Publié le 7 septembre 2015 à 22h56 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h56
Avec la Méditerranée, le vin est le deuxième espace métaphysique contemporain dans lequel les hommes peuvent encore évoluer dans la quête fragile d’accès à leur sens et à leur liberté sans entrave. Il est une sorte de Némésis qui aurait choisi le côté lumineux de la force. Comme la méditerranéité, le vin est un véritable antidote à la névrose conceptuelle, à la dictature de la rétention et à l’assignation à résidence intellectuelle qui étouffe de nombreux domaines de la création comme du quotidien. Il est l’antidote au principe de peur qui règne en maître sur nos imaginaires et nos sociétés qui ne «croient» plus en rien mais s’adonnent, sans le savoir, aux forces nihilistes drapées des apparats de l’événement permanent. Il est cet antidote parce qu’il est éduqué, balisé, par les éléments aussi puissants que fragiles de la Terre nourricière. Relié aux forces immenses qui nous animent et participent de notre âme (anima), de notre souffle (spiritus) comme de nos actions (le Vivant) il participe du religieux, dont les racines latines «religere» (relire) et «religare» (relier) annoncent la mission de l’homme pour être complet et s’améliorer. Le vin relie au grand Tout, par lui, on relit/relie en permanence l’alchimie dont il est issu et la beauté du monde. Certes, bu seul aux mains d’une solitude non choisie, il peut délier des autres et de la parole fondatrice de toute croyance. Mais bu dans le partage de l’éros, de l’agape et de la filiae, ou simplement des idées, il renforce le système immunitaire symbolique constitutif de toute être libre et pensant, au même titre qu’il possède un système immunitaire biologique ou social. Car, comme de Mare Nostrum sortirent des Dieux et des prophètes de sa liquidité fondatrice, du vin sortent les clefs d’accès à ces puissances divines qu’il a éduquées à son tour. Car le mérite historique et religieux du vin, n’est pas tant l’ivresse dionysiaque mais d’avoir changé le sens même de la pratique du sacrifice. Le vin a éliminé la violence et le sang des rites sacrificiels. Le vin a épargné dans les rites religieux ou simplement divins la brutalité de l’homme sur l’homme ou de l’homme sur l’animal, en remplaçant le sang. Dans la Cène, Christ en fait l’éloge suprême, mais bien avant Lui, chez les Païens, le divin breuvage prit la place du liquide humain. Donc, bien plus que divin, le vin est sacré. En cette époque où plusieurs formes de sacralités reviennent à la surface de nos être-ensemble, le vin permet celle qui unit, qui rassemble les fraternités et les identités heureuses, soucieuses de s’élever. Il est la forme d’avenir de la sacralité sans ostracisme religieux ni racial. «Qu’est-ce qu’une sacralité ?», écrit Régis Debray, «C’est ce qui dépasse les hommes, ce qui peut les unir. Mais c’est aux hommes de choisir ce qui les dépasse». Le vin incarne la permanence de l’impermanence, l’amélioration tout au long de la vie, le travail qui élève par l’Amour des ouvriers de la Terre… et du Ciel.
Le vin est donc bien une grande cause, celle de la défense sublime de notre système immunitaire symbolique donc sacré.
(*) Alain Cabras est consultant formateur en Intelligence interculturelle – Gestion de la pluralité culturelle et religieuse en milieu professionnel – Chargé de Conférences à Aix Marseille Université – Référent en Intelligence Interculturelle à l’Institut Supérieur en Intelligence Sociale (is-is.fr)