Carrière de Sainte-Marthe : les salariés posent une pierre dans le jardin de la justice

Publié le 26 juillet 2013 à  5h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h06

Menacés de chômage technique dès le début de la semaine prochaine à cause d’une décision de justice mettant fin au droit de passage sur la voie d’accès au site, les 26 salariés de la société Bronzo Pérasso sont déterminés à conserver leurs emplois. Ils en appellent à l’intervention de la préfecture, la seule en mesure selon eux de dénouer dans l’immédiat une situation a priori inextricable.

Les salariés se sont mobilisés ce jeudi matin  pour afficher leur détermination à défendre leurs emplois
Les salariés se sont mobilisés ce jeudi matin pour afficher leur détermination à défendre leurs emplois

La fameuse parcelle de 100 mètres de long sur 7 de large, seule voie d'accès au site selon les salariés. (Photo S.P.)
La fameuse parcelle de 100 mètres de long sur 7 de large, seule voie d’accès au site selon les salariés. (Photo S.P.)

Le chemin des Carrières est la voie qu'empruntaient les camions jusqu'à fin 1991. (Photo S.P.)
Le chemin des Carrières est la voie qu’empruntaient les camions jusqu’à fin 1991. (Photo S.P.)

Très étroite, elle est, selon les salariés, inadaptée aux 40 tonnes utilisés aujourd'hui pour le transport des matériaux. (Photo S.P.)
Très étroite, elle est, selon les salariés, inadaptée aux 40 tonnes utilisés aujourd’hui pour le transport des matériaux. (Photo S.P.)

En atteste à leurs yeux la limitation de vitesse à 30km/h qui s'applique aux 3,5 tonnes. (Photo S.P.)
En atteste à leurs yeux la limitation de vitesse à 30km/h qui s’applique aux 3,5 tonnes. (Photo S.P.)

La carrière de Sainte-Marthe alimente nombre de grands chantiers de la cité phocéenne. (Photo Philippe MAILLÉ)
La carrière de Sainte-Marthe alimente nombre de grands chantiers de la cité phocéenne. (Photo Philippe MAILLÉ)

Les salariés en appellent à la préfecture, la seule capable à leurs yeux de dénouer à court terme cet imbroglio. (Photo S.P.)
Les salariés en appellent à la préfecture, la seule capable à leurs yeux de dénouer à court terme cet imbroglio. (Photo S.P.)

Combien peuvent bien valoir 700 mètres carrés de terrain non constructibles nichés en bordure du chemin des Bessons dans le 14e arrondissement de Marseille ? A la bourse des valeurs de l’immobilier, un secteur actuellement marqué par un net repli des transactions, vraisemblablement pas une fortune. Mais ce tronçon de route de 100 mètres de long sur 7 de large, qui va du chemin des Bessons au pont situé un peu plus haut, vaut pourtant de l’or aux yeux des 26 salariés de la carrière de Sainte-Marthe, exploitée par le groupe Bronzo-Pérasso : il s’agit en effet, à leurs yeux, du seul chemin permettant d’accéder à leur lieu de travail qui s’étend sur 28 hectares. Une voie qu’empruntent chaque jour 450 camions.
Or, la justice a demandé, le 16 juillet, l’application d’un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, datant du 19 février dernier, qui stipule que la société Bronzo-Pérasso utilisait « le passage traversant le terrain appartenant à la société La Roserie sans droit ni titre puisqu’il a été mis fin à la tolérance le 15 avril 2008 ». Une SCI dont la gérante n’est autre… qu’Yvonne Rapin, ancien administrateur des Carrières de Sainte-Marthe avant que l’activité ne soit reprise par le groupe Bronzo-Pérasso en 1998. A l’arrivée, le verdict est sans appel pour les salariés, comme le stipule la « sommation de faire requête » qu’ils ont reçue : à compter de ce vendredi 26 juillet à 16h, tout passage de camion, VL, piétons sera interdit sur cette voie d’accès au site. Dès ce lundi 29 juillet, l’activité de la carrière risque donc bel et bien d’être entièrement paralysée. « Avec la fin du droit de passage, c’est la fermeture de la carrière alors que notre société est pérenne et en excellente santé », dénonce le représentant du personnel Gilles Barrat.
Mais pour les salariés, pas question de rester les bras croisés alors qu’ils sont menacés de chômage technique dès le début de la semaine prochaine. Ce jeudi 25 juillet dès 8h du matin, ils sont donc venus occupés symboliquement cette parcelle afin de montrer leur détermination à conserver leurs emplois « coûte que coûte ». D’autant que les conséquences économiques d’une telle issue ne se limiteront pas à la seule carrière de Sainte-Marthe. Autorisée à hauteur de 500 000 tonnes de granulats par an et 100 000 m3 de béton prêt à l’emploi, elle alimente deux centrales à béton installées sur le site, trois autres au Rove, à Vitrolles et à Gardanne, et une centrale à graves, implantée elle aussi sur le site, qui réalise des produits techniques pour les routes.

