Publié le 6 janvier 2016 à 23h12 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 21h32
L’épiphanie, fête religieuse se déroulant le 6 janvier, célèbre la venue au monde du Christ (enfanté par la Vierge Marie) et sa présentation aux rois mages. Des rois mages guidés par une « Étoile » exceptionnelle ayant permis à ces derniers de parvenir à Bethléem et jusqu’à l’étable où est né Jésus Christ. Mais était-ce vraiment une « étoile » au sens où on l’entend couramment? Michel Marcelin, chercheur au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille nous fait partager les différentes hypothèses émises par les scientifiques pour expliquer ce phénomène extraordinaire. Entretien.
Destimed: Quel serait donc ce phénomène astronomique extraordinaire ?
Michel Marcelin: Plusieurs phénomènes astronomiques peuvent être envisagés et pas uniquement une étoile au sens strict (qui est vraisemblablement le résultat d’une traduction simplificatrice) :
-Une Nova ou une Supernova ? C’est peu vraisemblable car aucune apparition d’étoile nouvelle n’est relatée à l’époque. On a des tables babyloniennes de l’époque (en écriture cunéiforme) qui donnent avec précision les phénomènes célestes remarquables ainsi que la position des planètes dans le ciel au jour le jour.
– Une comète ? Plusieurs passages de comètes ont été notés à l’époque par les Astronomes chinois (on y reviendra un peu plus loin). Le peintre Giotto a d’ailleurs représenté l’adoration des mages avec une comète dans le ciel, sur une fresque de la chapelle Scrovegni à Padoue. Cette comète est vraisemblablement la célèbre comète de Halley qu’il a pu voir passer dans le ciel en 1301 et qu’il a représentée dans son œuvre quelques années plus tard.
-Une étoile filante ? C’est impossible car ce phénomène est trop éphémère.
-Un autre phénomène céleste ? Un rapprochement planétaire particulier pourrait avoir attiré l’attention d’observateurs du ciel à l’époque. Le grand astronome Johannes Képler s’est intéressé à la question et a publié, en 1614, des travaux qui montrent que les planètes Jupiter et Saturne se sont rapprochées à trois reprises en l’an 7 avant JC : en mai, octobre et décembre. Ce phénomène, bien visible à l’œil nu dans la constellation des poissons, fut selon lui suffisamment marquant pour des observateurs du ciel de l’époque du Christ.
Mais le phénomène mentionné par Képler s’est produit bien avant la naissance du Christ ?
Pas si sûr ! En effet les historiens sont tous d’accord pour dire que la vraie date de la naissance du Christ est bien antérieure (de plusieurs années) à la date officielle. Ils sont d’accord pour situer la mort d’Hérode en l’an 4 avant JC, ce qui implique de fait que le Christ est né avant.
Ce phénomène de rapprochement planétaire, déjà noté par Képler, était-il si extraordinaire pour que les mages y accordent une telle importance et partent en « mission »?
Les deux planètes (Jupiter et Saturne) sont restées pendant 8 mois très proches l’une de l’autre (ne s’écartant jamais de plus de 3°). Elles se sont rapprochées à 1° l’une de l’autre (2 fois le diamètre de la Lune) à trois reprises : en mai, en octobre et en décembre de l’an 7 av. J-C. Un tel phénomène ne se produit que rarement (le calcul montre que c’est la seule triple conjonction Jupiter-Saturne observable dans la constellation des Poissons entre 600 av. JC et… 2400). De plus il se produit alors dans la constellation des Poissons, signe rattaché à Israël dans la symbolique de l’époque. Cela peut expliquer que les Mages l’interprètent comme l’annonce de la naissance d’un roi en Israël.
