Publié le 20 juillet 2015 à 0h12 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
Le Festival d’Aix touche à sa fin. Ce lundi 20 juillet au Grand Théâtre de Provence, Patricia Petibon incarnera «Alcina», l’héroïne de Haendel, une dernière fois, sur cette scène. Et l’on peut dire, sans conteste, qu’elle est l’une des plus grandes satisfactions de cette édition. Dans ce rôle, presque taillé sur mesure pour elle, la soprano française excelle tant dans le registre de la comédie que dans celui de la voix: un moment de plénitude absolue pour l’artiste et de bonheur total pour le spectateur. Au soir de la première représentation, elle nous avait fixé rendez-vous après le 14 juillet pour une rencontre. Rendez-vous honoré.
C’est toujours un plaisir de se retrouver en tête à tête avec Patricia Petibon. Pour sa sérénité, tout d’abord, qui transparaît dans le ton, calme et posé de sa voix, pour son regard tour à tour sérieux puis espiègle. Enfin il y a un côté magique d’être en face d’une femme qui, débarrassée du costume de la séductrice et dominatrice Alcina, retrouve son charme naturel et une apparente fragilité qui lui procurent une humanité craquante. «Je suis très heureuse…» Pas la peine de le dire, cela se lit sur son visage. «C’est un cadeau inestimable, et je pèse mes mots, que m’ont fait le Festival d’Aix-en-Provence et son directeur en me confiant ce rôle d’Alcina. Lorsque Bernard Foccroulle m’en a parlé, j’ai compris qu’il m’avait déjà projetée dans ce personnage. Puis la présence de Philippe Jarousski à mes côtés a aussi compté. Et lorsque j’ai appris que c’était Katie Mitchell qui mettait en scène c’était un gage d’intérêt supplémentaire pour cette production. Tout était réuni pour que ce soit une vision de l’œuvre qui me corresponde. Vous savez, avec un metteur en scène médiocre ou mauvais vous n’existez pas. Il faut être porté au-delà de l’expression par une mise en scène ; même de très bons chanteurs peuvent passer à côté d’un rôle….» Une gorgée d’eau pétillante plus tard : «Je n’aime pas raboter les coins de table, faire le minimum. Katie Mitchell m’a aidée à aller vers une émotion radicale qui est essentielle. « Tu es grande, très grande », me disait-elle. Tu économises tes moyens, tu es grande à l’intérieur et le chant se construit à l’intérieur. Investit l’émotion pour la transmettre du plus petit au plus grand, du microcosme au macrocosme.» Lorsqu’on lui demande si pour elle le temps d’être Alcina était arrivé, Patricia Petibon est très claire quant à la conduite de sa carrière. «Je prends des rôles quand je pense être en mesure de les assumer. C’est un travail particulier que je réalise depuis des années. Chaque nouveau rôle permet d’aller plus loin; il faut y entrer de plain-pied. C’était le temps d’être Alcina. Aux côtés de Katie Mitchell et de mes partenaires, je me suis sentie en sécurité. Chaque rôle demande d’être vraie, c’est un lâcher prise total. Il faut semer de l’émotion, il faut gérer les vibrations, le temps qui s’arrête, les explosions… En fait ces moments ce sont des plongées vers l’émotion avec un abandon total du corps et de la voix. J’ai l’impression alors, d’être un aigle qui referme ses ailes sur le rôle pour mieux l’offrir aux autres.» La critique unanime a salué la qualité de sa prestation vocale dans ce rôle; il était intéressant de lui demander quel était son avis à ce sujet. «Jeune, belle laide : ce rôle de manipulatrice est important, comme d’autres, pour explorer la texture de la voix. Vocalement, Alcina a quelque chose de crépusculaire; là aussi je n’ai pas voulu arrondir les angles et j’ai travaillé sur la totalité de la tessiture pour montrer la déchirure et la beauté du personnage.» Un investissement physique, vocal, mais aussi psychologique. Sort-on indemne après une incarnation d’Alcina ? «Oui, et non… En fait, toutes les fois, je bascule dans le puits et tombe dans un trou noir. Le temps s’agrandit et se rétrécit à ces moments-là. On sent les sanglots qui veulent monter mais qui n’ont pas le droit de sortir. Et en même temps que l’on mène une quête sur la vie, on doit donner du bonheur aux autres. On devient une petite chose entre puissance et fragilité, entre pulsion de vie et de mort. Je suis alors comme une spéléologue, je creuse mon corps et explore mon propre univers en ayant conscience des différents espaces qui le composent. Le corps est rempli de petites mémoires, celles de l’enfance, du passé, mais aussi celles du futur… C’est un grand voyage.» Et maintenant, après cette « Alcina » triomphale, comment se dessine l’avenir ? « Comme toujours, marche après marche. J’ai la chance de pouvoir maîtriser ma carrière et de pouvoir choisir les rôles. J’ai toujours choisi; je sais où je vais et ce qu’il faut faire pour ne pas me brûler les ailes. Faire un opéra demande tellement d’énergie. Puis, dans ce monde botoxé et lifté je cours après l’émotion tout en tenant compte de ma voix qui évolue. Sur mon carnet de rendez-vous, « Manon » en 2016 à Genève avec Olivier Py puis « Pelléas » en 2017 aux Champs Élysées.»
Michel EGEA