Publié le 7 septembre 2015 à 9h46 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h56
Une nouvelle fois, le Forum des Entrepreneurs, à Kedge Business School à Marseille, a été couronné de succès. Salles plus que combles pour les ateliers le matin et que dire du grand débat l’après-midi ? De 10h30 à 12h15, dans l’amphi B, il était question de «Création j’écris ton nom», à la tribune : Philippe Carrese, réalisateur, écrivain, dessinateur, musicien, Philippe Dessertine, professeur de finances et de gestion, Serge Moati, journaliste, écrivain, réalisateur, tombé sous le charme de son voisin, sur lequel il a affirmé vouloir faire un film : Marc Pietri, le PDG de Constructa. Pour créer, des financements s’imposent, Élisabeth Viola, directrice interrégionale Méditerranée de la Caisse des Dépôts, directrice régionale Paca et Vincent Ricordeau, co-fondateur de Kiss Kiss Bank Bank sont intervenus sur le sujet. Un débat animé par la journaliste Elsa Charbit.
Mais qu’est-ce que la création ? «C’est ouvrir les portes», pour Élisabeth Viola; «une survie, le désir de transformer, de sortir de ma condition», avancera Serge Moati avant d’ajouter que «le monde n’est que changement, la vie n’est qu’opinions»; Philippe Carrese pour sa part considère: «Le créateur est une éponge, il se nourrit de tout ce qu’il y a autour de lui. Il n’y a donc pas de génération spontanée»; pour Marc Pietri: «C’est ce qui permet de passer du néant à la réalité. Le créateur est le ruminant de l’humanité, ils absorbe et régurgite»; «la création c’est la nécessité de mémoire », décrira Philippe Dessertine. Ainsi dès les premières interventions, l’on sait que le plaisir sera au rendez-vous de cet atelier.
Quid de la liberté ? «Il y a une guerre entre les entraves et l’acharnement. Je me suis nourri follement des hommes politiques que j’ai filmés. Je deviens une éponge, je suis dans l’empathie. C’est le comble du processus de création», explique Serge Moati. «L’acharnement, selon Philippe Carrese, on doit le mettre pour obtenir la diffusion car les diffuseurs ne sont pas capables de comprendre l’intérêt de sortir quelque chose de nouveau. Un roman c’est moins compliqué, les enjeux financiers sont moindres». Élisabeth Viola rappelle: «Nous sommes une institution vieille de 200 ans qui a su s’adapter à l’évolution des besoins. Lorsque l’on examine un projet, on ne prend pas en compte la seule rentabilité, même si nous devons dégager du résultat pour financer d’autres projets, on prend également en compte les dimensions sociale et sociétale» Pour Marc Pietri: «La transformation du néant en réalité crée immédiatement des contraintes. Quand, comme aux USA, il n’y a pas d’Histoire, pas de référents, c’est beaucoup plus simple que dans un pays qui a des siècles et des siècles d’histoire, alors, il y a toujours quelqu’un qui a réalisé une œuvre qui ressemble à votre travail». Puis il lance: «Pour moi, il n’y a de création qu’en Dieu et dans l’art contemporain, une imagination pure et spontanée. En revanche, dans mon métier il n’y a aucune liberté ». «Nous sommes dans une civilisation de prévention des risques ce qui est une mort affective et intellectuelle», déplore-t-il avant d’ajouter: «Le fait de construire ensemble a un sens, c’est une leçon d’humilité. Et notre économie souffre du fait que tout le monde se méfie de tout le monde. Alors que, plus c’est difficile, plus on doit être nombreux à y croire».
Création, collectif, Serge Moati se souvient de ses responsabilités de dirigeant à France 3 : «J’étais entouré d’énarques auxquels je n’allais pas dire que je n’avais pas le Bac. Et ils ne cessaient de me parler d’année pleine, de franc constant, de choses auxquelles je ne comprenais rien. Mais cela ne m’a pas empêché de développer la télévision régionale».
«La liberté c’est dangereux, c’est en même temps ce qui permet la création»
Philippe Dessertine évoque la question des subprimes : «Elle montre que la notion de liberté doit exister en matière de finance mais qu’elle doit être en partie sous contrôle. La liberté c’est dangereux, c’est en même temps ce qui permet la création». Il considère à ce propos : «La France est le Pays de la liberté et de la création. En 1913, Paris est l’endroit où se concentrait la création du monde, c’est là que s’est créé le 20e siècle. Car, à la même époque, de jeunes ingénieurs vont prendre la liberté de créer, produire. Et, pour cela, il leur a fallu des moyens financiers. Une raison qui fait que l’innovation s’est déplacée vers les USA c’est le Nasdaq, l’émergence d’une nouvelle façon de financer alors que la Banque traditionnelle ne voulait pas prendre de risques». D’autant plus important que «lorsque l’on crée, on est seul, au bord du vide, et l’on décide de sauter sans savoir comment cela va se terminer». Pour lui, le problème français ne réside ni dans la création, ni dans le sens d’entreprendre : «Entrepreneur est un mot français repris en anglais. Le problème c’est que nous ne sommes pas assez ambitieux dans la finalité, en France on voit petit, aux États-Unis on veut devenir le leader mondial. Pourtant nous avons 29 groupes parmi les 500 premiers mondiaux? Le problème c’est qu’ils ont en moyenne 110 ans». Élisabeth Viola tient à mettre un bémol : « Lorsque l’on travaille sur la tour La Marseillaise avec Marc Pietri on écrit une histoire, on affiche une ambition, on donne un signal du potentiel et des ambitions de Marseille et, de cette manière, on donne envie à d’autres de venir. Il en va de même avec la géniale idée de « The Camp »». Liberté de prise de risque chez Vincent Ricordeau qui indique: «Chez nous, les gens prennent le risque de venir présenter leur projet en public, sur une page Web. Ils doivent séduire pour que les gens les financent». «Technocrate c’est avoir le goût de soi alors que la vie c’est le goût des autres. Lorsque aux États-Unis on présente un projet, on vous dit : pensez gros, tel n’est pas le cas en France», affirme Marc Piétri. Alors, il avoue que pour la Tour La Marseillaise, il est monté à Notre-Dame pour négocier avec la Bonne Mère.
« On n’apprend rien de ses échecs »
Mais y a-t-il une récompense à la création ? «J’ai connu beaucoup d’échecs et de succès. On n’apprend rien de ses échecs. Et la récompense ne vient jamais, c’est le drame des orphelins, la vraie récompense ne vient jamais du père mort… Après, je crois toujours que le prochain film, le prochain roman, sera définitif, sans cela j’ arrêterais». La récompense, Philippe Carrese la touche parfois en musique «on arrive à un moment de grâce et c’est presque divin». Récompense ? C’est d’échec dont veut parler Philippe Dessertine : «La création c’est le risque, et lorsque l’on risque on peut échouer. Or, en France, ce pays qui a pris le risque de mettre en avant les valeurs de Liberté, Égalité et Fraternité met maintenant en avant le principe de précaution. La création c’est se planter et en France on n’a pas le droit de parler d’échec. Et c’est le principe à l’œuvre dans la finance en France mais s’il y a « 0 » risque il n’y a pas de banquier. Il nous manque du financement du risque».
Michel CAIRE