Publié le 24 août 2015 à 17h29 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
L’historien et sociologue Benjamin Stora est intervenu avec force sur la situation de ceux qu’il appelle les «damnés de la mer». Sans oublier les nombreuses actions de Michel Vauzelle, le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur notamment avec l’appel « Nous sommes tous Méditerranéens ». Le débat est ouvert. Destimed donne la parole aux politiques à travers deux questions. Après Sophie Joissains sénatrice UDI , Christian Kert député LR c’est au tour de Jean-Marc Coppola, porte-parole des communistes de Provence-Alpes-Côte d’Azur d’y répondre …
Concernant les migrants en Méditerranée quelles solutions envisagez-vous ?
Ce qui se passe actuellement en Méditerranée ou à Calais, mais aussi plus près de nous, à Nice et Vintimille, est indigne d’une société dite civilisée. Nous vivons un drame humain et humanitaire, un crime contre l’humanité. Et les dirigeants européens continuent de traiter la question des migrants sous le seul angle sécuritaire.
Va-t-on longtemps encore continuer à compter les morts en répétant en boucle que l’ «on ne peut pas accueillir toute la misère du monde». D’une part, ce n’est pas toujours la misère qui pousse ces femmes, ces enfants et ces hommes à faire le choix courageux et déchirant de l’émigration. Bien souvent, ce sont des raisons politiques et démocratiques qui les contraignent à fuir leur pays et la mort. D’autre part, si on devait considérer le motif économique comme irrecevable, des générations entières de nos compatriotes, héritiers de l’immigration de la première moitié du 20e siècle, ne seraient pas là pour en parler…
La première des priorités doit donc être de sauver des vies en mettant tout en œuvre pour ne plus avoir une seule victime à déplorer. L’Europe doit garantir une entrée sécurisée et légale à tous les réfugié-e-s et migrant-e-s et prendre les mesures d’urgence indispensables en termes de sauvetage, d’accueil, d’encadrement, de soins, d’hébergement, d’alimentation… On nous dit que ce n’est pas possible ? Eh bien, penchons-nous sur quelques chiffres. Entre janvier et juillet 2015, 340 000 hommes, femmes et enfants ont frappé aux portes de l’Europe, au risque de leur vie. Quelque 2 350 en sont morts. Ils fuient des guerres, des zones de conflit ou des dictatures. Ils sont majoritairement syriens, afghans, érythréens, nigérians… Ce sont donc des réfugiés potentiels qui devraient au moins avoir le droit de demander l’asile sur le sol européen conformément au droit international. Ils représentent à peine 0,03% de la population des 28 États de l’Union européenne. Des nombres bien plus importants de réfugiés ont pu être accueillis dans un passé pas si lointain. Plus de 4 millions et demi de personnes issues de l’ex-Yougoslavie ont fui leur pays au début des années 90 dont 770 000 ont trouvé refuge en Europe de l’Ouest. A la fin des années 70, la France a ouvert ses portes à près de 130 000 ressortissants de l’ancienne «Indochine». Plus globalement, les 231 millions de migrants internationaux ne représentent que 3,2% des habitants de la planète. Leur nombre augmente certes en valeur absolue mais il reste proportionnellement stable puisqu’ils pesaient 2,9%, de la population mondiale il y a vingt ans. Il est d’ailleurs paradoxal de voir l’État et le patronat français faire venir des femmes et des hommes de certains pays, parce qu’ils sont diplômés ou parce qu’ils ont des qualifications…mais pour tenir des emplois sous-payés en France. De même, les gouvernements successifs ne se posent pas la question du départ de Français à l’étranger, souvent parce qu’ils ne sont pas assez reconnus pour leurs qualifications ou parce qu’ils ne trouvent pas en France de débouchés comme par exemple dans la recherche ou dans certaines activités industrielles abandonnées. Les trafiquants ont quant à eux bien retenu leur leçon de libéralisme en pratiquant la marchandisation de la détresse humaine et de l’espoir d’un mieux vivre ailleurs. Pour lutter contre les passeurs et les trafics, il est nécessaire de permettre la liberté de circulation. La régularisation des sans-papiers est incontournable pour combattre toute forme de nouvel esclavage. Il faut également étudier de manière beaucoup plus rapide les procédures du droit d’asile. Mais la tragédie des migrants dépasse les frontières de l’UE ; elle est internationale. Cela nécessite donc une mobilisation plus large sous égide de l’ONU.
