Publié le 24 janvier 2016 à 19h48 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h31
Après les attentats de janvier 2015 et ceux du 13 novembre, le Président de la République et son Premier ministre ont tenté «l’union nationale». Après le 13 novembre, comme en janvier 2015, il semblait que c’était plutôt réussi. Les assassins ont été mis hors d’état de nuire en quelques jours. La politique au Moyen-Orient a été réorientée plus directement contre Daesh. Et personne dans l’opposition ne s’est avisé de le critiquer sérieusement. Il a même joué le jeu de la concertation avec toutes les forces politiques. Alors qu’il avait bénéficié d’une remontée spectaculaire dans les sondages et après avoir rencontré les différents partis, François Hollande a estimé qu’il fallait prendre une mesure «FNocompatible». Il aurait pu proposer le rétablissement de la peine de mort pour les terroristes, ce qui aurait permis de ne faire aucune distinction d’origine entre les criminels. Mais finalement, il a choisi une option qui, dans sa tête, y ressemblait : la mort citoyenne, la déchéance de la nationalité, réclamée à cor et à cris par les héritiers de la milice pétainiste et, depuis le discours de Grenoble, par la droite sarkoziste. Mais les accords internationaux interdisent aux lois nationales de produire des apatrides. Voilà pourquoi François Hollande et Manuel Valls ont préféré cette formule : déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour crimes terroristes. Pourtant, en juillet 2010, ils avaient tous deux dénoncé avec énergie et conviction la proposition de déchéance faite par Nicolas Sarkozy au cours de son discours de Grenoble, au motif qu’elle était complètement en contradiction avec les valeurs de la République.
Ce faisant, le duo a effectivement pris la décision qui remet le plus en cause le système de valeurs de la république. Voici 5 raisons pour être contre la déchéance de la nationalité pour les binationaux coupables de crimes de terrorisme
1-Inutilité totale dans la lutte contre les terroristes
Les terroristes se vivent comme partie prenante d’une sorte de guerre de civilisation, dans laquelle ils seraient les soldats de «Dieu». Ils sont prêts à tout pour réaliser leurs objectifs criminels. La plupart sont voués au suicide sous la forme des Kamikazes. Dans ce contexte, la question de leur nationalité n’a pour eux strictement aucune importance. Elle ne réfrènera pas leur énergie criminelle d’un point de vue préventif et encore moins comme menace punitive. Enfin, en ce qui concerne son impact très concret, lorsqu’on décide d’appliquer cette mesure à l’issue de la peine infligée lors d’un procès pour crimes terroristes, on comprend que la déchéance n’interviendra pas avant au moins trente ans. Que restera-t-il de Daesh et de ce terrorisme-là dans quelques dizaines d’années ? Prenons le cas des attentats de l’année 2015. Presque tous les terroristes ont été tués ou se sont fait sauter eux-mêmes. Parmi ceux qui vont éventuellement passer en procès, il n’y aurait pas plus d’un binational. Compte tenu de l’horreur des crimes commis, il en aurait au moins pour trente ans de prison. Cette question de déchéance ne se poserait donc que pour une seule personne et pas avant 2046… On est dans l’enfumage, dans la mesure ultra-symbolique. Lorsque le Front national s’en réjouit, ce n’est pas pour saluer son efficacité mais parce qu’elle fait sauter un verrou et qu’il espère bien être en position d’en élargir à l’infini son champ d’application. Par cette modification constitutionnelle, François Hollande pourrait ainsi ouvrir la voie à la politique des anciens terroristes de l’OAS. Et c’est la seule conséquence et l’immense risque d’une telle modification de la Constitution.
2- Une mesure insultante pour les États partenaires de la France
Comme on le sait, les lois internationales, ratifiées par la France, interdisent de créer des apatrides. Il ne s’agit donc pas d’enlever la nationalité aux terroristes mais de leur ôter une nationalité. On va donc dire, en parlant d’un terroriste qui, par exemple, est franco-canadien, que désormais il n’est que canadien. Il est né en France, il a été élevé en France, il a suivi sa scolarité en France, il a commis ses crimes en France, il a été jugé en France, il a effectué sa peine en France et on va le renvoyer au Canada en disant «reprenez-le, il est à vous!». Ils ne méritent pas d’être français nous martèlent les défenseurs de la déchéance. Mais en revanche, ils méritent d’être Algériens, Canadiens où Maliens ? Dans la mesure où la France a signé un accord sur le refus de créer des apatrides, un tel argument est à la fois hypocrite et profondément malhonnête. C’est insultant pour les pays en question, et c’est irresponsable. Ce n’est pas au terroriste qu’on inflige une peine, lui s’en fout colossalement, c’est à un État, souvent ami, qu’on fait une mauvaise manière.
3-Le risque de rétorsion
Si cette mesure est décidée, elle va sans doute susciter la colère dans quelques chancelleries et provoquer l’adoption de mesures de rétorsion. Que vont faire l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie pour ne citer que ces pays-là ? Ils peuvent très bien décider la déchéance de la nationalité pour les binationaux, dont l’autre nationalité serait française et qui auraient commis crimes ou délits dans ces pays. Si en France, vu le projet de texte proposé à la modification constitutionnelle la déchéance ne risque pas d’être effective avant le milieu du 21e siècle, on risque fort de voir arriver immédiatement ou presque des dizaines de délinquants criminels ou terroristes de divers pays, choqués par la décision de la France. Et d’ailleurs une telle mesure est déjà évoquée dans la presse de certains d’entre eux. Belle réussite, en vérité !
