Publié le 7 novembre 2015 à 0h59 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h43
« Boussole » de Mathias Enard pour un nouveau Goncourt d’Actes sud –
C’est la troisième fois, après Laurent Gaudé et Jérôme Ferrari, que les éditions Actes Sud sont récompensées par le Prix Goncourt. Cette année c’est avec « Boussole » un très beau roman, enveloppant et musical de Mathieu Enard que la maison installée à Arles a eu les honneurs des académiciens réunis chez Drouant. Cette « Boussole » qui comme celle de Beethoven n’indique que l’Est, et dont on dit que l’illustre musicien l’aurait dénichée dans un magasin de farces et attrapes vous dirige toujours à rebours de la rotation de la Terre, vers l’Orient, là où le soleil se lève, là où vagabondent les rêves, à la recherche peut-être d’un autre Orient, à l’Orient de l’Orient… Cette boussole prend plaisir à vous perdre à la manière de celle du musicien. Laissez-vous glisser dans un vertige de dérision cinglante, emporter loin, très loin dans un brassage de lieux, d’époques, de références savantes, Mathias Enard ayant dédié à son personnage Franz Ritter, musicologue épris d’Orient le soin de vous livrer ses pensées d’insomniaque, un musicologue voyageur qui fait son tour du monde en une nuit enfermé dans une chambre à Vienne.
Entre hier et demain
Un livre époustouflant qui est aussi une quête de l’autre en soi, tout en érudition généreuse qui oblige le lecteur à sortir de lui-même, à se confronter et à accepter d’autres visions d’un monde entre hier et demain, ne serait-ce que pour apaiser les tensions présentes, un monde bâti sur des siècles de fascination. Un livre irréfragable a-t-on envie d’écrire après s’être régalé de la belle intelligence de l’auteur, de son humour à double lecture, où affleure sans cesse une généreuse érudition.
Mathias Enard est un marionnettiste habile tirant toujours les fils qu’on n’attend pas.
En revisitant sa vie, canevas de ce roman, l’auteur évoque des coups de cœur, des rencontres, sa mélancolie d’orientaliste face à l’embrasement du présent, la « Boussole » nous entraînant vers des villes, des pays qui sont une part de lui-même : Istanbul, Alep, Damas, Palmyre, Téhéran, des villes où l’écho de l’actualité se répercute sur les cendres des souvenirs. Quoi de plus logique que l’auteur de ce bon Goncourt l’ait dédié « aux Syriens ».
« Boussole » de Mathias Enard, Ed. Actes Sud, 21,80 €.
Le Renaudot pour Delphine de Vigan
Depuis l’énorme succès en 2011 de son roman « Rien ne s’oppose à la nuit« , un huis clos intense entre une mère et sa fille, Delphine de Vigan, s’est imposée dans le monde de la littérature. Le prix Renaudot vient de lui être décerné pour son livre « D’après une histoire vraie » paru chez Lattès.
Le titre est un peu racoleur mais ne vous y trompez pas, Delphine de Vigan plonge avec malice sa plume dans l’autofiction. Embrouiller les cartes, se perdre volontiers elle-même dans cette domination qu’exerce sur elle une femme manipulatrice, une écrivaine pour célébrités en mal de plume, qui va s’accaparer de son être, avec douceur d’abord « de manière intime et troublante » jusqu’à le vider de toute sa substance, une emprise exclusive au point de l’isoler d’abord puis de la détacher ensuite de ses proches. Avec une impérieuse satisfaction. On passe ainsi de la résilience à la stupeur, de l’angoisse Hitchcockienne qui se dégage d’un film comme Psychose, à la tachycardie stressante que réveille une lecture de Stephen King !!
Ne vous fiez donc pas au titre de ce livre, même si le début le laisse croire, embarquez-vous dans cette histoire un peu glauque, angoissante d’une femme tombée sur l’emprise d’une autre femme qui a failli la détruire. « Le genre de personne qu’un écrivain ne devrait jamais rencontrer« . En entraînant ses lecteurs dans les coulisses de la création, Delphine de Vigan sait les surprendre, naviguant sans cesse entre apparences et faux semblants, entre fiction et réalité. Par ce mélange des codes de la littérature contemporaine elle impose un style singulier, bien rodé à ce thriller psychologique.
« D’après une histoire vraie » de Delphine de Vigan – Éditions Lattès – 350 pages – 19€.
Le Femina à Christophe Boltanski
Pour son livre sur « l’Occupation » Christophe Boltanski a remporté le prix Femina, une belle et juste récompense pour « La Cache« .
Avec ce premier roman, le journaliste à l’OBS Christophe Boltanski, 53 ans, nous invite à le suivre dans l’hôtel Particulier parisien qu’occupaient ses grands parents pendant la seconde guerre mondiale. Il nous fait découvrir l’univers particulier d’une maison où il a grandi. L’histoire d’une famille, aussi tourmentée que géniale, que l’on découvre en visitant ce lieu encore aujourd’hui mémoire des horreurs de la seconde guerre mondiale. Les ruses, les cachettes qu’inventèrent les siens, son grand-père notamment converti au catholicisme qui y resta planqué 20 longs mois pour échapper aux rafles, à la barbarie nazie. On est dans le vécu, l’instantané qui a résisté au temps qui passe, le palpable à fleur de peau, c’est à la fois poignant et écrit avec suffisamment de retenue pour donner toute sa puissance à un texte, une mise en lumière d’événements qui se percutent sans dissonance par cet auteur qui a reçu en héritage « la peur du pire ». Cela tient du journal d’Anne Frank et du grand reportage.
« La Cache » roman-vrai des Boltanski paru chez Stock est la révélation d’un écrivain avec qui il faudra désormais compter.
Les autres primés et…les oubliés!
Seule femme figurant dans la dernière liste des Goncourables, Nathalie Azoulai a finalement décroché le prix Medicis avec « Titus n’aimait pas Bérénice« , son sixième roman. Une immersion dans le siècle de Louis XIV pour évoquer avec un immense talent, la plume est fine, subtile, très contemporaine aussi, un simple chagrin d’amour version 2015. C’est l’histoire d’une femme nommée Bérénice qui, lorsque son amant Titus met fin à leur liaison pour rester avec son épouse légitime Roma, va se réfugier dans la Bérénice du Grand Siècle, version 1670 persuadée que « si elle comprend comment Racine, ce bourgeois de province a pu écrire des vers aussi poignants sur l’amour des femmes, alors elle comprendra pourquoi Titus l’a quittée« . Un livre aussi décalé que surprenant. Il méritait bien un prix.
Parmi les autres grands favoris de cette rentrée Boualem Sansal pour « 2084 » a quand même reçu le Grand Prix de l’Académie Française ex-aequo avec Hedi Kaddour pour « Les Prépondérants« .
Quant à Christine Angot elle a réussi à enlever à Judith Perrignon le Prix Décembre. Une fois encore, Victor Hugo est mort !