Publié le 1 septembre 2016 à 18h28 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h31
Après le terrible attentat de Nice, plutôt que de s’unir et de combattre tous ensembles la racine du mal, la sécurité et la lutte contre l’islamisme sont devenus des sujets de politique politicienne, Primaires et présidentielle obligent. Et malheureusement, avec la polémique du burkini, nous avons ouvert la boite de Pandore qui n’est pas prête de se refermer, à moins d’un changement radical et rapide.
Une victoire pour les islamistes
L’essentiel, n’est pas tant une pièce de tissu ou un vêtement que l’on est libre de porter ou pas, que ceux qui l’instrumentalisent à des fins politiques et qui remettent en cause les fondements même de la République et de la Démocratie. Résultat, en attaquant un symbole, le voile, plutôt que le problème de fond, l’islam politique, on a donné à faible prix une victoire inespérée aux islamistes. Et quelle caution, celle de la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’État !
Le voile, un débat au sein de l’islam
Si le voile, quelle que soit sa forme, était librement accepté par les femmes, sans contraintes et qu’il ne revêtait aucune autre signification que spirituelle, il n’y aurait aucun problème. Mais cet attribut, est également un étendard politique brandit par les salafistes dont le corpus idéologique est bien éloigné des valeurs de la République et du vivre ensemble. Loin d’être majoritaires au sein de l’islam, ils n’en sont qu’un courant relativement récent, mais aux ambitions hégémoniques.
C’est oublier également que le voile est l’objet de «débats houleux» au sein même de l’islam. Il n’est qu’à rappeler la vive controverse opposant salafistes et érudits de la plus grande institution sunnite, l’Université al-Azhar en Égypte. Ces derniers concluant qu’il s’agirait plus «d’une habitude enracinée que d’un devoir religieux dicté par Dieu».
Une incompréhensible tolérance à l’intolérance
Sous prétexte d’ouverture et d’acceptation des différences, notre société occidentale n’a pas assez tenu compte d’une inquiétante réalité. Le port du voile, loin d’être une décision personnelle, est souvent un enfermement, et le fait d’une pression familiale ou plus généralement de l’environnement. Pour s’en convaincre, il suffit de relire les témoignages éloquents repris dans un article de Libération, au titre provocateur, publié le 10 décembre 2003, mais encore terriblement d’actualité. Les françaises, quelle que soit leur origine, devraient voir leurs droits fondamentaux garantis et en particulier celui de ne pas porter le voile si elles ne le désirent.
Une volonté commune de conquête
Une autre réalité trop souvent occultée. Il n’y a pas d’un côté les islamistes modérés, ceux qui auraient une pratique radicale mais non violente, et de l’autre, les mauvais, les djihadistes, ceux qui commettent des attentats terroristes. Ils ont tous deux une même volonté de conquête, ce ne sont que les moyens qui diffèrent, et encore pas toujours. Les printemps arabes, ainsi que les conflits en Syrie et en Irak ont été fertiles en «liaisons dangereuses».
Loin de pouvoir parler au nom de tous les musulmans, ils ne sont pas d’avantage «des damnés de la terre», ces nouveaux opprimés du XXIe siècle que l’on devrait défendre, comme d’aucun voudraient nous le faire croire. Car les islamistes sont eux-mêmes vecteurs d’oppression. Et ceux qui feignent de ne pas le voir, sont atteints du même aveuglement idéologique que celui que l’on portait à l’époque envers le stalinisme et le maoïsme.
«La Loi du pays est la Loi»
Et comme si cela ne suffisait pas, pour faire bonne mesure dans ce débat déjà confus à l’extrême, le numéro 2 du FN, Florian Philippot en rajoute en demandant également l’interdiction de la Kippa. Malheureusement, il n’est pas le seul sur cette ligne. On en trouve également dans les partis républicains, à droite comme à gauche.
Pourtant, la République n’a jamais eu aucun problème avec ses citoyens juifs. La raison est simple. Il existe un grand principe dans le judaïsme : « La Loi du pays est la Loi ». Ce qui veut dire que porter la Kippa ne signifie en aucune manière un rejet des Lois de la République, et de ses valeurs, bien au contraire, comme en témoigne l’histoire. Car les juifs français se souviennent que c’est à la République qu’ils doivent leur émancipation. Et si d’aventure, ces opposants à la Kippa allaient un samedi matin à la Synagogue, ils auraient la surprise d’y entendre « la prière pour la République française ».
Encore une fois, après la triste expérience du débat sur l’Identité Nationale, on récidive en perdant de vue l’essentiel. Aussi, il est important de rappeler que la laïcité ce n’est pas l’absence de religion ou le bannissement de tout signe religieux. Revendiquer une « laïcité intransigeante » revient à faire de ce grand principe une autre religion. La laïcité, c’est au contraire être garant de la liberté de culte, tout en assurant les droits de tous les citoyens, femmes et hommes, indépendamment de leur origine.