4-La rupture de l’égalité des Français devant la loi
Totalement inutile sur le plan de la lutte antiterroriste, cette décision de déchéance de la nationalité pour les binationaux seulement est en revanche terriblement chargée du point de vue symbolique. Elle remet en cause l’article 1 du préambule de la Constitution de notre pays (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée en 1793). Seul Pétain et son État Français, qui ne s’appelait plus République, avait massivement utilisé la déchéance de la nationalité, faisant leur le mot d’ordre de l’extrême droite : « Juifs, pas français ! ». Il y a une certaine hypocrisie, ou irresponsabilité ou crétinisme de la part du gouvernement à nous répéter qu’il n’y a pas rupture d’égalité puisque cette mesure ne sera appliquée qu’aux terroristes. Mais à partir du moment où une loi destinée à sanctionner des crimes s’applique seulement en fonction de l’origine de l’individu concerné, il y a rupture de l’égalité de tous devant la loi. Et, en réalité, elle ne sera praticable que lorsqu’elle sera élargie, comme le prévoit le Front national. C’est donc bien, pour reprendre les termes de Florian Philippot, un verrou qu’on fait sauter.
Ce texte rend donc incontestablement caduc l’article 1 du préambule de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
Il remet en cause l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme:
«Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité».
Enfin, il contredit l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Égalité en droit : Toutes les personnes sont égales en droit ».
Ajoutons qu’il faudra retirer «l’Égalité» de la devise de la France : «Liberté, Egalité, Fraternité». Hollande va-t-il infliger à la France la devise de l’État Français de Philippe Pétain : «Travail, famille, Patrie?»
Ces trois textes sont les piliers des valeurs défendues par notre République. Le premier constitue le préambule de notre constitution, le second a été adopté à Paris, en juillet 1948, par l’Assemblée générale des Nations Unies, dont la France, et le troisième nous a été présenté comme l’âme de l’Europe. S’il va au bout de son actuelle démarche, d’un trait de plume, François Hollande souille la Constitution, bafoue le Conseil national de la résistance et fait un bras d’honneur à l’Europe.
Le Pen en a rêvé, Sarkozy en a parlé, Hollande va-t-il le faire ?
5-Une division durable du camp de la gauche
Toutes celles et tous ceux qui sont attachés aux valeurs de la République de l’extrême gauche à la droite modérée, en passant par le centre vont être révoltés par cette manœuvre politicienne dont le seul objectif est de légitimer les thèses du Front national pour tenter de lui couper l’herbe sous les pieds et surtout espérer coiffer la droite sarkoziste sur le poteau de façon à ce que Hollande se retrouve seul face à Marine Le Pen, au second tour des futures élections présidentielles. Mais unir le FN, les sarkozistes et les hollandistes n’a rien à voir avec le rassemblement du peuple de France dans sa diversité. Effectivement, après avoir dégoûté toutes celles et ceux qui l’ont soutenu en 2012, il pourrait bien être tout seul en 2017 et ne même pas accéder au second tour. Il s’agit là de motivations minables pour une politique ignoble. On pensait que Sarkozy était indépassable dans le discrédit de sa fonction mais c’était compter sans Hollande !
Avec cette modification constitutionnelle, le gouvernement donne du grain à moudre aux prêcheurs de la haine dans les quartiers, terroristes et fascistes, qui veulent en commun casser le pacte national et exclure de la communauté française une partie de sa population. Ce n’est donc un texte ni d’autorité, puisqu’il ne sera, en l’état, pratiquement pas appliqué, ni égalitaire puisqu’il sanctionne en fonction de l’origine, ni de paix parce qu’il divise le pays et renforce les politiques de haine. Il casse l’une des valeurs cardinales de notre République. L’argument des sondages est lui aussi scandaleux. Face à l’horreur des crimes commis, toute mesure aggravant les sanctions trouve l’accord de l’opinion. On aurait proposé l’autorisation de la torture ou le rétablissement de la peine de mort, il y aurait sans doute eu une majorité dans les sondages pour l’approuver. Le rôle des politiques n’est certainement pas de faire la politique du pire parce que celle-ci mène inéluctablement à la pire des politiques. Il s’agit d’un incroyable coup de barre vers l’extrême droite, qu’on n’attendait pas de François Hollande et de son gouvernement.
Il ne faut pas que ce projet-là aboutisse. Il a déjà fait assez de dégâts, ne serait-ce qu’en ouvrant un débat qui était jusque-là l’ignoble privilège des spécialistes de l’exclusion. En le reprenant à leur compte, avec le poids institutionnel qui est le leur, le Président et son Premier ministre lui ont donné un début de légitimation.
Jacques Soncin : Consultant médias, militant à EELV Marseille, Président de l’Institut Panos Europe, écrivain et journaliste.