Publié le 27 juillet 2015 à 9h21 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h30
Sabine Bernasconi, maire (LR) du premier secteur de Marseille et deuxième vice-présidente du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône en charge de la culture, mise sur la Canebière pour redonner une identité à Marseille et à la Provence au-delà de la future Métropole et du département. Elle affirme ne pas chercher à lutter contre le nouveau quartier de la Joliette et ses grandes surfaces qui drainent une partie des chalands et badauds. Elle veut rendre le centre-ville plus attrayant et lui redonner du dynamisme grâce à la culture et à une signalétique esthétique.
Enfant du quartier d’Endoume, longs cheveux sur les épaules, blonde aux yeux verts, l’œil aux aguets, un sourire charmeur à fossettes, Sabine Bernasconi 44 ans, 3 enfants, diplômée en sciences sociales, a totalement pris possession de sa fonction un peu plus d’un an après son élection dans le premier secteur (1er et 7e arrondissements). Élue dans ce secteur municipal depuis 2001 dans une majorité de droite elle a eu un passage de conseillère d’arrondissements d’opposition de 2008 à 2014 lorsque ce secteur avait été remporté par le PS. Elle a pris sa revanche aux dernières municipales contre le socialiste Patrick Mennucci arrachant donc en 2014 ce secteur clé. Elle est depuis la dernière législature suppléante de Dominique Tian, député de la 2e circonscription des Bouches-du-Rhône. Ce dernier lui a laissé la place de maire du 1er secteur pour devenir le Premier adjoint au maire de Marseille.
Parallèlement, après une première mandature au Conseil Général 13, elle a été élue en 2015 Conseillère départementale des Bouches-du-Rhône en binôme avec Yves Moraine, autre quadra figure montante de la droite à Marseille et maire des 6e et 8e arrondissements. Elle est avant tout une politique et elle le revendique. Ne lui dites pas que la Canebière est sale. N’essayez pas de l’interrompre pour une remarque que vous estimez sensée et affirmer, quitte à la fâcher, que les abords de certains lieux culturels de son quartier rebutent… «C’est un problème de fonctionnement à régler en son temps», rétorque-t-elle. Vous avez affaire à une femme de conviction qui connait ses dossiers et veut faire passer son «dessein» pour la Canebière jusqu’au bout du département, où elle est en charge de la culture et, sur le territoire de la future Métropole qui recouvre presque celui de la Capitale Européenne de la Culture 2013. Elle parle de la Canebière comme d’une personne et dépasse largement les limites de sa circonscription du 1er secteur. Dans son «grand dessein» municipal elle empiète sur les 2e et 3e arrondissements à forte présence d’institutions culturelles (Friche Belle de Mai, FRAC Paca, Mucem, Villa Méditerranée et autres lieux de culture comme le J1 à venir); elle les ajoute à sa panoplie déjà fournie de théâtres du 1er arrondissement (Odéon, Gymnase, Bernardines, Criée, et petites salles éparpillées sur son territoire), de musées (Grobet-Labadie, La Marseillaise, Musée d’Histoire de Marseille, etc.) des institutions comme le mythique Alcazar devenu Bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR)… Elle voit grand et déclare vouloir fédérer les différents acteurs culturels du département avec, en épicentre, La Canebière. Sabine Bernasconi nous reçoit souriante pour parler des grands axes de développement culturel en sa mairie appelée à devenir un grand pôle de culture en haut de la Canebière autour de salles d’expositions et de cinéma avec des cafés ouverts la nuit. De sa voix de contralto, sans entrer dans les détails de financements qui ne dépendent pas de sa mairie de secteur, elle s’affirme en femme politique en charge de dossiers à sa mesure dans lesquels la culture joue pour elle «un rôle de moteur économique». Elle veut redonner une identité à la Canebière grâce à une signalétique à définir. Entretien
Destimed: «La Canebière jusqu’au bout de la terre», dit la chanson. Mais elle nous désespère!
Sabine Bernasconi: Je crois quand même que la Canebière, aujourd’hui, est mieux que ce que l’on pense. Regardez de ma fenêtre. Pour autant, il y a encore des efforts à fournir. Je trouve que ceux qui ont été entrepris depuis quelques années sont visibles du point de vue de l’embellissement de l’espace public. La Canebière passe un cap. Elle est prête pour aller plus loin. La culture va l’aider à trouver ou à retrouver cette identité, son identité, parce qu’il y a une nostalgie de la Canebière dans l’esprit collectif. Ce que les Marseillais attendent et ce à quoi je crois qu’ils sont très attachés, c’est de retrouver cet esprit d’antan.
Un Broadway marsellais ?