« On se considère comme une société d’utilité publique »

La carrière approvisionne ainsi directement nombre de grands chantiers de Marseille, des terrasses du port au métro Bougainville en passant notamment par le bus à haut niveau de service (BHNS) circulant entre la rue de Lyon et le quartier de Saint Antoine. « Toutes ces centrales vont être arrêtées, ce qui mettra en péril certains chantiers. Car nous alimentons des clients privés de travaux publics et des chantiers publics de Marseille. On se considère comme une société d’utilité publique : que ce soit pour la rénovation du Vieux Port ou le Mucem, on a participé au renouveau de la ville », insiste Gilles Barrat.
L’« effet domino » pourrait aussi être fâcheux pour les entreprises que la carrière emploie à l’année pour le transport des bétons et granulats sur les chantiers. Un panel dans lequel figurent de grosses sociétés comme Sécula, Gorlier ou Gontero, mais aussi « de petites entreprises de transports qui disposent de 10 à 15 véhicules ». « Tous les petits transporteurs seront impactés. Déjà qu’ils ont connu un début d’année difficile car la conjoncture de janvier à avril a été particulièrement difficile. Ces petites PME risquent de mettre la clé sous la porte car ils ne pourront pas supporter la situation. En tout cas, ils subiront un gros impact. Les gros s’en tireront peut-être mais pas les petits », tranche le représentant du personnel.
Un marasme économique dans la conjoncture actuelle qui ne serait que l’épilogue d’un imbroglio judiciaire vieux d’une quinzaine d’années. L’histoire débute en effet en 1991 comme s’en souvient très Abdallah Laater, employé depuis 28 ans dans la carrière. Cette dernière ne s’appelle pas encore Carrières et Bétons Bronzo Pérasso mais Carrières de Sainte-Marthe, une société présidée par Jean Grandi dont Yvonne Rapin est administrateur. A l’époque, les camions empruntent le chemin des Carrières, une voie sur la droite en remontant encore un peu plus le chemin des Bessons. « Le chemin des Carrières devenait de plus en plus inaccessible aux 3,5 tonnes. Alors Jean Grandi avait acquis la SCI La Roserie pour créer un accès afin d’assurer la pérennité de l’activité de la carrière. La servitude existe depuis 1992 », rappelle Abdallah Laater. La carrière verse alors chaque mois un droit de passage à la SCI.

Un imbroglio judiciaire

Mais quelques années plus tard, la société des Carrières de Sainte-Marthe dépose le bilan : elle est déclarée en cessation de paiement et est placée en liquidation judiciaire. Et c’est la société Bronzo-Pérasso qui reprend l’activité, et les salariés, à la suite d’un jugement rendu le 3 avril 1998 par le tribunal de commerce de Salon-de-Provence. Yvonne Rapin, qui qualifie cette reprise de « tour de passe-passe », avance que, depuis, elle n’a jamais perçu aucun droit de passage, le repreneur ayant « toujours refusé de payer quoi que ce soit ». Ce que dément Guy Laborde, directeur de la société Bronzo-Pérasso. « Ils se versaient une somme qui a été réévaluée au fil des années et qui atteint actuellement 590 € TTC. Nous avons hérité de cette convention et nous avons versé ce droit de passage », assure-t-il. Selon lui, l’imbroglio judiciaire provient davantage de forme juridique rattachée à la convention qui a pris fin en 2008. « Elle était basée sur une espèce de bail commercial avec droit de passage. Or la Cour d’appel d’Aix a dit que ce n’était pas un bail commercial et qu’il fallait trouver une autre forme juridique. Mais en nous renvoyant dos à dos, elle n’a pas mesuré les conséquences », commente-t-il.
Le son de cloche est très différent chez Yvonne Rapin. « A ce jour, la société Bronzo Pérasso ne veut pas payer de loyer. Même mieux, elle me fait des menaces si je ne les laisse pas passer. C’est la raison pour laquelle je demande que l’arrêt qui a été rendu le 19 février soit respecté, tout simplement », résume-t-elle. Guy Laborde rétorque qu’il a formulé une offre correcte à la SCI La Roserie. « On lui a proposé 150 000 € pour racheter 700 m² de terrain non constructibles. On estime que c’est un prix honnête. Il y a trois ans, on a racheté 5 000 m² constructibles, pour se préserver d’éventuelles constructions, au prix de 300 000 €. Donc 150 000 € pour un terrain non constructible, c’est pas mal », juge-t-il. Il a cependant reçu une fin de non-recevoir. Et Guy Laborde de dénoncer à son tour les agissements de la partie adverse : « Après le jugement de la Cour d’appel d’Aix, Jean Grandi a dit que la forme juridique ça allait être une indemnité de 600 000 € et un loyer de 9 000 € mensuels. Mais 600 000 €, c’est davantage que le résultat net du site de Sainte-Marthe », dénonce-t-il.

