La Chronique littéraire de Christine Letellier-Catoni: deux livres bien tournés sur les grands de ce monde abordent cette rentrée littéraire

Publié le 27 octobre 2015 à  21h13 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h42

Irène Frain offre une reprise stylisée et bien tournée d'un thriller médiatique
Irène Frain offre une reprise stylisée et bien tournée d’un thriller médiatique

«Marie Curie: une vestale de la science déboulonnée» –

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Quand on a tout dit et tout écrit sur les grands de ce monde, reste la petite musique du cœur que deux livres bien tournés abordent en cette rentrée littéraire. Avec un titre suffisamment alléchant, « Marie Curie prend un amant« , s’impose en premier. Irène Frain nous offre une reprise stylisée et bien tournée d’un thriller médiatique qui déjoua la chronique en son temps. Imaginez dans les années 1920 l’icône de la science mondiale, proche de Max Planck, d’Einstein, deux fois Nobélisée prenant un amant cinq ans après la disparition brutale de Pierre Curie, tout en poursuivant leurs recherches communes sur la radioactivité naturelle ! Lequel amant n’est autre que le physicien Paul Langevin, marié, père de quatre enfants, ancien élève de Pierre Curie, un intime de la famille vouant une admiration sans borne à ce couple, au point de s’imaginer être Pierre dans le regard de Marie.
Voilà pour la petite histoire, la dramaturgie ordinaire d’une liaison qui a failli tourner au drame, Marie en « voleuse de mari » condamnée par la vox populi, insultée par la presse, mise à l’écart par la communauté scientifique et tout ceci survient alors qu’elle est seule récipiendaire d’un second prix Nobel – de chimie cette fois – le premier de physique ayant été attribué en 1903 aux époux Curie.
Cette approche de la recherche et de son tout petit monde est soit dit en passant une des parties les plus passionnantes du livre. Elle tempère, apporte sa touche de dignité à un titre qui laisse volontiers imaginer le scandale qu’a créé en ces temps-là la « Polonaise », la « Vestale du radium » en déboulonnant sa statue de veuve de Pierre Curie pour enfiler l’habit de femme libérée !

Dans un hangar de fortune…

En 1903, ce premier Nobel – de physique- consacrait une découverte faite douze plus tôt par le couple, la mise en évidence de deux éléments chimiques, le polonium et le radium. Marie avait eu ensuite l’idée d’appeler les effets qu’ils produisaient la « radioactivité ». C’est dans un hangar de fortune que l’État leur avait alloué, véritable bric-à-brac où toutes les manipulations de flacons remplis de substances radioactives se faisaient sans protection, que le couple a vécu ses heures les plus heureuses, les plus denses d’une carrière commune. Il en ont payé le prix de leur vie: Marie est décédée en 1934 d’une leucémie radio-induite et il est fort probable, selon certains chercheurs, que Pierre qui se plaignait de vertiges, d’une vue souvent trouble et de pertes de l’équilibre en ait subit lui aussi les conséquences: il est mort écrasé en traversant une rue! Était-il trop absorbé dans ses pensées pour ne pas voir le camion fonçant sur lui ou pris de vertiges, il n’a pas su l’éviter? Tiens, tiens… Laurent Binet, en virtuose bavard de cette rentrée littéraire, a préféré travailler sur la « septième fonction du langage » (à partir de la mort accidentelle du sémiologue Roland Barthes, en 1980, avec l’hypothèse qu’il avait été assassiné pour un manuscrit mystérieux) plutôt que sur la science, pour le plus grand profit d’Irène Frain…On ne s’en plaindra pas. Quoi qu’il en soit cette mort subite, violente, de son compagnon de vie va complètement anéantir Marie. « La veuve illustre » comme la traite désormais la presse à scandale reprendra cependant le flambeau, retrouvera cette force incontrôlable qui la montre seule femme participant à un congrès devenu célèbre réunissant à Bruxelles les plus éminents scientifiques de l’époque. Il est question ce jour-là des dernières représentations « de l’espace, du temps et de la matière » – théorie de la relativité et des quanta, de l’instabilité des atomes, du mouvement brownien, de la radioactivité – autant de découvertes qui résonnent de l’immense pas en avant fait par la recherche fondamentale dans ces années-là.

Une documentation fine et percutante

C’est à partir d’un petit livre bleu déniché chez un brocanteur, un de ces livres que les vieux libidineux planquaient autrefois dans leur bibliothèque que Irène Frain, l’auteure a pris conscience de la bombe à retardement qu’avait été pour Marie et son amant la mise au jour de leur vie commune cinq ans après le décès de Pierre Curie. En retrouvant dans les « poubelles » de l’Histoire les coupures de journaux incendiaires, les écrits, la correspondance des uns et des autres et de proches, autant de documents jusqu’alors bien cachés et faisant eux état de la douleur quasiment animale que cette femme a éprouvé lors de la disparition de son époux, douleur aussi partagée par l’intime de la famille, celui qui alors n’est pas encore son amant, le physicien Paul Langevin. Un mélange des genres qui des années plus tard lorsqu’ils devinrent un couple tordra le cou à leur liaison, lui qui a tant besoin de se sentir aimé, reconnu, un type d’une rare intelligence qui pouvait débobiner sans la moindre hésitation trois cents vers de Victor Hugo mais qui souffre de ne point se voir en Pierre Curie dans le regard de Marie. Elle qui ne retrouve pas dans le couple qu’ils forment désormais l’ambition et la combativité du brillant physicien qu’il avait été. Marie qui s’aperçoit, sans rancune et sans regrets « qu’elle rêvait sa vie pour deux ». Deux générations plus tard, une certaine Hélène Joliot-Curie, petite fille des deux Nobélisés épouse un brillant étudiant en physique, un certain Michel Langevin qui n’est autre que le petit-fils de Paul Langevin… Un joli happy end pour une Marie Curie qui n’était pas « un hareng froid » comme se moquait volontiers Einstein !
« Marie Curie prend un amant » par Irène Frain, chez Seuil – 347 pages – 21€.

