Publié le 5 juillet 2016 à 22h57 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h28
Si vous voulez mettre le plasticien franco-suisse Felice Varini en colère, dites-lui qu’il peint des trompe-l’œil. Pas du tout, ce sont des œuvres par lesquelles il nous force à trouver le point de vue, le point focal à partir duquel le spectateur va comprendre le sens des différentes appliques ou traits de couleurs mis sur murs, sols et plafonds pour sublimer l’espace architectural dans lequel il intervient.
Après Xavier Veilhan, Daniel Buren et Dan Graham, Felice Varini, 64 ans, est invité au MAMO (Marseille Modulor, centre d’art de la cité radieuse) créé par le désigner Ora Ito dans l’ancien gymnase de cette cité d’habitation historique abritant aussi commerce, école, hôtel et restaurant. Depuis le 3 juillet jusqu’au 2 octobre il livre un «un corps à corps» avec l’architecture de Le Corbusier sur le toit terrasse de la cité radieuse. Felice Varini est déjà intervenu sur de nombreux bâtiments, usines désaffectées, stations de métro et autres lieux architecturaux, jamais sur une telle réalisation en béton brut construite par Le Corbusier dans les années 50.
Une invitation logique de la part d’Ora Ito pour qui Felice Varini est l’un des seuls très grands artistes contemporains «à pouvoir jouer, souligner et surligner aussi bien une architecture qu’une ville entière. L’espace est son support naturel, je suis très fier de lui avoir fait visiter et découvrir ce toit terrasse qu’il ne connaissait qu’en photo», a précisé l’hôte des lieux lors de l’inauguration. Felice Varini utilise comme support, les lieux et les architectures des espaces sur lesquels il intervient en utilisant la technique de l’anamorphose qui permet de recomposer une forme à partir d’un point de vue unique. Son idée est de déplacer le point focal et les points de fuite pour jouer avec la perception de l’œil. «L’espace architectural et tout ce qui le constitue, est mon terrain d’action. Ces espaces sont et demeurent les supports premiers de ma peinture. J’interviens in situ dans un lieu à chaque fois différent et mon travail évolue en relation avec les espaces que je suis amené à rencontrer», écrit-il dans une présentation de son œuvre sur son site Internet.
Il ne s’agit pas ici de trompe l’œil puisque la vision du tableau complet dans sa réalisation finale n’apparaît au spectateur qu’en un seul point comme ici dans le gymnase du Corbu en cercles jaune et rouge ou sur le toit terrasse en extérieur en lignes jaunes ou en aplats rouges que Felice Varini déclare être des éléments complémentaires de la réalisation de l’intérieur.
L’anamorphose est une particularité étonnante de la perspective avec laquelle il joue. Il aborde son tableau par petits bouts et cherche son «point de vue à hauteur de ses yeux» par lequel le spectateur sera obligé de passer pour voir l’ensemble de son travail. Ici c’est depuis l’arrivée sur le toit terrasse puis par la porte d’entrée gauche du Gymnase avec des cercles à la Mondrian. Par la porte droite, l’image sera déformée, ce qui n’est pas pour déplaire à Felice Varini qui s’est plu à poser de guingois.
«Le point de vue va fonctionner comme un point de lecture, c’est-à-dire comme un point de départ possible à l’approche de la peinture et de l’espace. La forme peinte est cohérente quand le spectateur se trouve à cet endroit. Lorsque celui-ci sort du point de vue, le travail rencontre l’espace qui engendre une infinité de points de vue sur la forme. Ce n’est donc pas à travers ce premier point que je vois le travail effectué ; celui-ci se tient dans l’ensemble des points de vue que le spectateur peut avoir sur lui», explique encore Felice Varini. A voir jusqu’au 2 octobre. Toit terrasse et Gymnase du Corbusier.
