Douze ans après sa création à l’Opéra de Marseille, « L’Aiglon » bouleverse encore les âmes et les cœurs

Publié le 14 février 2016 à  19h55 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  21h39

«Tous deux sont morts, Seigneur, votre droite est terrible.
Vous avez commencé par le maître invincible,
Par l’homme triomphant.
Puis vous avez enfin complété l’ossuaire.
Dix ans vous ont suffi pour filer le suaire
Du père et de l’enfant.
»
Victor Hugo «Napoléon II», in «Les Chants du crépuscule», 1835

Sous le regard de sa mère Marie-Louise, l'Aiglon meurt en exil, sans avoir pu devenir Napoléon II, en demandant à ce qu'on lui chante des comptines enfantines...
Sous le regard de sa mère Marie-Louise, l’Aiglon meurt en exil, sans avoir pu devenir Napoléon II, en demandant à ce qu’on lui chante des comptines enfantines…

C’est à Victor Hugo que le duc de Reichstadt, Roi de Rome, doit son surnom de «L’Aiglon». N’était-il point le fils de «L’Aigle», de Napoléon 1er ? Dans l’Histoire de France, ce blondinet post-adolescent demeurera fantomatique et énigmatique. Et à 21 ans, lorsqu’il mourra, vaincu par la tuberculose, il lâchera : «Entre mon berceau et ma tombe, il y a un grand zéro» emportant avec lui des velléités de révolte, de sacre et de victoires guerrières comme s’il avait été empêché par l’omniprésence spirituelle du père. «Fils de…» c’est déjà terrible à surmonter et lorsque l’un de vos geôliers, -le principal en fait, puisqu’il s’agit de Metternich- vous impose par la violence verbale et physique une filiation niant toute identité française, les ailes de l’aiglon deviennent celle de l’albatros.
S’emparant de cette tranche de vie singulière, Edmond Rostand a écrit un drame en six actes, «L’Aiglon» qui fut créé en 1900 par Sarah Bernhardt. Pièce adaptée par Henri Caïn pour devenir le livret d’un drame musical -exceptionnellement co-signé par Jacques Ibert et Arthur Honegger- qui deviendra une œuvre majeure de la littérature musicale française du XXe siècle. Fascinée par cette partition, Renée Auphan, alors directrice de l’Opéra de Marseille, décidait de sa création dans «sa» maison en 2004. Un événement, un vrai qui, il y a douze ans, avait généré exposition, conférences, émissions et enregistrement par France Musique. Un événement marqué, aussi et surtout, par la prise du rôle-titre par la soprano Alexia Cousin, qui allait triompher en vivant là, et personne ne le savait, ses derniers moments professionnels sur une scène lyrique, la jeune femme décidant, après quatre années de succès, de tirer un trait sur sa carrière et de partir sur d’autres chemins de vie…
Douze ans plus tard, Renée Auphan est revenue à Marseille, à l’invitation du directeur de l’Opéra Maurice Xiberras, pour retravailler sur la mise en scène de «L’Aiglon» imaginée en 2004 par Patrice Caurier et Moshe Leiser. Ces derniers, indisponibles, ayant décidé de confier leur «bébé» à la dame, il y a quelque temps, puisqu’à Lausanne et Tours, c’est elle qui, déjà, mettait en place le drame musical. Élégance et sensibilité font, on le sait, partie des qualités humaines et professionnelles de Renée Auphan ; soit 50% du travail pour cette mise en scène de l’Aiglon. Il lui restait donc à travailler, ce qu’elle a fait avec talent et bonheur, sur les émotions et la puissance, offrant à Stéphanie d’Oustrac toutes les clefs pour habiter magistralement le personnage central, avec ses doutes, ses envies, ses freins, ses pulsions, ce désespoir, cette humanité enfantine qui, au soir fatal, tire une larme à tout un chacun. Sans négliger pour autant celles et ceux qui côtoient le jeune prince, de l’odieux Metternich à l’intrépide Flambeau, de la douce et amoureuse Thérèse de Lorget à la distante Marie-Louise… Chaque personnage trouve sa bonne place sur cet échiquier crépusculaire où la partie s’achèvera par un échec et mat ponctué par la phrase odieuse de Metternich devant la dépouille du jeune homme : «Vous lui remettrez son uniforme blanc», celui du Duc de Reischtag, dernière vengeance d’un geôlier ne permettant pas au fils de Napoléon d’emporter avec lui dans le cercueil un seul symbole rappelant ses origines françaises.