Churchill / Chaplin : un grand clown, un premier ministre et un chien noir…

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Quel est ce lien étrange, d’amitié, de connivence que partagèrent tout au long de leur vie Charlie Chaplin, le « tramp » des bas-fonds londoniens devenu une star du muet et l’aristocrate Winston Churchill qui allait bientôt sauver l’Angleterre de la
barbarie nazie ?
Ils se sont rencontrés en 1929 à l’une de ces soirées très hollywoodiennes où l’un comme l’autre s’ennuyaient comme des rats morts. Churchill, cigare à la main, sirotait face à l’océan un whisky bien tassé, Chaplin se dandinant d’un pied sur l’autre cherchait à se mettre à l’abri de tout ce monde du spectacle, de la presse, des magnats de l’industrie cinématographique qu’il fuyait depuis son catastrophique divorce dont il n’était pas encore sorti. Ils ont d’abord fait mine de ne pas se reconnaître, puis l’un d’eux, Churchill, engagera l’autre à l’accompagner en promenade sur la plage, tous deux ayant immédiatement compris qu’ils avaient en commun le même ennemi, la mélancolie, ce vague à l’âme insupportable qui les terrassait comme une bête fauve surgissant soudain et capable de les mettre à terre avec un mépris total de ce qu’ils étaient. D’un commun accord ils l’appelèrent « le chien noir » décidant que chaque fois que l’un en serait victime, il appellerait l’autre pour venir le secourir.

Deux destins deux caractères

Churchill devenu un homme d’État sera fidèle à sa promesse, se manifestant d’une manière ou d’une autre à son ami Charlie, Chaplin d’une nature plus changeante y dérogera quelques fois mais ne coupera jamais ce pacte qui durera toute leur vie.
A partir de cette amitié entre ces deux personnages hors norme, l’Allemand Mickael Kôhlmeier a cousu un livre délicieux, truffé d’anecdotes pas connues, brodé de jolies phrases souvent en rapport avec ce diable de « chien noir » que Charlie soignera à l’héroïne tandis que Winston lui préférera les alcools bien tassés. Épinglant ici et là des réactions physiologiques, au moment d’embaucher William Knot, son secrétaire particulier, et même très particulier, Churchill lui dira : « Je pleure tout le temps, il faudra vous y habituer »
Charlie qui aimait jouer au « Puck » ne pouvait s’empêcher d’y ajouter une couche d’humour très offensif quant la bête noire le taraudait. Ainsi, il trouvera drôle en étant témoin d’un défilé nazi à Berlin… Après avoir dîner la veille avec Marlène Dietrich, de comparer Goebbels à un grand clown, refusant de croire qu’il s’agissait d’un homme politique et non d’un collègue artiste, et dira : «Un acteur pareil ferait une belle carrière. Dans le cinéma parlant, il ferait fortune».
Des amis le tirèrent par la manche pour le faire taire, lui rappelant « qu’il était regrettable qu’il ne parle pas l’allemand, il se rendrait compte que cet homme était tout sauf drôle et qu’il n’avait rien d’un clown. «Le « Stirmer », l’organe de propagande nazi venait d’ailleurs de publier un article haineux sur son compte : sur « cet asticot juif américain libidineux et insatiable». Fin de citation.
Un Chaplin qui souffrait en vieillissant des critiques qui l’avaient déboulonné de son statut de génie, Buster Keaton, Harold Lloyd et plus tard les Marx Brothers, de même que Stan Laurel et Oliver Hardy passant pour être non seulement aussi bons que lui mais avaient su le dépasser, ce qui l’attristait profondément et remettait en route cette bête du diable, ce chien noir toujours prétexte à révéler les failles intimes de deux génies d’un siècle en pleine tourmente. Un chien noir qui a fait ainsi se croiser des mondes que tout sépare et que la deuxième guerre mondiale qui se dessine en fond d’écran va unir ou démanteler. Et c’est en cela que cette vraie-fausse et double biographie est passionnante, projetant l’image inavouée, cachée de deux icônes de l’image, le cinéma faisant désormais partie lui aussi de la guerre. Ce livre traduit par Stéphanie Lux se savoure lentement comme un bon whisky.
Deux Messieurs sur la plage de Michael Köhlmeir – Ed. Jacqueline Chambon / Actes Sud – 250 pages – 22 €.

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