Publié le 22 décembre 2015 à 17h08 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h31
Parmi les nombreux débats qui furent exposés radicalement lors de ces élections régionales, il y en eut deux, participant de la même dynamique sociétale : le «comment vivre (collectivement) ensemble » et le sentiment «d’insécurité culturelle [[Je renvoie à l’excellent ouvrage de Laurent Bouvet : « l’insécurité culturelle », Fayard, 2015]]» réelle ou supposée. Le premier débat sur le «vivre ensemble» vidé de son sens, s’avère très complexe, car il sous-tend qu’il faille répondre à notre définition de la proximité assumée, concept hautement inflammable. Le second pose la question du courage politique pour trouver une autre solution entre le délire d’unité culturelle immuable et l’auto-flagellation incarnée par une certaine classe dirigeante. Ces deux options antagonistes à toute vision nuancée de la relation entre groupes de cultures différentes, ont secoué fortement les fondations de la maison France.
En finir, définitivement, avec les frères ennemis idéologiques
Une partie des forces idéologiques de ce pays, jusqu’aux attentats du 13 novembre, avaient fait leur le multiculturalisme comme un atout démocratique dans un présupposé sens de l’Histoire. Convaincus que la démocratie ne devait plus se penser en dehors de la quête de nouveaux droits pour les minorités ethniques, toute barrière à un flux migratoire, pleinement légale et votée, devenait une «stigmatisation», une insulte jetée au front de l’Humanité en marche vers son uniformisation heureuse.
Abandonnant ainsi la quête des valeurs centrales de cohésion issues de principes de vie gréco-romains et judéo-chrétiens, ces forces politiques et sociétales s’engouffrèrent vers les droits à la différence, sans anticiper qu’un jour, un ou plusieurs groupes, réclameraient la différence des droits, voire leur anéantissement. Dès lors, l’appétit démocratique légitime s’est opposé brutalement à la vigilance républicaine, gardienne des équilibres d’une société (laïcité) et des enjeux de réciprocité qui la composent (liberté, égalité et fraternité).
C’est ainsi que la laïcité, paradoxalement, s’est alors retrouvée en partie ligotée aux désirs de l’autre parti, celui de l’obsession identitaire par le vote des insécurisés de l’identité ne faisant que mettre en lumière le manque de croyance de ces électeurs sur la force de leur propre identité et l’ignorance de leurs propres fondamentaux culturels.
Ces deux idéologies apparemment ennemies participent de la même conception biologiste de la vie. Les adorateurs de la diversité, d’une part, pensent qu’étant partout dans la nature, la différence doit devenir le moteur de la cohésion. Les adorateurs de l’Un, d’autre part, réfute cette pensée avec les mêmes arguments : une racine est une au départ, tout l’arbre doit donc l’être. C’est faire fi d’une autre constante : le système immunitaire symbolique. Tout corps physique, politique et social doit avoir une limite, une frontière, une peau. Autrement dit, le débat ne porte pas que sur la cohabitation intérieure dans la société mais sa capacité à faire sens commun. C’est, là, le passage entre une société multiculturelle où cohabitent des groupes de cultures différentes à l’aveugle et la société interculturelle où ils se transcendent en vue d’une cause commune.
Commencer par les Régions
Pour les nouveaux présidents des régions, premiers élus en dehors du bipartisme, c’est une formidable occasion, en même temps que d’être une obligation, que de poser les premières bases d’une véritable société interculturelle car ils président le maillon territorial le plus humainement intéressant pour répondre à cette question majeure : en quoi être Français répond-il à la joie de vivre sur cette Terre ? Et quelle part de grandeur porte-t-il en lui pour le monde, pour la vision de l’Homme libre, sans vouloir soumettre quiconque ?
Ce grand pari, l’État ne pourra pas le faire seul. L’Éducation nationale s’avère être au maximum de ses capacités, voire de ses compétences quand elle n’est pas tout simplement en souffrance dans ces établissements. Les Régions peuvent jouer un rôle dans leurs compétences culturelles et lutter pour préserver, non seulement, l’essentiel d’une culture régionale mais surtout lier la force de la culture française à toutes les autres, dans ce qu’elle a de plus grand, de plus ouvert, sur tous ses territoires.
D’ateliers culturels sur les héritages français à la vision de l’homme libre dans le monde, en passant par le «billet SNCF culturel gratuit » pour tout jeune dans sa région sur un parcours jalonné de l’histoire de France et de cette région afin de mieux les intégrer et les ressourcer ; s’annoncerait l’aurore du long combat qui nous attend pour redéfinir ce que serons… ensemble.
Alain CABRAS Dirigeant Odysseus- Cabinet en Intelligence Interculturelle
Chargé d’enseignements à Aix-Marseille Université