Publié le 23 mai 2013 à 5h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h56
Bien que numéro un européen dans son secteur, l’entreprise Sabatier SAS, basée à Vitrolles, n’en a pas moins été durement touchée par la crise. Spécialisée dans la conception, la réalisation, l’assemblage et l’installation de machines destinées à la fabrication d’emballages métalliques pour le conditionnement de produits issus de l’industrie, elle a dû partir à la conquête de nouveaux marchés après avoir enregistré un baisse de 30 à 40% de son chiffre d’affaires sur son terrain de jeu privilégié, l’Europe. Une stratégie payante puisque l’entreprise entrevoit aujourd’hui le bout du tunnel.
« Oui, nous sommes numéro 1 en Europe. Nous sommes sur des métiers de PME et nos concurrents sont plus petits que nous en Espagne et en Italie. Nous avons aussi un concurrent en Allemagne, mais seulement sur une partie de notre gamme, ce n’est pas une concurrence frontale. Mais quand vous êtes numéro 1 d’un marché divisé par 2, il n’y a pas de quoi se réjouir » : cette réflexion de Didier Torrelli, PDG de l’entreprise Sabatier SAS basée à Vitrolles dans les Bouches-du-Rhône, en dit long sur la crise économique que traverse le vieux continent. Pourtant, grâce à une réorientation de ses exportations et une industrialisation de ses métiers, cette société, spécialisée dans la conception, la réalisation, l’assemblage et l’installation de machines destinées à la fabrication d’emballages métalliques 3 pièces (fond, corps et bouchon) pour le conditionnement de produits issus de l’industrie (huile, solvants, vernis, peintures…) est en passe de réussir son pari : revenir dans le positif à partir de l’an prochain. Parvenir à un tel résultat, tout en évitant la mise en place d’un plan social, était pourtant loin d’être acquis au regard des turbulences qu’a traversées l’entreprise depuis 2009.
D’origine bordelaise, c’est en 1967 que l’entreprise familiale Sabatier SAS de vente d’emballage s’implante à Vitrolles. Elle est ensuite rachetée en 1995 par le groupe Soudronic, constructeur de machines complémentaires basé près de Zurich en Suisse : l’entreprise provençale bénéficie dès lors d’un réseau de vente mondial. Et elle en tire le meilleur parti jusqu’en 2008, époque où Sabatier SAS emploie 70 personnes et génère un chiffre d’affaires de 15 à 16 M€, dont plus de 90% est réalisé à l’export, et même certaines années jusqu’à 100%. La société vend ainsi régulièrement dans une quarantaine de pays. « Nous exportions principalement en Europe occidentale, au sein de l’Union européenne : Espagne, Italie, Allemagne, et pas mal dans les pays du Nord, Danemark, Suède, Finlande, Norvège. Nous réalisions deux tiers de notre chiffre d’affaires en Europe », se souvient Didier Torrelli.
Mais la crise économique qui s’installe progressivement à partir de 2009, change complétement le donne : le marché européen s’effondre. « Nos clients traditionnels ont réduit drastiquement leurs investissements. Ils étaient eux-mêmes très touchés par la crise avec chômage partiel, licenciements, fermetures d’usines. Notre marché habituel a été divisé par 2. La seule stratégie était de prendre des affaires sur le grand export : Russie, Moyen Orient et Asie, principalement en Thaïlande, Indonésie, Corée, Singapour, des pays qui sont déjà un peu industrialisés. Nous travaillons également en Chine, mais c’est plus récent, il y a deux ans à peu près qu’on a commencé. Notre cible, ce sont les fabricants d’emballages métalliques destinés à l’industrie : peintures, produits chimiques, solvants… Or, la Chine reste très artisanale », souligne le dirigeant.
Une approche des marchés fondamentalement modifiée
Et l’entreprise provençale va ainsi parvenir à compenser en partie le chiffre d’affaires qui s’était volatilisé en Europe. « Sur 5 M€ de perdu, une baisse de chiffre d’affaires de 30 à 40%, on en a compensé le moitié, 2 M€, hors d’Europe », précise Didier Torrelli. Du coup, bien que contraint de réduire la voilure à 60 personnes, le dirigeant réussit à limiter la casse en évitant la mise en place d’un plan social.
Mais pour y parvenir, Sabatier SAS, déjà référencée sur ces marchés du grand export, a dû fondamentalement en modifier son approche. « Auparavant, on considérait qu’il fallait une très bonne marge, sinon on lâchait l’affaire. Aujourd’hui, on n’y va pas pour faire de la marge mais pour avoir l’affaire : ce n’est plus la cerise, c’est vital ! Si on n’est pas consulté, on se bat pour l’être, et ensuite on se bat pour avoir le marché, y compris pour des niveaux de prix très bas », explique le PDG. Car sur ces marchés l’entreprise provençale affronte, en plus de ses concurrents européens traditionnels, toute une concurrence nouvelle issue des autres continents mais principalement d’Asie : Japon, Corée, Taïwan et Turquie. En outre, une difficulté supplémentaire est venue encore davantage compliquer la donne : la parfaite connaissance du marché qu’ont désormais les clients. « Les moyens de communication sont entrés dans les mœurs : il n’y a plus une affaire qui se conclut sans un envoi de mails. Plus personne n’achète en aveugle. Les clients savent les prix qui se pratiquent », insiste Didier Torrelli.