Le chemin des Carrières, une solution alternative ?

De son côté, Yvonne Rapin assure qu’elle n’a « jamais souhaité leur mettre le couteau sous la gorge mais quand on ne respecte pas les décisions judiciaires, il faut bien agir ». Elle réfute aussi l’idée selon laquelle la route constituant sa parcelle soit la seule voie d’accès à la carrière. Elle assure en effet qu’il est possible de créer une autre route aux frais des tenanciers actuels de la carrière ou de passer par le chemin des Carrières. Un argumentaire que réfutent les salariés. « Les camions passent juste alors avec des semi-remorques et des 40 tonnes, ce n’est pas possible. Et cela nous amènerait un nouveau conflit avec les riverains », rétorque Abdallah Laater. Jean-Marie Pitjales, chef de carrière, pointe quant à lui le caractère ubuesque de la situation. « C’est un accès que Jean Grandi a créé fin 1991 pour assurer la pérennité de la carrière et maintenant, il le conteste », ironise-t-il. Certains n’hésitent pas à évoquer une « vengeance personnelle », le personnel ayant pris parti en 1998 pour le projet de reprise du groupe Bronzo-Pérasso, une position qui, à leurs yeux, a pesé de tout son poids devant le tribunal commerce de Salon-de-Provence.
Dans leur mobilisation, ils ont reçu jeudi le soutien des riverains, preuve, s’il en fallait une, que l’activité de la carrière est désormais très bien perçue par son proche environnement. L’un d’eux, qui continuera de bénéficier d’un droit de passage sur la fameuse parcelle, comme Jean Grandi le lui a assuré, ne manque cependant pas de faire part de ses inquiétudes. « Il y a trois familles qui vivent là-haut dont une personne très âgée, témoigne-t-il le regard tourné au-delà du portail qui marque l’entrée de la carrière. C’est aussi l’accès pour les pompiers et l’accès aux collines pour les feux. » D’autres émettent des craintes à l’idée que les camions « empruntent un chemin plus étroit et mettent en péril la sécurité de tous » alors que depuis 15 ans les nuisances n’ont cessé d’être réduites via une meilleure prise en compte de l’environnement et de nombreux aménagements.

« Que la préfecture nous accorde une dérogation de 3, 6 ou 12 mois »

Des soutiens qui ne font que renforcer le sentiment d’un immense gâchis qui habite nombre de salariés. « Nous sommes une société en plein développement, avec des dirigeants qui n’ont pas peur d’investir dans le matériel, la sécurité ou l’environnement », insiste Abdallah Laater. A quelques mètres de lui, un collègue fait part à haute voix de son inquiétude pour « les jeunes embauchés qui ont fait des crédits pour acheter des maisons et qui se retrouvent aujourd’hui dans des situations compliquées, sans compter tout l’extérieur qui travaille pour nous ».
Mais pour l’heure, les salariés ont « l’impression d’être pris en otages », résume Jean-Marie Pitjales, et sont « coincés juridiquement » selon les mots de Gilles Barrat. Et d’en appeler à la préfecture pour dénouer cet imbroglio juridique. « On veut que Jean Grandi reçoive un loyer mais raisonnable, pas 600 000 € d’indemnités, et pas 9 000 € par mois comme on a entendu dire. Dans l’immédiat, on souhaite que la préfecture nous accorde une dérogation de 3, 6 ou 12 mois. Qu’il y ait ensuite un médiateur pour que les deux parties puissent trouver un accord », résume le représentant du personnel.
Guy Laborde estime lui aussi que seule une intervention préfectorale permettrait de dénouer rapidement la situation. « Nous avons attaqué au civil en référé mais le juge va sûrement se déclarer incompétent. On a aussi fait un pourvoi en cassation par rapport au jugement de la Cour d’appel d’Aix, mais c’est une procédure longue. Donc le seul moyen juridique à court terme serait que la préfecture décrète une réquisition temporaire de la parcelle le temps qu’on trouve une nouvelle forme juridique », analyse-t-il.
Alors que la société Bronzo-Pérasso a demandé à être reçue en préfecture, Gilles Barrat prévient d’ores et déjà que les salariés sont déterminés à défendre leur emploi. « La mobilisation monte alors que le site n’est pas encore fermé », souligne-t-il.
L’activité de la carrière s’étalant de 6h30 à 16h, et la « sommation de faire requête » ne rentrant en vigueur qu’à 16h ce vendredi, c’est à partir de ce lundi qu’elle est susceptible d’être perturbée par la fin du droit de passage sur la voie d’accès au site.

Serge PAYRAU

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