Pourquoi pas ! La Canebière c’était un peu l’artère symbolique là où l’on venait au spectacle, là où l’on sortait le soir, là où les artistes passaient de manière obligée avant de monter à la Capitale notamment dans les revues pour les chanteurs et les danseurs. Et, on sait tous ce qui s’est passé à l’Alcazar, les grands hôtels sur la Canebière, les belles brasseries et je crois que l’on a un peu la nostalgie de tout cela. On ne le retrouvera pas à l’identique bien évidemment. Les temps ont changé. Je crois que c’est l’esprit qu’il faut chercher à retrouver.
Qu’appelez-vous l’esprit de la Canebière ?
Il y a avant tout cette interrogation: qu’est-ce que l’on vient y faire aujourd’hui et qu’est-ce qu’on doit venir faire sur la Canebière demain. Je travaille beaucoup sur cette question y compris avec les acteurs de proximité, de la culture, du social, du commerce et bien évidemment les autorités publiques. On va retrouver une identité à cette Canebière. C’est un axe certes commerçant mais aussi patrimonial et culturel de Marseille. Tout le centre-ville doit retrouver sa place comme épicentre culturel non seulement de Marseille mais bien au-delà du département et je dirai même du sud de la France.
Cette ambition ne se heurte-t-elle pas aux problèmes liés à la propreté de la Canebière et des rues voisines ?
Il faut d’abord poursuivre les travaux de voirie qui prennent la suite d’une réhabilitation gigantesque qui a été engagée depuis des années.Travailler sur l’environnement du quotidien, il y a évidemment les questions de propreté. Ensuite les questions de sécurité. On a aujourd’hui une police dans le centre-ville qui est très présente très efficace dont les effectifs ont été multipliés. On a, à Marseille, la première brigade municipale de France. Sur Noailles (1er), en particulier, une expérience a été une première en France. Elle consiste en une approche globale qui traite de la propreté et de la sécurité. Elle implique, outre nombre de services municipaux, les douanes, la police nationale, la police de l’air et des frontières, l’Urssaf, etc. pour faire en sorte que les choses fonctionnent mieux. C’est ma méthode de travail : on n’arrive à rien tout seul.
Pourquoi s’arrêter ainsi sur Noailles ?
Cela fait partie de notre feuille de route. Parce que Noailles est un facteur d’attractivité, un marché qui attire autant les Marseillais que les touristes donc il faut que ce marché fonctionne mieux. Ensuite, on doit valoriser ce qui existe: de grands équipements qui sont des marqueurs de la vie culturelle et du centre-ville et des rues commerçantes. Il faut que l’on vienne chercher une qualité dans le centre-ville. Une qualité de service, de propositions et, je pense que cela passera par la culture, par l’animation des rues et, par un environnement plus net.
Quand on remonte du Vieux-Port, l’on constate des différences de traitement : un premier tiers jusqu’à la rue de Rome puis, le cours Lieutaud et le haut de la Canebière.
Le Centre-Ville va retrouver son identité de culture et sa vocation patrimoniale et culturelle, je parle évidemment de la Canebière en tant que symbole du centre-ville. Mais, je parle globalement des 1er, 2e et 3e arrondissements. Le potentiel existe. Il faut savoir le valoriser et l’installer dans un environnement qui fonctionne mieux. La propreté fait partie de ce fonctionnement. Je sens que l’on est prêt à passer un cap.
Le boulevard de la Libération (1er) n’est-il pas en déshérence ?
Je suis d’accord que pour le Boulevard de la Libération il y a encore des efforts à faire. Mais cela se fera petit à petit.
En ce qui concerne la rue Paradis, on annonce un à deux ans de travaux, cela ne va-t-il pas occasionner de nouveaux problèmes ?
La réhabilitation de la rue Paradis est engagée. Face à la concurrence des Terrasses du Port et autres nouveaux lieux commerciaux, le centre-ville de Marseille doit savoir se démarquer par des enseignes qui proposent des services. Les commerçants, organisés en association, doivent pouvoir bénéficier et fournir des services communs. Je veux y ajouter de la culture.
Il semble que vous avez maintenant une vue d’ensemble de Marseille autour de la culture?
Vous avez vu, je vous parle des 1er, 2e et 3e arrondissements alors que je suis maire du 1er. Il faut retrouver l’esprit spectacle c’est important sur la Canebière. J’essaie donc d’impliquer tous ceux qui ont une petite part de responsabilité dans un dispositif d’ensemble.
Comment allez-vous inscrire cette culture dans la ville ?
Quand on marche dans la rue, il faut être informé de ce qui se passe à Marseille. C’est un projet sur lequel on travaille. Ce ne serait pas de l’information de type publicité mais une information portée par une signalétique qui serait un geste d’artiste et qui va dans le même temps contribuer à l’esthétique d’un centre-ville. Parce que l’on a besoin d’une esthétique.