Mais cela ne correspond pas à un astre qui aurait pu guider les rois mages jusqu’à Bethléem…
Oui, mais on peut imaginer que c’est pour eux un premier signe et ils vont donc se tenir prêts et être attentifs à d’autres phénomènes. A l’époque on faisait souvent le lien entre les phénomènes célestes et les événements se produisant sur Terre. On sait bien aujourd’hui que les étoiles, les planètes ou les comètes n’ont aucune influence sur notre vie quotidienne mais cela n’était pas le cas, il y a deux mille ans.
Et quels seraient alors ces phénomènes si particuliers qui ont décidé les rois mages à se mettre en route ?
Le 20 février de l’an 6 avant JC s’est produit un spectaculaire rapprochement planétaire, toujours dans la constellation des Poissons. Jupiter, Saturne et Mars sont accompagnées par un croissant de Lune dans les lueurs du couchant. L’ensemble s’étend sur 6° environ et peut donc quasiment être masqué par le poing à bout de bras. Venant juste après la triple conjonction, ce rapprochement planétaire peut être interprété comme un signe supplémentaire par les mages. En effet, les prophètes annoncent depuis longtemps la venue du Messie en Israël, notamment Isaïe (qui a vécu à Jérusalem au 8e siècle avant JC) dont le livre a été retrouvé in extenso en 1947 dans les fameux manuscrits de Qumran (manuscrits de la mer morte) sous forme d’un rouleau de cuir.
D’accord. Après ce deuxième signe du ciel, on peut donc imaginer que les rois mages se mettent en route vers Israël. Mais il faut ensuite qu’ils soient guidés jusqu’à Bethléem, l’astronomie peut- elle nous apporter une explication ?
On peut même imaginer un scénario dans lequel les rois mages attendent un troisième signe du ciel avant de partir. Et une comète pourrait bien être le phénomène céleste ultime qui va les décider et, mieux encore, les guider finalement jusqu’à Bethléem.
Grâce aux astronomes chinois on peut savoir quelles sont les comètes qui ont été observées à l’époque de la naissance du Christ. Trois comètes ont été observées alors, en moins de dix ans. Il y a tout d’abord la célèbre comète de Halley, mais elle est passée trop tôt (en 12 avant JC) et une autre comète est passée trop tard (en avril de l’an 4 avant JC). En revanche la comète observée en l’an 5 avant JC est la plus intéressante. Elle apparait dans la constellation du Capricorne le 9 mars de l’an 5 avant JC et va rester visible pendant 70 jours environ. De plus, c’est la seule des trois pour laquelle les astronomes chinois ont noté une queue bien visible. Cette comète est observable tout d’abord le matin en direction du sud-est, dans le Capricorne, elle se déplace ensuite petit à petit vers le sud. Les rois mages rencontrent Hérode à Jérusalem au printemps de l’an 5 avant JC. Cette rencontre a été représentée par le peintre italien Matteo di Giovanni vers 1490 (son tableau est conservé au Musée des Beaux Arts de San Francisco). Si les mages se sont mis en route dès le mois de mars, en partant de Perse, Mésopotamie et Arabie (actuellement Iran, Irak, Arabie Saoudite), ils ont pu arriver à Jérusalem au mois de mai. A ce moment-là la comète est toujours visible le matin et elle se trouve vers le sud, pas très haute dans le ciel et dans la direction de Bethléem, une dizaine de kilomètres au sud de Jérusalem.
Mais tous ces phénomènes célestes successifs peuvent ils nous éclairer sur la naissance du Christ ?
Tout à fait. Si on admet le scénario que l’on vient de décrire, le Christ serait donc né au printemps de l’an 5 avant J.C. soit 5 avant …lui-même. Cela peut paraître étonnant de le dire ainsi mais c’est cohérent dès lors que les historiens s’accordent pour situer la mort d’Hérode en l’an 4 avant JC. Quant à situer cette naissance au printemps, et non fin décembre, la présence de bergers entourés d’agneaux et non de moutons comme le veut la tradition est un plus qui va dans le sens de cette hypothèse, non? …
Propos recueillis par Christine Letellier