Publié le 27 janvier 2016 à 20h30 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h31
La visite du Président iranien Hassan Rohani, en Italie puis en France, s’inscrit dans un retour attendu de Téhéran dans le concert des nations à la suite de l’accord avec le groupe des P5+1 sur son programme nucléaire controversé. Outre la coopération potentielle dans la lutte contre Daesh, c’est le dossier économique qui sera au centre des échanges. Ce rapprochement des occidentaux avec la théocratie chiite n’est pas pour rassurer les pays sunnites, dont les monarchies pétrolières qui y voient leur marginalisation et une promotion de leur ennemi héréditaire. Dans le contexte explosif que représente le mikado géant Moyen-Oriental, il est malaisé de prévoir les conséquences de ce rapprochement. Aussi, malgré les perspectives alléchantes, il convient de rester prudent car dans le cas contraire, les bénéfices tant espérés risquent de ne pas être au rendez-vous
Un programme très chargé
Les sanctions internationales qui ont frappé l’Iran, du fait de la composante militaire cachée de son programme nucléaire, ont mis à genou son économie. La théocratie chiite manque cruellement de tout. Et nombreux sont les États qui, sans attendre la levée officielle du régime des sanctions, ont envoyé des émissaires faire le voyage de Téhéran, afin de s’octroyer une part de cet eldorado. La France ne pouvait pas être en reste dans ce monde de réalpolitique où l’économie prend souvent le pas sur les droits de l’homme.
Aussi, le programme de la délégation perse est à la mesure des espoirs suscitées : l’Élysée, le Sénat, l’Assemblée Nationale, l’Ifri (l’Institut français des relations internationales), le Panthéon ou encore le Medef. Avec au menu un éventail de sujets allant des relations bilatérales, le partenariat économique, les dossiers régionaux (Irak, Syrie, Israël-Palestine, Liban, Yémen…), ainsi que les accords de coopération.
Mais la partie est loin d’être gagnée tant la suspicion est grande. Le régime des Mollahs n’a pas oublié la position très ferme de la France lors des négociations. Et la communauté internationale, de son côté, n’a guère apprécié les provocations répétées de l’Iran. En particulier, la dernière en date, avec les essais de missiles balistiques non autorisés capables de transporter des charges nucléaires qui pourraient déboucher sur de nouvelles sanctions.
Rohani, un modéré ou un autre visage du Guide suprême de la révolution islamique?
Un des autres aspects de cette visite est le désir de voir s’ouvrir la société iranienne. Ces échanges sont considérés comme un moyen d’aider les modérés, dont le Président iranien serait un représentant, dans la perspective des élections pour le renouvellement du Parlement et de l’Assemblée des Experts, en février. Cependant la réalité semble plus complexe. Et l’on peut légitimement se demander, vu son parcours, si Hassan Rohani, malgré des dehors avenants, ne serait pas «Khamenei compatible».
En effet, c’est un religieux qui a occupé des postes clés du régime. Il s’est fait connaître de l’Occident comme négociateur en chef du programme nucléaire controversé qui a donné lieu au régime des sanctions. Ensuite, le système politique iranien est complexe, quasiment impossible à comprendre pour un occidental, où politique et religion sont intimement liés. C’est une théocratie chiite, branche minoritaire de l’islam, avec à sa tête, le Guide suprême de la révolution islamique, Ali Khamenei, celui qui détient le vrai pouvoir. Dans cette perspective, même sincère, cela réduit considérablement la marge de manœuvre du visiteur perse de l’Élysée. Car en définitive, c’est Khanenei qui décide. Celui qui fait et défait les Présidents.
Enfin, les Gardiens de la révolution islamique, la force d’élite du régime, aurait la haute main sur l’appareil industriel du pays -il est avancé le chiffre de 70%. On comprend dès lors que le premier bénéficiaire d’une embelli économique risque d’être le pouvoir et non comme espéré la société civile.
Téhéran, un véritable allié contre Daesh ou l’art d’avancer ses pions?
Un autre argument des occidentaux, pour un rapprochement avec Téhéran, est la lutte contre l’ennemi commun Daesh, alors que certains alliés sunnites sont plutôt ambigus sur le sujet. Ce qui pose la problématique d’une intervention terrestre, et questionne l’efficacité réelle des forces armées iraniennes ou de leurs supplétifs, tel le Hezbollah chiite libanais, sachant que les occidentaux sont réticents à envoyer leurs propres troupes.
La réalité est là encore plutôt nuancée pour une armée forte de plus d’un million d’hommes et presque autant de réservistes. Des déclarations qui contrastent avec le nombre élevé des pertes, même chez les officiers supérieurs, sur les théâtres d’opération où ils sont engagés. A tel point que les gardiens de la révolution eux-mêmes rechignent désormais à aller en première ligne préférant sous-traiter cela au Hezbollah dont les effectifs rétrécissent comme peau de chagrin. Il faut peut-être y voir une des raisons de l’intervention de la Russie, indéfectible allié de Téhéran, pour contrer quelque 40 000 djihadistes de l’État islamique. Ensuite, l’Iran n’a pas forcément le même agenda que les occidentaux, préférant en tout premier lieu accroître sa zone d’influence, comme en Irak, au Liban ou au Yémen.
