Publié le 14 septembre 2015 à 19h50 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 19h56
En 1953 Pauline Dubuisson est accusée d’avoir tué de sang froid son amant. Elle a 26 ans lorsque débute son procès, personne ne l’écoute. Ne veut entendre sa version des faits et surtout pas y croire. Avant même que les plaidoiries commencent, la « vox populi » a décidé de son sort, réclamant à corps et à cris « la tête » de cette dévergondée. Du pain béni pour la presse à scandale de l’époque pour qui Pauline, originaire de Dunkerque, ne sera plus que « la Hyène du Nord »; les qualificatifs s’enchaînent, les chroniqueurs racontent comment l’évidence s’est imposée à eux : « au premier regard, on devine une femme égoïste, obstinée, sensuelle« . Et l’opinion de conclure: « une vipère qui a le vice dans la peau« . Pauline est belle, intelligente, secrète et refuse de se comporter en femme soumise. Son attitude fait tache dans une France d’après guerre baignant dans la misogynie, et qui va tout faire pour briser cette femme ambitieuse et fière de l’être. C’est un procès à charge que dresse en 706 pages Philippe Jaenada contre le jugement de l’époque : « une instruction bâclée, un jugement tronqué à seule fin de détruire une femme honnie« . Un terme barbare qualifie ce type de livre : « romanquête », contraction du roman qui retrace la vie de Pauline, de l’enfance aux études de médecine, et une véritable enquête menée par l’auteur où se croisent fiction et faits avérés.
Un travail de Titan
C’est en fouillant et en comparant une masse de documents d’archives contenant ce que l’accusée avait de prime abord déclaré et ce qui en a finalement été retenu, que l’auteur construit son argumentation, précise ses accusations et démontre comment tout en restant dans la légalité un procès peut être tronqué. Pas seulement par une personne, ou deux ou plus, mais par une volonté collective portée par l’air du temps, le ressenti d’une communauté d’intervenants à des degrés divers. Une phrase oubliée, un mot qui manque, un détail jugé trop vite sans importance… Personne n’est à l’abri de ce risque. Les enquêteurs, les agents de service qui tapent sur leur machine à écrire ce qui leur semble important. Des phrases s’accolent, d’autres s’oublient, il faut faire vite, et tous à l’époque ne sont pas des virtuoses de la Remington! Heureusement, dans les archives les originaux sont restés. Et c’est en comparant les arguments avancés par l’accusation et les non-dit entassés dans des chemises usées par le temps que Jaenada finit par rendre enfin justice à cette femme condamnée à l’âge de 26 ans à la prison à perpétuité. C’est une femme détruite, complètement brisée qui sortira de derrière les barreaux pour bonne conduite et dont la vie ensuite fut très courte: Pauline s’est suicidée à l’âge de 36 ans. Et cette fois-ci pour de bon.
Pourquoi tant de haine?
Mais comment un tel engrenage a-t-il été possible? Cela est parfaitement racontée dès le début du roman de la vie de Pauline. Un roman, non une vie, qui est celle d’une enfant élevée par une préceptrice entre une mère neurasthénique et un père, riche et collabo, qui dicte sa loi à une pré-adolescente qui à l’âge de 14 ans, couchera avec des officiers allemands « parce qu’ils avaient de beaux uniformes et appréciaient sa dégaine délurée« . Elle s’amuse d’abord, comprend vite qu’il faut cacher ses sentiments et sera toute sa vie incapable d’aimer ou du moins s’avouer qu’elle aime.
Cette carapace l’aidera à survivre. Tondue à la libération, elle fera ensuite plusieurs années d’études à la fac de médecine, usant souvent de son corps pour s’assurer des leçons particulières gratuites et pas désagréables pour autant. Jusqu’au jour où un futur médecin de très bonne famille la demande en mariage. A partir de là, tout se déglingue. La carapace s’avère plus forte que l’amour immense qu’elle éprouve et qu’elle n’a pas le courage de s’avouer.
Alors, qui était vraiment Pauline Dubuisson?
Une arriviste froide et calculatrice? Un monstre de duplicité? Ou simplement une femme émancipée, en avance sur son époque qui revendique son droit d’exister dans une société qui n’a pas encore inventé la condition féminine…
A vous de juger…
« La Petite Femelle » de Philippe Jaenada – Ed. julliard – 706 pages – 23 €