Publié le 3 juillet 2016 à 18h51 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h28
Le premier oratorio de Haendel s’appelle «Il trionfo del tempo e del Disinganno» (le triomphe du temps et de la désillusion). Dans une Rome où le jeune compositeur découvre les beautés des arts, il va composer un oratorio inscrit dans la ligne rigoriste chrétienne où la beauté va se séparer du plaisir pour suivre les conseils du temps et de la désillusion et se consacrer à Dieu. Raccourci rapide pour un oratorio où le compositeur va poser sur la partition des notes qui l’accompagneront toute sa vie puisque la plupart des airs que l’on y entend seront repris dans ses opéras futurs. Dès lors, pourquoi pas mettre en scène ces airs ? Et c’est Krzysztof Warlikowski qui s’y est attelé à la demande de Bernard Foccroulle, le directeur du Festival d’Aix.
Dans son univers coutumier, fait d’amphithéâtres, de vidéos et d’effets miroir, le metteur en scène installe une jeune fille de famille (la beauté) qui fait la fête sous la conduite du plaisir, sous le regard contrarié et les injonctions à plus de retenue de ses parents qui sont le temps et la désillusion. Quatre caractères enfermés dans un huis-clos aux images explicites d’overdose mortelle et de questionnement perpétuel sur le temps qui passe et ses effets sur l’être et le paraître… Jusqu’à l’apparition filmée de Jacques Derrida dans un extrait de «the science of ghosts» et qui, interrogé par Pascale Ogier, vient nous parler de fantômes de ses fantômes, de nos fantômes. Fin de première partie et public perplexe à l’entracte qui ressasse : «Le cinéma plus la psychanalyse c’est la science des fantômes… »
Avec Warlikowski il faut s’attendre à tout et surtout ne pas fuir à l’entracte comme l’ont fait certain(e)s au soir de la première, vendredi à l’Archevêché. Car, les fantômes sont venus assister à la défaite du plaisir et au triomphe du temps et de la désillusion, la beauté revêtue d’une robe immaculée n’accédant pas au divin mais à la mort, se tranchant les veines pour rejoindre son petit copain, vous savez, l’overdose… D’ailleurs, comme d’autres spectres de beautés, il est dans l’amphithéâtre, le dit petit copain, ou plutôt son fantôme venu pleurer le suicide de sa douce. Et si, entre fantômes et réalité, ceci n’était ni plus, ni moins qu’une histoire d’amour qui finit mal ?
Pour servir la musique de Haendel ainsi que son propos, Warlikowski s’appuie sur un quatuor solide. Omniprésente, lumineuse, fragile, angoissée, détruite, Sabine Devieilhe épouse ici ce rôle de la beauté qui devrait compter dans sa jeune carrière déjà si riche. Elle a ce pouvoir de fascination qu’ont les plus grandes qui, sans efforts, concentrent sur elles les regards et l’attention. Sa voix est précise, limpide, chargée de couleurs et d’émotions. Physiquement elle réalise une prouesse qui donne à son rôle une densité réelle. Un travail énorme.
A ses côtés, Sara Mingardo incarne la désillusion. Avec elle aussi, difficile de faire mieux. Le chant est assuré et la présence scénique sans faille. Du côté des hommes Franco Fagioli incarne le plaisir. Quelle voix, quelle maîtrise du chant et de la tessiture si particulière qu’est celle du haute-contre; son «lascia la spina» fut une pure merveille. Une fois de plus Fagioli confirme sa position de tête dans ce registre actuellement. Puis il y a le temps, qui a les traits et la voix puissante de Michael Spyres. Dès qu’il chante, c’est tout l’espace qui vibre; du grand art vocal. Mais tout cela ne serait rien s’il n’y avait Emmanuelle Haïm et son Concert d’Astrée dans la fosse. Ce n’était certainement pas évident, pour la directrice musicale, de prime abord, d’accepter le passage de l’oratorio en opéra. Mais elle est entrée de plain pied dans l’univers de Warlikowski sans avoir une once (ou presque) de concession a faire quant à la musique de Haendel. Cette adhésion lui permet d’être en osmose totale avec le plateau et, surtout, de mettre en valeur certes la partition, mais aussi les qualités de son ensemble qui sonne merveilleusement à tous les pupitres. Emmanuelle Haïm le sait bien qui au moment des saluts a tenu à associer pleinement ses musiciens au succès obtenu par cette production festivalière de haute tenue.
Michel EGEA
Pratique – « Il Trionfo del tempo e del disinganno » au Théâtre de l’Archevêché à 22 heures les 4, 6, 9, 12 et 14 juillet. Renseignements et réservations à la boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, Place des martyrs de la résistance 13100 Aix-en-Provence. Tél. : 0 820 922 923 (12 cts /min.) et sur la billetterie en ligne festival-aix.com