A-t-on bien pris la mesure de l’élection d’un Maire FN dans les 13e et 14e arrondissements de Marseille ?
Les dernières élections municipales ont vu pour la première fois le FN remporter la Mairie d’une grande ville de France, dans les 13ème et 14ème arrondissements de Marseille. Dans la classe politique locale, dont je suis, tout le monde se rejette la responsabilité. Mais il existe, là encore, une autre vérité dérangeante : ce sont les électeurs qui ont fait ce choix, et parmi eux, nombre de marseillais issus de la « diversité ».
J’ai essayé de comprendre ce phénomène en échangeant avec des électeurs et ce que j’ai entendu corroborait l’expérience que j’avais pu avoir dans le 6ème secteur où je suis élu. Se considérant comme français à part entière, ils en avaient plus qu’assez qu’on leur renvoie en permanence leur origine supposée et leur religion et, passez-moi l’expression, « qu’on leur serve la même soupe que celle à laquelle leurs parents ou eux-mêmes voulaient échapper en venant en France ».
Il m’est douloureux de constater qu’aujourd’hui, ce sont d’autres extrêmes qui s’arrogent la défense de la République en se représentant comme les vrais patriotes. Cela devrait faire réfléchir la classe politique dans son ensemble, droite et gauche confondue, sous peine de se voir infliger une sévère déconvenue lors des prochains rendez-vous électoraux.
La société française et les enfants d’Abraham
La polémique du burkini ne résume pas l’islam en France, ni les musulmans dans leur diversité, comme leurs relations avec les autres composantes de la société française. Ce dont je peux témoigner en tant que militant de longue date pour le «vivre ensemble» et le dialogue interculturel.
Ainsi, lorsque j’étais Président du Centre Culturel Edmond Fleg, nous avions constitué le collectif «Tous Enfants d’Abraham» regroupant des Chrétiens d’Orient et d’Occident, des juifs et des musulmans. Nous étions tous membres de la société civile, mais œuvrant au sein de Centres Culturels et Communautaires. Nous avions fait ce choix pour nous axer sur la dimension culturelle et non sur l’aspect religieux. Par nos échanges nous avons pu mesurer tout ce qui pouvait nous séparer, pour ensuite travailler sur ce que nous avions en commun, sans jamais renier ce que nous étions. Nous avons réalisé de grandes actions dont la plus emblématique avait pour thématique, Jérusalem, sujet de division s’il en est. Le résultat a été une exposition à ciel ouvert avec de grands panneaux illustrés et commentés dans toute la ville de Marseille, grâce à la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), et dans la grande salle de l’Ovoïde du Conseil Général 13. Le succès a été au rendez-vous et de nombreux établissements scolaires ont été partenaires de l’événement. Cela n’a été possible que grâce à cet espace privilégié qu’est la laïcité. Nous pouvions être en désaccord sur certains points sans que cela nous empêche d’interagir pour autant. C’est un exemple dont on devrait s’inspirer au-delà de la Cité Phocéenne.
Foire aux illusions et crise identitaire
Le malaise actuel est avant tout identitaire. En effet, avec la perspective de la construction européenne, nous avons délaissé la nation, sans pour autant investir réellement l’Europe, plongeant ainsi tant de nos compatriotes dans un grand vide, sans racines auxquelles se référer. Face à ce phénomène, conjugué à la fin des idéologies, une frange non négligeable de la population française mais également européenne, s’est raccrochée à une identité fantasmée qu’elle soit régionaliste, nationaliste ou fondamentaliste.
En se fondant sur l’expérience acquise avec le Collectif « Tous Enfants d’Abraham », j’ai proposé de généraliser cette approche avec la création d’ «Institut des CultureS» dans les grandes villes de France ou la mixité est importante. Pas un musée, mais un lieu d’apprentissage du vivre ensemble où seraient représentées les différentes composantes culturelles de notre société et interagissant avec le réseau associatif local. Ces structures pourraient être le relai idéal en région de l’action envisagée par le gouvernement en créant la Fondation pour l’Islam de France.
Car l’identité française du XXIe siècle est multiple et riche de sa diversité. Cela ne se décrète pas, cela se vit !
Hagay Sobol est Médecin et Professeur des Universités. Très investi dans le monde associatif, il milite depuis de nombreuses années pour le dialogue interculturel. Élu, il est Conseiller PS dans les 11e et 12e arrondissements de Marseille et Secrétaire Fédéral chargé des coopérations en Méditerranée.