Conseil général des Bouches-du-Rhône : la métropole déchaîne la foudre sur le gouvernement et provoque le départ de la ministre

Publié le 22 juin 2013 à  2h30 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  15h38

Malgré un ordre du jour a priori pas à même de déchaîner les passions, l’hémicycle du conseil général a été le théâtre d’une spectaculaire passe d’armes ce vendredi sur fond de métropole. Alors Martine Vassal (UMP) a pointé les carences du texte voté au Sénat le 6 juin, des élus de gauche ont ensuite carrément brocardé le projet de loi gouvernemental. Insupportable pour la ministre marseillaise du gouvernement, Marie-Arlette Carlotti (PS), qui a décidé de quitter l’hémicycle.

La séance n'a pas été aussi paisible que prévu ce vendredi dans l'hémicycle du conseil général. (Photos S.P.)
La séance n’a pas été aussi paisible que prévu ce vendredi dans l’hémicycle du conseil général. (Photos S.P.)

Jean-Noël Guérini a observé l'échange entre Martine Vassal (UMP) et des élus de gauche avant de saisir l'occasion pour réaffirmer sa totale opposition au projet de loi contre lequel il a voté le 6 juin au Sénat.
Jean-Noël Guérini a observé l’échange entre Martine Vassal (UMP) et des élus de gauche avant de saisir l’occasion pour réaffirmer sa totale opposition au projet de loi contre lequel il a voté le 6 juin au Sénat.

C’est par un moment d’émotion qu’a débuté la séance plénière du conseil général des Bouches-du-Rhône de ce vendredi 21 juin. Ayant appris le décès survenu dans la nuit à l’âge de 77 ans du docteur Robert Villani, ancien élu départemental, ancien conseiller régional, adjoint aux Sports de la ville de Marseille de 1995 à 2008 durant les deux premières mandatures de Jean-Claude Gaudin (UMP), Jean-Noël Guérini (PS) a tenu à saluer sa mémoire avant que les débats ne débutent. « Il avait été conseiller général de 1985 à mars 1998. C’était un chirurgien hors pair. Au-delà de nos différences politiques, c’est un ami personnel que je perds, un véritable ami », témoigne très ému le président du conseil général. Après avoir indiqué qu’il lui rendra hommage lors de la prochaine séance publique de l’assemblée départementale, Jean-Noël Guérini a appelé à ce que « nous ayons une pensée pour sa femme et ses enfants, pour l’homme politique qu’il était au service du bien public et pour l’homme qu’il était qui transcendait les divergences politiques » avant de faire observer une minute de silence à la mémoire de Robert Villani.
L’ordre du jour de la séance, en ce premier jour de l’été, n’était ensuite riche que de 17 rapports, dont l’approbation du compte administratif, la dernière étape du cycle budgétaire, constituait le morceau de choix. Des délibérations auxquelles se rajoutait le vote de deux motions, l’une de soutien à la SNCM et la seconde contre la hausse de la TVA sur les billets de cinéma. La droite s’étant récemment abstenu, en accordant quelques bons points, sur le budget 2013, et les deux motions portant sur des sujets où se dégageait a priori un consensus politique, rien ne laissait présager des débats politiques d’une grande intensité en ce jour de Fête de la Musique.
Pourtant, c’est une délibération a priori anodine, le rapport numéro 4 portant sur la dissolution de l’établissement public territorial de bassin Territoire Rhône qui a alors suscité une spectaculaire passe d’armes. Plusieurs départements ont entamé depuis deux ans un processus de sortie de l’institution constituée en 1987 et devenue en 2001 un établissement public. « Le but de cette association était la valorisation de la voie d’eau. C’est un établissement public dont les ressources étaient portées par les Départements. Suite à une restructuration qui a abouti à la création du plan Rhône, nous sommes amenés à réfléchir à la demande de l’établissement public qui n’a pas trouvé son utilité sur le moyen Rhône. C’est une décision dans le sens de l’intérêt général et la préservation des ressources des collectivités locales », explique Hervé Schiavetti (PCF).