Vous voulez compléter ce qui a manqué à Marseille 2013 : la signalétique ?
Faisons-le! Je ne veux pas savoir ce qui ne s’est pas passé avant. La signalétique est fondamentale dans un centre-ville. Cela crée un parcours culturel. Il faut que le centre-ville soit un carrefour de logique, de cohérence avec un regard patrimonial, avec un regard historique, avec un regard commerçant, avec un regard culturel. C’est ça l’environnement. Sinon pourquoi ne pas aller dans un centre commercial?
Vous contrebalancez l’attrait de la Joliette qui attire le public et désespère les commerçants du centre-ville ?
En ce qui me concerne ce n’est pas une réponse à la Joliette. C’est en réaction à un centre-ville qui au fil des années a perdu son identité et c’est la réaction d’une Marseillaise, touchée de voir les Marseillais se détourner de leur Canebière.
Le cinéma prévu à la place de votre mairie de secteur en haut de la Canebière est-il en bonne voie?
Les dossiers sont en cours. La Canebière en a besoin, le centre-ville a besoin de ce pôle culturel avec une salle d’exposition et des baies vitrées permettant aux passants de voir ce qui se passe à l’intérieur. Il y a une attente de la collectivité sur ce projet qui, d’un point de vue architectural vient en cohérence s’intégrer à cette vision de centre-ville retrouvé. Ce n’est pas seulement un projet de cinéma, c’est également des salles d’exposition, des petites galeries, des bistrots. Peut-être la librairie Maupetit aura-t-elle envie de s’y installer. Nous discutons avec tout le monde.
Avez-vous recontacté MK2 qui avait proposé un premier projet qui avait été refusé?
C’est MK2 qui n’a pas recontacté la Ville. Il avait déposé un premier permis de construire qui n’était pas du tout dans les normes du Plan local d’urbanisme à croire que c’était fait exprès. Nous leur avons demandé, en son temps, de déposer les modifications de permis alors que tout le monde était d’accord sur le projet. MK2 n’a jamais déposé de modifications. Les Réformés sont un monument classé et on ne peut pas faire n’importe quoi.
A partir de la Canebière, comment allez-vous faire rayonner la culture sur le département ?
La Provence est déjà une terre de culture avec des manifestations qui existent depuis longtemps et qui sont une marque forte. Ce que je souhaiterais c’est la création d’un parcours culturel qui, à la fois traverse les communes et rattache le centre-ville de Marseille à l’ensemble du département dans les deux sens. C’est-à-dire que lorsque l’on se rend, par exemple, aux Rencontres de la photographie d’Arles, que l’on ait suffisamment de porosité entre les territoires pour que l’on puisse passer d’Arles à Aix, d’Aix à Marseille, de Marseille à Aubagne, à La Ciotat etc. Je pense qu’il faut présenter un territoire soudé qui soit empreint de cette marque culturelle.
Avez-vous les moyens de cette ambition ?
Je pense que tout existe et qu’il faut peut-être inciter, par la subvention et la contrepartie, les institutions culturelles à travailler en réseau, à faire la promotion les uns des autres, à pouvoir partager des projets, à pouvoir mieux se connaître. On a tout intérêt à avancer et organiser au Département des groupes de travail sur cette question essentielle de l’attractivité. Il faut souligner ce qu’apporte la culture dans le rayonnement de ce territoire de Provence et dans son résultat économique parce que l’on oublie toujours que la culture ça rapporte, elle ne fait pas que coûter…
Pourquoi vous focaliser sur la culture ?
Ce n’est pas dans l’esprit des cultureux de penser que la culture peut rapporter. Je ne suis pas une cultureuse, je suis une politique. Je vois aussi la culture comme un outil du développement de notre territoire et au service de l’homme qui est sur ce territoire. Pour moi cela forme un tout. La programmation culturelle appartient aux cultureux, elle n’appartient pas aux politiques. A nous de créer l’environnement pour que la création culturelle, sa diffusion, s’épanouisse, se développe et puisse toucher un public de plus en plus large.
Cela nous amène à la Métropole. La culture peut-elle en être un ciment ?
C’est la même chose. métropole, département, ce sont des questions de territoires. Pour moi, c’est la Provence. Après que cela s’appelle une métropole, un département, moi je m’accommode des structures administratives qui me sont données. Ce qui compte c’est l’objectif et la vision. Cela ne changera pas grand-chose qu’il y ait une métropole à la place d’une intercommunalité, on verra. Peut-être que si cela peut faciliter la tâche c’est encore mieux.
Propos recueillis par Antoine LAZERGES