Publié le 16 juillet 2015 à 19h11 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h29
Que ceux qui jugent à tort Amélie Nothomb comme étant une écrivaine de seconde zone aillent écouter dans le cadre du off d’Avignon l’adaptation théâtrale que Gérald Aubert a fait de son roman «Barbe bleue». Ils y découvriront lors d’une pièce brillante où l’on ne s’ennuie jamais, un texte fort, puissant, des dialogues percutants ainsi qu’une vraie réflexion sur l’amour et la mort. Ils y entendront une langue extrêmement châtiée et y découvriront de vrais personnages fort peu théoriques même si ils font usage de puissants concepts pour communiquer au quotidien. Et pour les autres, les aficionados de Nothomb, cela les fera patienter en attendant la sortie en août prochain de son roman 2015 intitulé «Le crime du comte Neuville» où un homme sans nouvelles de sa fille consulte une certaine Rosalba Portenduère, voyante de son état, pour ce qui sera le début d’une descente aux enfers avec au centre la vente probable d’une maison de famille.
Barbe bleue au théâtre…disons-nous donc! Soit l’affrontement entre Saturnine Puissant, vingt-cinq ans, et le très peu recommandable don Elmirio Nibal y Milcar, bourgeois bien habillé de «quarante-quatre ans originaire du Kazakhstan», nous indique le roman, devenu sans doute au fil des mois un grand prédateur aux multiples victimes féminines. C’est lui qui a choisi Saturnine comme colocataire l’invitant dans sa vaste demeure à jouer les compagnonnes de vie. Toutes les libertés seront octroyées à la jeune femme, à l’exception d’une : celle d’ouvrir et de pénétrer dans une sorte de chambre noire où sont, paraît-il, enfermées des photos de femmes, ainsi qu’un lourd secret. Bien entendu l’intrépide Saturnine ne l’entendra pas de cette oreille, et commencera alors un duel dont l’issue est plus qu’incertaine. Pour adapter ce roman qui comme tous ceux d’Amélie Nothomb n’est pas sans rappeler «Le limier», le film de Mankiewicz, le dramaturge Gérald Aubert a privilégié la psychologie des personnages. Avec sobriété et intelligence. Signant la mise en scène, et interprétant un don Elmirio tout en élégance et perversité, Pierre Santini insiste sur le jeu des couleurs (notamment pour toutes les nuances de jaune de la robe de Saturnine si importante dans le récit) et rend à chaque objet la fonction symbolique particulière dessinée par Amélie Nothomb. Face à lui Charlotte Adrien demeure lumineuse et étincelante de bonheur de jouer. Ainsi on croit à cette histoire de loup et de brebis peu consentante à être dévorée. Un magnifique moment de théâtre. Une réussite qui prolonge celle de l’an dernier où dans «Fratricide» Pierre Santini donnait dans le Off d’Avignon en compagnie de Jean-Pierre Kalfon une autre pièce noire sur le duel de deux personnages antagonistes.
Jean-Rémi BARLAND
«Barbe Bleue» d’Amélie Nothomb, adapté par Gérald Aubert. Mise en scène de Pierre Santini. Avec Pierre Santini, Charlotte Adrien, Xavier De Guillebon dans le rôle du majordome. Théâtre des Carmes à Avignon à 18 heures – 6, place des Carmes. Réservations au 04 90 82 20 47