« Un gouvernement qui s’est retourné contre ses propres amis »

Martine Vassal, présidente du groupe « L’Avenir pour le 13 » (UMP, Nouveau Centre et apparentés), prend alors la parole en évacuant immédiatement l’objet de la délibération. « Le groupe « L’Avenir pour le 13 » se prononce en faveur de cette délibération qui prend acte de la démarché engagée en ce sens par le président du conseil d’administration de Territoire Rhône », indique-t-elle. Avant de préciser qu’elle saisit « l’occasion de ce rapport pour aborder les profondes mutations institutionnelles auxquelles nos territoires vont se voir confrontés ». Et d’évoquer bien entendu l’adoption, le 6 juin dernier par le Sénat, du « projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles », et notamment celle d’Aix Marseille Provence. Alors que « désormais, le débat se déplace au niveau de l’Assemblée Nationale », Martine Vassal estime que « nous sommes face à un véritable « big bang » démocratique et institutionnel, qui pourrait révéler une bien douloureuse illusion que nous refusons avec vigueur ».
La présidente du groupe « L’Avenir pour le 13 » revient alors sur l’origine du débat sur la métropole avec « le rapport publié le 5 mars 2009 par le Comité Balladur, dont faisait partie Pierre Mauroy, pour la réforme des collectivités » qui a abouti, « après plus d’un an d’examen au Parlement », à la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. « Loi condamnée par vos amis dès leur arrivée au gouvernement, et qui sera très bientôt balayée d’un revers de main. Contre toute attente, le comité interministériel tenu en grande pompe par le nouveau gouvernement le 6 septembre 2012 a amené dans ses bagages la même idée métropolitaine que vous pensiez morte et enterrée ! Alors que la première bataille de la métropole avait été une bataille nationale opposant la gauche à la droite, la seconde bataille n’est plus qu’un combat local opposant une centaine de maires et une poignée de parlementaires des Bouches-du-Rhône à un gouvernement qui s’est, il faut bien le dire, retourné contre ses propres amis », assène Martine Vassal.
Elle évoque alors un « résultat sans appel : les quatre sénateurs socialistes du département n’ont pas réussi à faire adopter le moindre amendement au projet de loi du gouvernement, et ont été les seuls de leur groupe politique à voter contre lors du scrutin du 6 juin », lance-t-elle à l’attention de Jean-Noël Guérini, également sénateur des Bouches-du-Rhône.
Ce dernier ne tarde pas à réagir : « On est quand même arrivé à 38 voix contre au Sénat », rectifie-t-il. Martine Vassal n’en démord pas : « Je parlais des sénateurs socialistes ». Et le président du conseil général du tac au tac : « Quelques socialistes aussi ont voté contre », assure-t-il. Ce qui n’empêche pas la présidente de « L’Avenir pour le 13 » de persister : « C’est malheureusement une défaite politique », lance-t-elle en se tournant vers la gauche de l’hémicycle de l’assemblée départementale.

« Le modèle métropolitain, dont le gouvernement a accouché, risque de déboucher sur une véritable usine à gaz »

Et de juger qu’« il en va ainsi car vous avez voulu livrer une bataille politique ». « Parce que vous n’avez jamais considéré l’action publique territoriale autrement que sous un angle politique, politicien, partisan. Or, nous considérons, dans notre groupe politique, que l’idée métropolitaine est une idée d’intérêt général », martèle-t-elle. Elle estime ainsi que « cinquante ans après l’occasion manquée de 1966, Marseille ne doit pas rater le rendez-vous de la métropole », afin de faire « entrer notre agglomération dans le XXIe siècle où la compétition des grandes zones urbaines est sans pitié pour celles qui refusent de s’adapter ».
Elle loue dans la foulée « l’action exemplaire de Jean-Claude Gaudin au Sénat ». « Plutôt que de s’arc-bouter sur un refus aussi inconditionnel que stérile, le sénateur-maire de Marseille a choisi la voie d’un dialogue loyal avec un gouvernement – qui a pourtant beaucoup promis à Marseille mais bien peu tenu -, tout en entendant les craintes des autres maires des Bouches-du-Rhône et en leur tendant la main. Grâce à lui, non seulement Marseille, entre autres avantages légitimes, disposera enfin au sein du Conseil de la Métropole d’une représentation conforme à son poids démographique (106 sièges sur 238), mais chaque commune, y compris les plus petites, y disposera d’au moins un siège », tente-t-elle de convaincre là où le premier magistrat phocéen n’y est, pour l’heure, pas parvenu.
Mais, après ce discours dithyrambique sur la métropole, parce que « l’enfer est pavé de bonnes intentions », Martine Vassal pointe également que « le modèle métropolitain dont a accouché dans la plus grande douleur le gouvernement est perclus de graves carences » et « risque de déboucher sur une véritable usine à gaz bureaucratique et d’ajouter une nouvelle couche au millefeuille territorial administratif français ». « Que sont en effet les futurs conseils de territoire, placés entre les communes et le Conseil de Métropole, sinon les fantômes des anciennes intercommunalités, avec leurs présidents, leurs vice-présidents et leurs compétences attribuables par la métropole ? », s’interroge-t-elle, soulevant là des critiques bien plus vives que celles que peut être amené à formuler Jean-Claude Gaudin.