Prise de rôle réussie pour Stéphanie d’Oustrac

C’est donc Stéphanie d’Oustrac qui, samedi soir, prenait le rôle de «L’Aiglon» à l’Opéra de Marseille. Une performance réelle pour la jeune femme affrontant une partition plutôt destinée à une soprano lyrique qu’à une mezzo. Consciente des limites imposées par sa voix, surtout dans les aigus, Stéphanie d’Oustrac soigne particulièrement sa diction et sa musicalité. Elle est totalement investie dans son rôle, lui conférant un énorme pouvoir émotionnel. Elle excelle dans le registre de l’adolescent mélancolique et souffreteux, écrasé par le souvenir du père dont les révoltes sont vouées à l’échec. Son jeu atteint un niveau hors du commun à l’acte deux dans un face à face cruel et violent avec Metternich et, au quatrième acte avec une évocation fantasmagorique, hallucinante et bouleversante sur les terres de Wagram. Du très grand art et un investissement physique et vocal intense pour une artiste rompant ici totalement avec les minauderies mozartiennes. A ses côtés, il y a le Séraphin Flambeau de Marc Barrard qui, douze ans après fait un grand écart psychologique puisqu’il incarnait Metternich ici même en 2004. Un Barrard qui excelle dans ce rôle de vieux grognard attentionné qui en servant le fils sert en fait le père.

Quatrième acte, Wagram. Tournant le dos au peloton d’exécution autrichien, Flambeau s’enfonce un couteau dans le cœur sous le regard de Metternich (au centre) et de « L’Aiglon » (à droite) (Photo Christian  Dresse)
Quatrième acte, Wagram. Tournant le dos au peloton d’exécution autrichien, Flambeau s’enfonce un couteau dans le cœur sous le regard de Metternich (au centre) et de « L’Aiglon » (à droite) (Photo Christian Dresse)

Face au peloton autrichien il plantera son surin dans son cœur. «Je me suis refait la Légion d’honneur» déclare-t-il à «L’Aiglon» avant d’agoniser dans ses bras en revivant la bataille de Wagram. Le rôle de Metternich est endossé par un Franco Pomponi inquiétant et malsain à souhait. Une composition réussie pour le baryton dont le jeu fut tellement crédible qu’il s’attira quelques sifflets aux saluts, non point pour sa prestation artistique mais bel et bien pour son incarnation du geôlier. Nous avons aussi apprécié la Thérèse de Lorget de Ludivine Gombert, idéale physiquement et vocalement dans un rôle tout de délicatesse amoureuse et de distinction. Tout comme le chœur, somptueux, notamment au final du quatrième acte et une Marseillaise à fleur de peau, la totalité de la distribution est à féliciter : Bénédicte Roussenq, Sandrine Eyglier, Laurence Janot et Caroline Géa du côté féminin, Antoine Garcin, Yves Coudray, Eric Vignau, Yann Toussaint, Anas Seguin, Camille Tresmontant et Frédéric Leroy chez les hommes.
Enfin, à la direction de l’orchestre qui a su trouver le son juste pour cette partition, Jean-Yves Ossonce cisèle les subtiles délicatesses des notes élégantes de Jacques Ibert au premier acte et au dernier, s’emparant à bras le corps de la puissance et de la densité des portées noircies avec génie par Arthur Honegger pour les trois autres actes. Vous l’aurez compris, cette reprise est une belle réussite et consacre l’une des œuvres importantes de la musique française du XXe siécle. A apprécier séance tenante !
Michel EGEA

Pratique – «L’Aiglon», représentations les mardi 16 et jeudi 18 février à 20 heures et le dimanche 21 février à 14h30. Réservations : 04 91 55 11 10 – 04 91 55 20 43 – opera.marseille.fr

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