Antoine LAZERGES
MAMO Centre d’art de la Cité Radieuse – 280 Boulevard Michelet – 13008 Marseille, France – Entrée gratuite du mardi au dimanche de 11h à 18h – Métro Ligne 2 – Arrêt : Rond-point du Prado – Bus lignes 21, 22, 22S et 521- Arrêt : Le Corbusier
info@mamo.fr – Plus d’info: mamo.fr
Trois questions à Felice Varini
J’ai réussi à mettre Felice Varini en colère. «Ce n’est pas difficile, dit-il, je suis un sanguin». Posez-lui une question comme : «Pourquoi faites-vous des trompe-l’œil?». Exaspéré, il vous résumera en moins de cinq minutes sa vision de son œuvre dont la dernière création a été composée sur le toit de l’immeuble du Corbusier à Marseille. Une exposition en plein ciel avec vue mer ville et campagne jusqu’au 2 octobre sur le toit terrasse de la «maison du Fada».
Felice Varini: Un trompe l’œil !, je ne sais pas répondre à ça, vous avez une autre question? On recommence… Je fais de la peinture, je suis un peintre qui travaille dans l’architecture, je ne suis pas dans l’illusion dans le trompe-l’œil, je suis dans la rationalité, dans un jeu avec la réalité pour que, après, tout prenne son envol. Parce que si vous n’arrivez pas à regarder ça tel que c’est vous ne voyez pas ce que je fais. Pourquoi utiliser le mot trompe-l’œil ? Il n’y a pas de trompe-l’œil, on est chez Corbu.
Destimed: Qu’est-ce que Le Corbusier vous apporte pour ce genre de travail ?
Felice Varini : Rien. Lui, il ne m’apporte rien. Moi je suis né dans le XXe siècle et lui à cheval sur le XIXe. Il est de la pensée de la modernité et je suis de cette pensée et je suis dans la suite. On partage beaucoup de choses ensemble comme tout le monde. J’arrive ici, je trouve un lieu construit par un certain Monsieur Le Corbusier mais à partir du moment où je suis allé au-delà de cet événement extraordinaire je suis face à des volumes, à des lumières, à des espaces et des réalités construites. Les réalités sont là de la même manière qu’une vieille usine désaffectée ou le musée d’art moderne de Paris, qu’une station de métro où j’interviens. A un moment donné je me mets en relation avec ce que j’ai devant moi et je joue avec, et je travaille avec.
Le Corbu, c’est un monument mais il n’est pas plus fort que le réel. Malgré tout, il a construit du réel et c’est ce réel qui m’intéresse. Est-ce que j’ai fait un bon raccourci ?
Destimed : Y-a-t-il un rapport entre les couleurs que vous utilisez et celles du Corbusier (jaune rouge et bleu essentiellement)?
Felice Varini : Non ce ne sont pas les couleurs du Corbu. Ce n’est pas le hasard. Je ne pense pas au Corbu mais plutôt à la limite à Mondrian ou à d’autres peintres. C’est dans ma pratique. Tout au début quand j’ai commencé en 1978, du fait que je me suis affranchi du cadre et de l’atelier pour m’aventurer dans le monde, dans l’artefact, j’ai décidé de travailler avec très peu de couleurs et une géométrie très simple. Tout en sachant que les couleurs évoluent en fonction de la lumière. A midi ce rouge et ce jaune étaient mille fois différents de ce que je vois maintenant. C’est toujours le même jaune et le même rouge sortis du pot. Mais à la fin, l’espace, les lumières les incidences lumineuses me donnent des valeurs qui changent en permanence. C’est volontairement que j’ai choisi de jouer avec très peu de couleurs, des couleurs signal qui arrivent dans l’espace et qui jouent beaucoup avec ce que l’espace m’a donné. Le choix ce sont les trois couleurs primaires avec le noir et le blanc et certaines fois l’orange. Ici j’ai utilisé deux couleurs le rouge et le jaune. Pour les deux espaces extérieurs, un rouge et un jaune, et à l’intérieur rouge et jaune pour regrouper les couleurs utilisées à l’extérieur d’une certaine manière. Le bleu je ne l’ai pas mis car, le bleu il est dans le ciel. Il est permanent. Il est omniprésent autour de cette cité radieuse, autour de ce site. C’est comme ça ? Ce sont des choix arbitraires de toute façon mais avec une logique et une rationalité très touchante.
Propos recueillis par A.L.