« Je n’ai pas véritablement compris si Martine Vassal est pour ou contre la métropole »

Et les réserves sur le contenu de la loi adoptée en première lecture au Sénat ne s’arrêtent pas là. La présidente de « L’Avenir pour le 13 » estime en effet qu’« à l’impotence administrative s’ajoute l’incurie budgétaire ». « Depuis des mois, nous dénonçons le désengagement financier de l’Etat vis-à-vis des collectivités territoriales pour ce qu’il est : un véritable abandon en rase campagne au moment où la crise fait rage. Comment le Grand Paris peut-il bénéficier d’un financement indécent de 30 Mds€ alors que la métropole marseillaise n’aura droit qu’à l’aumône de 15 M€ par an ? Il s’agit d’une humiliation insupportable », lance-t-elle en direction de Marie-Arlette Carlotti, conseillère générale et ministre déléguée aux Personnes handicapées et à la Lutte contre l’exclusion.
Martine Vassal conclut en soulignant que « la métropole ne doit pas aller trop loin, ne doit pas aller trop vite et surtout ne pas se faire à n’importe quel prix » dans des intonations rappelant pour le coup celles du maire de Marseille.
A gauche de l’hémicycle, la réponse ne va tarder à venir, à commencer par Michel Amiel, le maire des Pennes-Mirabeau qui a quitté le PS à cause de son opposition à ce projet de loi. « Je n’ai pas véritablement compris si Martine Vassal est pour ou contre la métropole. Ce que je sais, c’est que Jean-Claude Gaudin est pour et une seule phrase suffit à résumer son état d’esprit : « La seule chose qui m’intéresse dans le débat sur la métropole, c’est Marseille ». Alors quand après on nous traite d’égoïstes… », ironise-t-il.
Il s’adresse ensuite à la présidente de « L’Avenir pour le 13 ». « Là où je vous rejoins, c’est qu’un amendement a encore privé de 20 M€ de recettes la métropole marseillaise », précise-t-il, et d’y voir « un mépris pour Marseille et l’ensemble du projet métropolitain » dans des propos visant clairement l’action du gouvernement socialiste.
Michel Amiel assure également qu’« on est tous à peu près d’accord pour le projet métropolitain ». « Les 109 maires n’ont jamais dit qu’ils étaient contre, notamment en matière de transports. Le problème c’est l’outil », insiste-t-il. Il remet aussi en cause la répartition des élus au sein de la métropole prônée par Jean-Claude Gaudin. « Il y aura un représentant pour un village de 239 habitants et un pour une ville de 20 000 habitants : c’est une représentation proportionnelle qui laisse à désirer. Marseille s’est taillée la part du lion et il y aura bien quelques maires qui la rejoindront », analyse-t-il laissant entendre que, selon lui, la cité phocéenne n’aura guère de difficultés à disposer d’une majorité absolue.

« Accordez-moi le bénéfice de la constance »

