Publié le 23 décembre 2015 à 10h20 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 20h57
La lecture de l’essai de Jérôme Sainte-Marie, consacré à la dislocation de notre système représentatif, interpelle. La Gauche a perdu ses désirs d’avenir et n’est pas vraiment à la fête électorale. La Droite, incapable d’analyser ses pratiques gouvernementales, s’enferre dans une course poursuite avec le Front National qui monte, qui monte… De quels orages sont porteurs les résultats des élections régionales?
Deux tours d’élections régionales ont-ils vraiment changé notre horizon politique? Le 13 décembre a contenu le brun des urnes, mais le constat est là : un mois après les attentats de Paris, la vague de compassion tricolore a laissé la place à une forte poussée de la droite bleu marine, face à laquelle les Républicains et le Parti socialiste ont résisté avec des fortunes diverses. Et dans ce scrutin sans vainqueur, que de défaites, que de perplexité et d’inquiétudes!
Même s’il a été publié bien avant ce scrutin, les thèses du livre de Jérôme Sainte-Marie seront confortées avec ces résultats qui mettent en mouvement des cristallisations qui, si rien ne change, trouveront leur conclusion en 2017.
Pour cet excellent connaisseur des mouvements d’opinion, qui sait lire les signes cachés derrière les courbes de popularité, les aléas des intentions de vote et le verdict des urnes, l’évidence est là : le clivage gauche-droite ne tient plus face à l’irrésistible poussée du Front national.
En mars dernier, deux mois après «Charlie», l’extrême-droite a dépassé ses plus hauts scores historiques aux élections départementales. Avec les régionales, le Front a accentué sa progression, obligeant la gauche à se retirer dans le Nord et le Sud, et limitant les rêves de reconquête de Nicolas Sarkozy.
Le pacte de sécurité a bousculé le pacte de stabilité, laissant entrevoir une nouvelle vie pour un Président tâtonnant, désigné du bout des urnes en 2012. Parallèlement, l’ancien locataire de l’Élysée, fort de sa présidence du parti « Les Républicains », persiste et signe dans sa stratégie du « ni-ni ». Et la famille Le Pen, dénonçant le complot du système, enregistre ses progrès et attend son heure. Cette décomposition politique est au cœur des analyses du « Nouvel ordre démocratique », essai d’une précision horlogère, au fil duquel Jérôme Sainte-Marie laisse entrevoir la mise en forme d’une nouvelle opposition entre libéraux et identitaires. Car c’est cela qui travaille la France, ce vieux pays. Ce retour de l’identitaire, incompris par l’énarchie, permet aux partisans de l’ordre, de l’autorité et de la famille Le Pen de se friser les moustaches. Sans rien faire, sans bouger, l’extrême-droite amasse, profite et prospère. Chômage, migrants, Europe: tout est bon pour le rassemblement bleu marine…
Sociétal contre social
Sans négliger l’appui d’une cinquième colonne, celle des éditorialistes, écrivains ou philosophes souverainistes, qui selon Jérôme Sainte-Marie, viennent prouver ce glissement de terrain. Les Zemmour-Finkielkraut-Houellebecq -pour ne citer qu’eux- sont autant d’agents porteurs de cette nouvelle bipolarité, appuyés par le renfort d’un De Villiers. Mais, pour quelles raisons, le pays des Droits des Lumières, succombe-t-il, non sans faire de résistance, aux pièges de l’extrême-droite? Jérôme Sainte-Marie évoque avec justesse les différences entre la France et la Grèce ou l’Espagne, tout au long du retour du «souverain», (chapitre VIII).
Par ailleurs, il évoque comment s’est effectué l’effacement progressif de la Gauche dans le sud de la France, dans les Alpes-Maritimes notamment, où le face à face droite-extrême droite ne laisse aucune place à la gauche. Nice, par exemple, (pages 51/52), la ville de Virgile Barrel, ce communiste qui a terminé sa carrière comme doyen de l’Assemblée nationale en 1978, ville où Max Gallo mitterrandolâtre avant de virer sarkophile, échoua d’une poignée de voix devant Jacques Médecin aux municipales de 1977. La suite? Elle vient de sortir des urnes : où est aujourd’hui la gauche sur la Côte d’Azur, en Provence? Certainement pas dans l’hémicycle du Conseil régional ! Évidemment, des chiffres le rappellent, depuis des années, cette Gauche, mal à l’aise dans sa pratique gouvernementale, est devenue une peau de chagrin sous les effets de l’abstention. Sa timide conversion libérale, non assumée, ou surjouée quand Macron s’en empare pour soigner son image, ne peut se résumer à un abandon du monde ouvrier dont il faudrait aussi se demander ce qu’il est devenu, dans le contexte d’une mondialisation mal comprise, mal expliquée et mal gérée.
Toutefois, n’oublions pas, souligne Jérôme Sainte-Marie, que le Front national mettant en route avec Florian Philippot et Marine le Pen une machine à rassembler la France du «non» à Maastricht, (p.135,136,137), reste un parti au discours économique anti-euro inacceptable pour les retraités.
Un Parti qui dispose désormais d’un confortable réservoir d’élus régionaux, qui auront pour tâche de faire oublier qu’ils appartiennent à une entreprise familiale, profitant depuis 1986, de réactions rageuses face à la crise, d’une forte colère face à des politiques piégés par les mirages de l’information en continu, qui face à un micro, croient que dire, c’est faire et qu’une fois que c’est dit, c’est fait…
Les ressorts du Front républicain, on en veut pour seule preuve les résultats de bureaux de vote « dits » de gauche à Marseille, dans le Sud, ou bien encore dans les grandes villes, prouvent que le parti de Stéphane Ravier ne « remplace » pas le Parti communiste dans des banlieues abandonnées de tous. Il occupe le terrain, chez les précaires, les «oubliés», les sans-grade, délaissés par l’absence d’une alternative économique et sociale efficace. Reste à savoir comment, demain, au-delà de cette chronique de «défaites sans avenir», maintes fois annoncées, émergeront d’autres pistes pour un «nouvel ordre démocratique» qui ne soit pas de couleur brune.
Baptiste Bilghert
« Le nouvel ordre démocratique » de Jérôme Sainte-Marie – Éditions du Moment – 17,95€ euros – 230 pages.