Grèce, Italie, Europe… Une grande conférence ne s’impose-t-elle pas ?
Arrêtons d’être les spectateurs d’une mer Méditerranée qui se transforme en vaste cimetière et comportons-nous en humanistes pour qu’elle redevienne le creuset d’échanges et de dialogues qu’elle a toujours été. Je le répète : les flux migratoires sont un des fondements de l’histoire de l’humanité. Il faut donc les appréhender avec une grille de lecture globale. Et il n’y a pas de solutions policières ni militaires aux tragédies migratoires; il n’y a de solutions que politiques, économiques et sociales.
L’Europe n’a pas vocation à être une citadelle pour les humains, d’un côté et une bourse à ciel ouvert pour les capitaux, de l’autre. N’oublions pas que les difficultés politiques, sociales et économiques des pays d’émigration sont généralement les conséquences des comportements postcoloniaux, impérialistes ou bellicistes de nos États. L’UE doit opérer un changement de cap envers les pays de la Méditerranée. On ne peut pas intervenir militairement en Libye, en Syrie, en Irak sans se préoccuper du sort et des conséquences sur les populations civiles. Ni, sous couvert de partenariat économique, exiger des plans d’austérité et mettre en place des traités de «libre-échange» pur et dur dans l’intérêt des multinationales, les laissant continuer à piller les richesses de ces pays. On ne peut faire l’impasse sur des siècles de politiques coloniales qui ont vidé le continent africain ou le Proche et Moyen-Orient de ses richesses, de la maîtrise de ses ressources, de la liberté de ses habitants sous des régimes autoritaires complices de cette prédation. Aucun des engagements pris pour porter à 0,7 % du PIB la part de la coopération et de l’aide au développement, n’a été respecté par les pays développés. La France est à 0,36 %, le recul est de 16% pour l’ensemble des pays bailleurs de fonds ! La situation appelle bien, et de toute urgence, à une conférence européenne et internationale pour une véritable politique de coopération et de développement solidaire. L’UE doit aussi redéfinir sa politique des visas respectant les droits de l’Homme, de la Femme et de l’Enfant, être solidaire des pays méditerranéens de premier asile. Et la France peut être à l’initiative de cette réflexion en modifiant profondément sa politique internationale et européenne. Elle a un rôle d’impulsion et de conviction à jouer. Notre pays n’est jamais aussi beau que lorsqu’il se bat pour ses principes républicains: Liberté, Égalité, Fraternité. Heureusement, de nombreux citoyens, militants associatifs, travailleurs sociaux expriment en actes quotidiens leur solidarité avec les migrants.
Nous avons d’ailleurs agi solidairement à notre manière au niveau du Conseil régional en accueillant en juillet dernier des jeunes migrants dans l’internat d’un lycée à Menton. J’en suis fier, même si la solution est partielle et provisoire. Mais arrêtons de dire qu’il n’y aurait pas de solutions. Les élus du groupe Front de gauche avaient fait en juin la proposition d’accueillir des migrants dans un établissement d’État désaffecté dans les Alpes-Maritimes plutôt que de les laisser sur les rochers. Et si les pouvoirs publics ne répondent même pas à cette urgence, c’est qu’ils n’ont pas la volonté de régler durablement cette crise. Ce qui permet à certains de stigmatiser l’étranger pour opposer les personnes les unes aux autres, les peuples les uns aux autres. Qui y a intérêt sinon les tenants du libéralisme, dont les armes sont concurrence et guerre. Pour ma part, j’ai choisi l’engagement pour la paix, l’émancipation humaine et les coopérations internationales.
Propos recueillis par la rédaction de Destimed