Et le maire des Pennes-Mirabeau d’enfoncer le clou en visant le gouvernement de manière tout aussi virulente, voire plus, que ne l’avait fait Martine Vassal. « La loi est aussi mauvaise que celle que j’ai combattue de Nicolas Sarkozy. Je vois mal comment je peux défendre la loi de Marylise Lebranchu qui en reprend les grandes lignes et les durcit », dénonce-t-il.
C’est ensuite au tour de Daniel Fontaine (PCF), le maire d’Aubagne, de monter en créneau. Après avoir dénoncé « une intervention politique pour régler des comptes qui n’a rien à voir avec l’intérêt de la population du département », il indique regretter « personnellement » la position du Sénat. « Nous avons besoin d’un projet économique qui verra la mise en place d’un projet politique. Or, rien de tout cela n’est proposé aujourd’hui, ce n’est que l’intérêt personnel de quelques-uns », assène-t-il. Et de juger que la mise en place d’une métropole de 90 communes « ne permettra pas au département d’évoluer et n’aidera pas au développement de Marseille ». « Au nom d’aider Marseille, il ne faut pas nous entraîner dans une voie inconnue », signale-t-il.
Enfin, soulignant que le département « a besoin d’être solidaire », il observe que « ce n’est pas la voie utilisée par les gouvernements, d’hier et d’aujourd’hui, à quelques mots près », mettant dans le même sac sur ce dossier l’ancien gouvernement de François Fillon (UMP) et celui de Jean-Marc Ayrault (PS).
« Sur ce projet de loi, accordez-moi le bénéfice de la constance », lance ensuite Jean-Noël Guérini. « Je n’étais pas le seul au PS, vent debout, à avoir voté contre la loi du 16 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales. Et la loi présentée par le Premier ministre et la ministre Marylise Lebranchu, c’est du « papier collé », je dis bien « papier collé » », dénonce le président du conseil général.
Il souligne également qu’il n’est pas isolé sur « un dossier qui divise la gauche, mais aussi la droite ». « 109 maires, dont 11 de MPM, six sénateurs socialistes et six présidents d’Etablissement public de coopération intercommunale (EPCI) sont opposés à ce projet de loi. Or, ils sont les mieux placés pour juger de l’intérêt de leur territoire », plaide-t-il estimant ainsi qu’il n’est lui-même « nullement déconnecté des réalités du terrain ».
Jean-Noël Guérini brocarde aussi l’exemple lyonnais si souvent mis en avant par les partisans de la métropole. « A Lyon, la sociologie est complétement différente. Tout d’abord, Lyon distribue de la richesse. Et il y a eu un accord politique entre le maire de Lyon et l’ancien président du conseil général du Rhône : la majorité des élus y est favorable », signale-t-il.

« La ministre, elle n’aime pas la démocratie, elle n’aime pas la liberté de parole »

Estimant que lorsque la loi va venir en débat à l’Assemblée nationale, « ça va être encore pire », il juge « qu’on aurait pu parvenir à un consensus politique sur le pôle métropolitain » qui aurait, selon lui, « permis une meilleure efficacité dans les politiques du territoire ». « Le projet du gouvernement, et ce n’est là qu’un constat, est inadapté à la situation actuelle », assène-t-il, assurant que « si la métropole devait régler tous les problèmes, je voterai sans problème ».
Cette nouvelle attaque contre l’action gouvernementale est insupportable pour la ministre Marie-Arlette Carlotti qui décide alors de quitter l’hémicycle, indiquant qu’elle en a « marre d’entendre des trucs contre le gouvernement ». Lors d’une conférence de presse improvisée dans son bureau à l’issue de la séance, elle dénoncera « la collusion avec la droite d’un homme en perdition qui profite de sa tribune de président » jugeant que Jean-Noël Guérini est « le principal opposant du gouvernement dans le département », qu’il « n’est plus animé par l’engagement politique mais seulement par l’amertume, l’aigreur ».
Jean-Noël Guérini ne sera pas plus tendre au cours de la plénière avec celle qui est sa plus farouche opposante en interne. « La ministre, elle n’aime pas la démocratie, elle n’aime pas la liberté de parole », lance-t-il en direction de Marie-Arlette Carlotti quittant l’hémicycle. Avant d’enchaîner en réaffirmant son opposition à la loi : « Si la métropole était la condition nécessaire au redressement de Marseille… : j’aimerais le croire, mais permettez-moi d’émettre des doutes ».
Une opposition qui a toutes les chances de s’inscrire dans le temps. « En deuxième lecture au Sénat le 15 septembre, s’il n’y a pas de modification profonde de la loi, je confirmerai mon vote comme d’autres sénateurs socialistes », prévient-il. Un projet de loi contre lequel il s’offrira une nouvelle saillie en guise de conclusion : « Avec cette loi, on aura quatre strates administratives de plus et le coût de fonctionnement sera multiplié par 5. L’autorité des maires disparaîtra : ce ne seront plus que des collaborateurs du président de la métropole. Et je souhaite bien du courage aux 118 maires du département face aux défis qui se posent à eux, avec des dotations globales diminuées, pour savoir comment ils font faire pour gérer leur commune », résume Jean-Noël Guérini.
L’a priori très anonyme rapport 4 a ensuite été adopté… à l’unanimité !

Serge PAYRAU

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