Alors il a fallu s’adapter, surtout lorsque l’on est bien souvent le plus cher du marché. « On va dire qu’on est 20% au-dessus des Italiens et des Espagnols, ce que l’on justifie par des différences techniques. Après, dans ce grand export, on est très loin des autres. Il arrive qu’un client nous dise : « Taïwan, c’est un tiers de votre prix. On préfère la qualité européenne, mais le rapport c’est deux au plus : on ne va pas au-delà ». Après, on n’est pas obligé d’accepter. Des fois, on refuse en disant qu’ »à ce prix-là, on ne sait pas faire ». Mais si on a besoin de travail, on est obligé d’accepter », résume le dirigeant.
Pour se remettre sur les rails, Sabatier SAS a également exploré le marché sud-américain, principalement le Mexique et le Brésil, les pays les plus industrialisés. Mais les perspectives y sont moins porteuses. « En Amérique du Sud et du Nord, beaucoup d’emballages sont passés au plastique, à contre-courant des discours écologistes que l’on entend. Pour nos clients, fabricants d’emballages, ce sont donc des marchés qui ont tendance à se réduire. Nous avons donc assez peu de clients potentiels sur l’ensemble du continent américain », indique Didier Torrelli. L’entreprise provençale est en revanche peu présente en Afrique. « Sabatier fait très peu de machines emballages alimentaires. Nous sommes plutôt sur des gros volumes, et ça n’a rien à voir avec les produits alimentaires qui font appel à une autre technologie », observe-t-il.
Industrialiser le métier afin de réduire le prix de revient des produits
Parallèlement à l’exploration de ces nouveaux marchés, Sabatier SAS n’est pas restée l’arme au pied face à l’inexorable chute des prix constatée sur son secteur d’activité. Alors, afin de capitaliser son savoir-faire et sa vaste gamme de machines, l’entreprise a parallèlement travaillé, avec le soutien du groupe Soudronic, à une industrialisation du métier. « C’est quelque chose que j’avais déjà en tête avant la crise, même si elle m’a amené à aller plus vite. Il s’agit d’aller sur une stratégie d’industrialisation du métier afin de réduire les prix de revient. L’idée est la suivante : si on ne peut plus travailler sur les marges, il faut travailler sur le prix de revient », résume Didier Torrelli. S’il avait « un peu de mal à fédérer tout le monde », depuis la crise est passée par là. « On a toujours besoin d’un coup de pied aux fesses pour se remettre en cause, concède le dirigeant qui n’en a pas pris ombrage. Je continue encore à faire face à du déni, surtout de la part de ceux qui ne voyagent pas beaucoup pour qui ça reste de la théorie. »
Sabatier SAS emploie déjà un personnel hautement qualifié qui maîtrise les technologies de type machine-outil. Les cadres, dont une dizaine d’ingénieurs diplômés, représentent la moitié de l’effectif, alors que l’atelier de montage est composé en partie de jeunes techniciens d’atelier titulaires d’un BTS ou IUT. Or, dans le cadre de cette stratégie d’industrialisation, l’entreprise provençale va encore accroître son niveau d’exigence : elle compte ainsi embaucher dans les deux ans de nouvelles compétences pour remplacer des départs à la retraite. Une condition nécessaire pour s’adapter à la nouvelle donne du marché. « Au bureau d’études, on cherche à recruter plutôt des ingénieurs que des concepteurs, qui soient capables d’assumer des fonctions plus larges : faire du suivi d’affaires, échanger en anglais. Ce sont presque des postes de chefs de projet. Auparavant, ce sont des personnes qui travaillaient avec très peu de contacts avec l’extérieur. Aujourd’hui, ils doivent discuter avec les clients et les fournisseurs étrangers du suivi des affaires », détaille Didier Torrelli.
Une stratégie à double détente qui a permis à l’entreprise de surnager durant la crise. Mais la prudence reste de mise. « Je suis incapable de dire quand on retrouvera le niveau de rentabilité que l’on avait avant la crise. L’objectif à court terme était de sauver les meubles. Il n’est pas évident pour un actionnaire d’accepter qu’une entreprise perde de l’argent même si elle en a beaucoup rapporté avant : on perd rapidement patience. J’ai réussi à peu près à limiter les dégâts : on est presque à l’équilibre sur les deux dernières années et ce sera à peu près du même tonneau cette année. J’espère revenir au positif l’an prochain, même si ce ne sera pas dans les mêmes proportions qu’auparavant, mais je n’ai pas de visibilité pour la suite », conclut le dirigeant.
Serge PAYRAU