Quel impact sur les pays sunnites?
Obama, dans son désir de désengager les USA du Moyen-Orient, et de mettre en œuvre sa doctrine du «pivotement vers l’Asie-Pacifique», a cherché à qui il pouvait remettre les clés. Pour ce faire, il a délaissé ses alliés traditionnels, avec les conséquences désastreuses que l’on sait. Après l’échec du soutien aux Frères musulmans et face à la complexité du monde sunnite, il a jeté son dévolu sur l’Iran chiite. Pour rendre cela possible, il a pesé de tout son poids pour l’obtention de l’accord nucléaire au grand dam de ses alliés occidentaux et sunnites. Ce revirement d’alliance et cet empressement à commercer avec Téhéran sont un signal d’alarme pour les pays sunnites annonçant un risque vital, ce que ne semble pas avoir mesuré la plupart des pays occidentaux.
En effet, L’Égypte, la Jordanie, les pays du Golfe principalement, et dans une certaine mesure la Turquie, sont confrontés à deux dangers existentiels, Daesh qui veut la disparition de tous les pays de la région au profit du Califat, et la politique hégémonique du régime des Mollahs. La levée des sanctions va permettre à l’Iran de se réarmer et d’alimenter ainsi la guerre plus que millénaire entre les deux grandes branches de l’islam. On en a déjà vu les prémices au Yémen, et à la suite de l’attaque de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Téhéran qui a provoqué la rupture des relations diplomatiques de nombreux pays sunnites avec l’Iran.
Vers un remake du conflit Iran-Irak?
Quelles réactions peut-on attendre des pays sunnites face à cette marginalisation annoncée, sachant que leur déstabilisation aurait un impact considérable qui ne s’arrêterait pas à cette aire géographique ? Tout d’abord, organiser des convergences qui transcendent leurs différends, et forger une nouvelle alliance incluant Israël qui est confronté aux mêmes dangers et dont le système de défense aurait un caractère dissuasif autant sur Daesh que Téhéran. Ce dont se font l’échos les médias arabes.
Ensuite, et probablement le plus aléatoire, serait d’embourber l’Iran dans une guerre d’usure. Bien qu’ayant beaucoup à redouter des djihadistes, les pays sunnites pourraient être tentés de faire le service minimum face à l’État Islamique et al-Qaeda, afin de les affaiblir tout en leur conservant une capacité de nuisance contre l’Iran. On sait ce qu’il en coûte d’instrumentaliser les radicaux, il y a toujours un retour du boomerang. Mais ce faisant, cela créerait une zone de turbulence telle qu’elle limiterait de manière conséquente le développement économique de Téhéran. Et du même coup, pour les occidentaux, s’envoleraient les rêves de contrats mirobolants que fait miroiter la théocratie chiite.
Quelle attitude pour les occidentaux?
Dans un dossier aussi complexe, arriver à un accord cadre réglant tous les problèmes est illusoire. Car sur le terrain les différents acteurs peuvent être tour à tour alliés ou ennemis, en fonction du contexte et du moment. C’est ainsi qu’on a vu l’Iran chiite soutenir le Hamas palestinien sunnite, la branche gazaouite des Frères musulmans. Ce qui signifie qu’avoir des convergences sur un sujet, ne veut pas nécessairement dire qu’il ne faut pas s’opposer sur d’autres, si l’intérêt supérieur le commande. Car l’Iran a autant besoin, si ce n’est plus, des occidentaux pour relever son économie.
Dans cette perspective, il est impératif d’envoyer des signes positifs aux pays sunnites en rééquilibrant les relations entre les deux composantes du monde musulman, tout en accompagnant de manière vigilante le retour de l’Iran dans la communauté internationale.
Cela passe par un soutien de la nouvelle alliance sunnite impliquant Israël qui aura la vertu de renforcer la stabilité régionale et de faire avancer le dossier israélo-palestinien. Mais dans le même temps il conviendra de rester ferme sur le contrôle des accords avec les entreprises iraniennes pour ne pas alimenter les Gardiens de la révolution islamiques. Car l’on sait que Téhéran, met tout en œuvre pour opacifier ces liaisons dangereuses. Faute de quoi tous nos rêves de croissance risqueraient de fondre comme neige au soleil, et l’on assisterait à un regain des actes terroristes dans les pays occidentaux, car désormais le front est partout.
Le rôle de la France
La France pourrait être le moteur de cette double dynamique. On ne comprendrait pas, en effet qu’après avoir été en pointe pour obtenir des garanties de la part de l’Iran sur le dossier nucléaire, la France ne poursuive pas sur cette lancée, tout en préservant ses intérêts économiques et stratégiques.
(*) Hagay Sobol est Médecin et Professeur des Universités. Très investi dans le monde associatif, il milite depuis de nombreuses années pour le dialogue interculturel. Élu, il est conseiller PS dans les 11e et 12e arrondissements de Marseille, et Secrétaire Fédéral chargé des coopérations en Méditerranée.