Publié le 19 juillet 2015 à 22h32 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h29
Saviez-vous que les rennes broutent le lichen se trouvant en masse sur le Transsibérien qui passe par la Lorraine ? Que ces mêmes rennes dévorent 42 kg d’agrumes par jour ? Et que les lapons se trouvent par centaines en Sibérie ? Saugrenu me direz-vous ? Eh bien c’est pourtant ce qu’affirma Ferdinand Faure devant l’examinateur de géographie durant son épreuve du baccalauréat se déroulant au Lycée Mignet d’Aix-en-Provence. Mais comme nous sommes en 1968, et que les temps sont difficiles, comme le chantait à l’époque l’anarchiste Léo Ferré, le prof accablé par tant de sottises va néanmoins, après suppliques savamment appuyées par ce candidat, lui permettre d’obtenir son diplôme. Non pas afin de poursuivre ses études mais, pour en finir justement avec examens et cours en tout genre. Son seul ardent désir étant de faire du théâtre. Car, Ferdinand a le goût des planches chevillé au corps et à l’âme, lui qui se voit en Gérard Philipe, souhaite embrasser une carrière d’acteur. Tout cela nous est relaté par sa mère la truculente Claudine Gautier qui, au passage, en profite pour régler ses comptes avec les prêtres ouvriers et sa fille Isabelle qui souille le parterre de la maison avec ses pataugas «pleines de morceaux de colline». Inarrêtable, inépuisable, insatiable de formules-choc, la vieille dame, fille de Marcel Gautier qui ne comprenait rien à la politique, se confie ici un œil sur son fils qui l’accable de ne pas envisager une carrière professionnelle conforme aux traditions familiales, et l’autre sur ses bouquins et notamment les romans de Malraux dont elle est friande. Elle disserte à tout vent y compris celui de l’Histoire rappelant non sans émotion quelques pages sombres de l’occupation allemande.
Performance d’acteur et subtilité d’écriture
Ferdinand-Claudine-l’examinateur, c’est Philippe Caubère qui les incarne à lui tout seul, dans cette pièce «Le bac 68», chef d’œuvre d’écriture autant que de performance d’acteur. En 1h50 cette adaptation de l’un des épisodes de «L’homme qui danse» concoctée par Caubère en personne, nous plonge dans un univers tendre et poétique, loufoque et irrésistible de drôlerie, où l’acteur effectue des prouesses physiques et de mémoire. Pas de décor, une simple chaise pour accessoire et une présence physique inouïe. Philippe Caubère envahit l’espace, nous rend familier chaque homme ou femme décrits (ah son interprétation de Claudine fera date) et nous fait croire qu’ils sont tous là devant nous. Si parfois dans ses précédents spectacles l’acteur-auteur nous perdait quelque peu dans des digressions labyrinthiques, ici rien de ces défauts. Caubère tient son sujet et ne s’en démarque point. Cela rend «le bac 68» plus percutant encore, plus évident, plus lumineux. Il y a ici et là quelques allusions à Mnouchkine qui lui offrit avec Molière un grand rôle au cinéma, mais pas d’insistance non plus. Rappelons à ce sujet la soirée mythique du 6 septembre 1978 au cinéma Le Cézanne d’Aix où à l’invitation de Marcel Guillaume, la réalisatrice Ariane Mnouchkine présenta la première partie de son film dans une salle subjuguée (20 minutes de standing-ovation) et un Philippe Caubère quasiment muet durant le débat organisé à l’issue de la projection, « la » Mnouchkine monopolisant la parole. Eh oui depuis Caubère s’est rattrapé question silence. Il est même intarissable, et totalement génial. Bien conscient de tout cela les Avignonnais du Théâtre des Carmes, où se produit le comédien provençal dans le cadre du Off, de lui offrir chaque soir un triomphe totalement justifié et mérité.
Jean-Rémi BARLAND
Au Théâtre des Carmes d’Avignon à 20h30 en alternance avec «La danse du diable». Réservations au 04 90 82 20 47.