif scénique créé par George Tsypin se résume à quatre chambranles surmontés de blocs minéraux monumentaux et étranges qui rappellent une tête d’oiseau, un crâne… Dans cet environnement, Sellars va jouer avec les lumières et les couleurs sur les cyclos de scène. Il va surtout concentrer l’attention des spectateurs sur l’action et sur les liens qui unissent les protagonistes. Un travail rigoureux, d’une extrême précision, qui procure toute sa puissance émotionnelle à la pièce. Du très grand art et la preuve définitive que Peter Sellars est un directeur d’acteurs géant malgré ses airs de lutin espiègle. Pour faire vivre «Iolanta» il y a, tout d’abord, un orchestre de l’Opéra national de Lyon au top niveau sous la direction de Teodor Currentzis. De la première à la dernière note, l’interprétation est sensible, colorée, nuancée, tour à tour emplie de puissance puis de douceur. Il y a aussi le chœur de la maison lyrique lyonnaise. Un ensemble vocal de très haut niveau, quasiment bouleversant au final. Du côté des solistes, c’est Ekaterina Scherbachenko qui incarne Iolanta. Sa sensibilité, sa fragilité et sa beauté n’ont d’égales que la précision et le timbre idéal de sa voix. On a envie de la prendre dans ses bras, de la protéger, de l’aimer. Ce que faire son père, le Roi René, incarné par Dmitry Ulianov. Vous en voulez de la basse ? Il en a à revendre. Quelle puissance, quelle ligne de chant, son arioso «Seigneur si j’ai péché» fait tomber les premières larmes dans la salle; l’émotion est à son comble. L’autre «protecteur» de Iolanta, c’est celui qui va en tomber amoureux sur un coup de foudre : Godefroy Vaudémont incarné par Arnold Rutkowski, un bon comédien, une voix solide. Des qualités qui sont aussi celles de Maxim Aniskin qui interprète Robert de Bourgogne. Quel bonheur, enfin, de retrouver sur cette scène Sir Willard Wentworth White lui qui fut, ici même, Wotan il y a quelques années pour l’ouverture du Grand Théâtre de Provence. Il confère au rôle de Ibn-Hakia une prestance et une majesté remarquables. Au passage, et cela mérite d’être souligné dans le contexte ambiant, le fait que ce soit un médecin maure qui soigne et guérisse Iolanta rappelle que la civilisation arabo-musulmane était, autour de l’an mil, brillante et en pointe dans de nombreux domaines dont ceux de la médecine et de l’optique. Les autres membres de la distribution: Vasily Efimov, Pavel Kudinov, Diana Montague, Maria Bochmanova et Karina Demurova ont aussi participé grandement à la réussite de cette production qui restera dans les anales du Festival d’Aix au même titre que le miraculeux «Songe d’une nuit d’été» de Carsen, repris à l’Archevêché cette année, ou que «Le Rossignol» donné au GTP il y a cinq ans déjà. La question que l’on peut se poser après avoir assisté à «Iolanta» c’est de savoir s’il est judicieux de proposer «Perséphone», le mélodrame de Stravinski sur un poème d’André Gide. Rien ne concourt à apprécier à sa juste valeur cette deuxième œuvre, tout à fait différente, musicalement, émotionnellement, culturellement, de la première. La mise en espace de Sellars est certes intéressante, la participation de Dominique Blanc, Perséphone, idéale, celle de Paul Grove, Eumolpe, émouvante et celle des comédiens danseurs cambodgiens de la compagnie Amrita Performing Arts, spectaculaire, mais il est difficile, voire impossible d’entrer dans ce nouvel univers. Peut être faudrait-il inverser l’ordre de présentation ? Mais une chose est certaine : l’opéra «Iolanta» se suffit à lui-même.
Michel EGEA
Pratique. «Iolanta» et «Perséphone», au Grand théâtre de Provence. Autres représentations les 11, 14, 17 et 19 juillet à 19 heures. Informations et réservations au 08 20 922 923 et sur festival-aix.com – Tarifs de 30 à 250 euros. Le Festival informe que dans le cadre du plan vigipirate renforcé et à la demande de la sous-préfecture, une fouille visuelle de tous les sacs des spectateurs sera effectuée à l’entrée des lieux de représentation. Par ailleurs, aucune valise, sac à dos ou sac volumineux ne pourra être accepté à l’intérieur des sites. Afin de faciliter votre accueil, il est recommandé d’anticiper votre arrivée au théâtre. L’équipe de la boutique du Festival est à votre disposition pour toute précision soit par téléphone au 0820 922 923 (12cts€/min) soit à la boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, 13100 Aix-en-Provence (ouverte tous les jours de 10 heures à 19 heures en continu).