Des milliers de personnes dans les rues des grandes villes de France. On n’a parlé « dans le poste » que de la colère des taxis qui défendent leur pré-carré sans se rendre compte qu’ils datent d’un autre temps. Oui, ils ont acheté leur licence très chère. Mais cela ne leur donne pas droit à une rente à vie avec possibilité d’être désagréable voire odieux dans l’automobile dans laquelle ils partiront en vacances quand ils n’imposent pas leur chien. Ah les pakistanais des taxis jaunes de New York, les Tadjiks de Moscou, les Turcomans de Bagdad et de Berlin. Certains descendent pour vous ouvrir la portière; ils ont tous de la place dans leur coffre pour vos bagages sans avoir à pousser les seaux et pelles des enfants du chauffeur. Souvent même ils sourient. Les taxis de Tunis vous parlent; ceux d’Alger s’inquiètent de l’idée que l’on se fait de leur pays en France; ceux de Rome ne tarissent pas d’éloge sur leur beau pays. Les Français, eux, font la gueule, ils sont trop chers et veulent qu’on les plaigne sauf quand ils ont des patients à conduire pour des examens à l’hôpital. Une mine d’or. Une clientèle captive.
«Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres», écrivait Antonio Gramsci. Ce penseur et activiste marxiste italien parlait de l’époque précédant l’arrivée au pouvoir de Mussolini qui s’empressa de le jeter en prison. Cette phrase du philosophe de la praxis vaut peut-être d’être remémorée, quoi que l’on pense du marxisme, à la lumière de notre époque où la jeunesse de 20 à 30 ans se trouve justement dans cet entre-deux, ce chien et loup; ou les chauffeurs de taxis sont coincés entre la rente de situation d’hier et la vraie concurrence sauvage et violente d’aujourd’hui; avec les paysans qui ne savent plus où ils en sont et souvent au bord de la faillite; avec des fonctionnaires qui désespèrent et un exécutif socialiste qui ne cesse ses provocations en annonçant la mort prochaine du PS et tape du pied dans la fourmilière.
Mais, il faut que quelque chose bouge ou du moins laisser bouger les lignes
Les politiques peuvent y perdre des voix, les administrés des plumes et les enseignants leur latin. Mais, il faut que quelque chose bouge ou du moins laisser bouger les lignes. A moins de renverser les tables ce que personne ne semble avoir envie de faire vraiment, même à l’extrême gauche, face à l’immobilisme patronal qui espère pouvoir encore tirer les marrons du feu. Reste une bonne campagne militaire à la Louis-Philippe en Algérie ou à la Napoléon III en Crimée, avec les résultats que l’on sait… Nous sommes actuellement en guerre, mais pas pour les mêmes raisons. Quoi que… La génération montante voit bien que des essais sont marqués, ce sont de beaux essais sur plusieurs terrains, mais les transformations tardent pour marquer des points et redonner le moral au pays, à croire que les arbitres jouent contre l’avenir.
« Donc », comme disent les journalistes sportifs lorsqu’ils ne savent plus où ils en sont dans leur commentaire et veulent passer à autre chose -une conjonction de coordination qu’ignorait superbement Léon Zitrone-, les TV ont parlé et reparlé des éclats des taxis. Le Premier ministre les a reçus. A croire, selon certains commentateurs, qu’il faut être violent pour être entendu. Une passe d’arme verbale entre Bernard Debré (LR) et Bernard Cazeneuve à l’Assemblée Nationale du type «que fait le gouvernement?» où le ministre de l’Intérieur (PS) rappela qu’un de ses prédécesseurs devenu président de Les Républicains s’était largement fait déborder lors d’émeutes dans les banlieues faute d’avoir su lâcher du lest…
Donc (comme on disait), le gouvernement est resté sur ses positions: sur l’indice des fonctionnaires, la réforme du collège, les professionnels de santé, les aiguilleurs du ciel et les paysans qui se meurent depuis plus de 30 ans; et tout ce monde défilant dans les rues sans que les ministres en aient reçu aucun. Sauf les taxis. Mais, disent encore les oracles des Télévisions, c’est parce que les autres sujets sont en cours de négociation. Donc, des manifs pour rien.
Pour les taxis, c’est différent? Les négociations sont allées au bout, une loi a été votée. Elle serait mal appliquée. Est-ce une raison pour être désagréable avec les clients et les plumer à chaque course? Uber permet de pallier le manque de taxis qui se font prier pour travailler. Oui, c’est une compagnie étrangère qui gère. Oui elle ne paie pas toujours ses impôts. Et alors? On ne demande pas boulanger à qui on achète du pain s’il paie ses impôts en France, aux îles Caïman, ou à son bas de laine s’il en a encore un!
Jusque là tout va bien…
On s’énerve, on reproche aux radios et TV d’info en continu de nous ressasser la même chose. De faire appel à des «experts» et des «consultants» dont les grands du journalisme audio s’étaient jusqu’à présent passés. Le grand Léon déjà cité pouvait interviewer un chef d’État, commenter un triple salto sur glace, recueillir les confessions d’un crack victorieux du prix de l’Arc de triomphe et rappeler son pédigrée sans faire appel à un «consultant»… Mais ça, c’était avant !
L’amour des petites phrases transformant les plateaux TV en café du commerce et les interviews de ministres en piste de cirque agacent. Elles dérangent. Il y a toujours un Monsieur Loyal pour nous faire la leçon et des clowns pour jongler avec nos suffrages qui tendent à se réduire. Mais que faire? Cette manie versatile de la presse ne date pas hélas d’hier. Circule depuis plus d’un an sur les réseaux sociaux une citation attribuée à Émile Zola reprise du journal Le Figaro de 1888, il y a 128 ans…:«Mon inquiétude unique devant le journalisme actuel, c’est l’état de surexcitation nerveuse dans lequel il tient toute la nation. Aujourd’hui, remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait. Quand une affaire est finie, une autre commence. Les journaux ne cessent de vivre cette existence casse-cou. Si les sujets d’émotion manquent, ils en inventent…». Alors ? Il faut poursuivre notre chemin vers le nouveau monde et permettre à la mutation de se faire en tentant d’éviter de tomber dans le piège tendu par «les monstres» prophétisés par Gramsci, il y a presque 100 ans… Amis journalistes faites mentir Zola…