Publié le 18 septembre 2016 à 19h55 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h36
Ne dites pas en insistant à Anne Sylvestre qu’elle est une grande dame de la chanson française. Par pudeur, elle se tient à distance des compliments exaltés et préfère en toutes choses la mesure. Et pourtant ! Comment définir autrement cette immense artiste qui en près de 60 ans de carrière a donné une quantité de chefs-d’œuvre dont certains sont inscrits dans le marbre du patrimoine poétique français. Bien sûr des fabulettes pour enfants qu’elle n’interprète jamais sur scène mais certains titres du répertoire adultes parmi les plus de 350 écrits comme «Mon mari est parti» datant des années 1960 et qui évoque la manière dont les femmes ont gardé les villages des campagnes au moment où les hommes partirent à la guerre ou «Non, tu n’as pas de nom» sorti en 1973, cri de douleur en faveur de la liberté d’avorter, qui impressionna la ministre Simone Veil au moment où elle fit passer sa loi, tant sur le fond que dans la forme. Tout comme «Une sorcière comme les autres», hymne à toutes les femmes publiée en 1975 et «Les gens qui doutent » (1977), ayant fait l’objet de dizaines de reprises par des artistes très différents souvent très jeunes comme Vincent Delerm ou Ben Mazué. D’ailleurs depuis quelques années, de Jeanne Cherhal à Agnès Bihl en passant par le groupe «Entre deux caisses», Cyril Mokaiesh, Jehan, l’artiste québécoise Monique Richard ou encore Nicolas Bacchus, bon nombre d’artistes la chantent sans la trahir, enregistrent des titres avec elle, comme Aldebert; l’accompagnent sur scène parfois comme Les Ogres de Barback, ou parlent d’elle avec émotion. Ce fut le cas de Jean-Louis Murat déclarant que: « Un mur pour pleurer »d’Anne Sylvestre «est une des plus grandes chansons françaises» et, qui a décidé de donner à son album le titre «Toboggan» en se souvenant de sa fabulette «Le toboggan». Yann Moix également qui, face à Patrick Bruel dans l’émission «On n’est pas couchés», lança : «ce que vous ressentez pour Barbara que vous admirez, je le ressens pour Anne Sylvestre». Quand on connait le peu de complaisance de l’écrivain-chroniqueur on peut aisément acquiescer. Parmi les chanteuses reprenant Anne Sylvestre saluons le fabuleux travail du groupe «Évasion» qui consacre à son répertoire un récital et un album entier intitulés l’un comme l’autre «Les hormones Simone», en référence à cette chanson d’Anne Sylvestre sortie en 2000 sur l’album «Partage des eaux».
Un concert a capella
Un magnifique récital par lequel la salle Le Petit Duc d’Aix qui doit au travail de ses programmateurs Gérard Dahan et Myriam Daups, son aspect «supplément d’âme», ouvrait sa saison 2016-2017. Un concert a capella produit par Daniel Gasquet de Vocal 26, infatigable passeur de culture et ardent défenseur de la chanson française haut de gamme. Une soirée exceptionnelle où durant 1h15 les cinq filles complices d’Évasion nous ont promenés dans le répertoire d’Anne Sylvestre en privilégiant surtout des pépites drôles, jouées autant que chantées avec malice, intelligence et inventivité vocale. Aucune chanson d’avant 1973 mais ce n’était pas délibéré en fait avec bien sûr «Une sorcière comme les autres» mais sans «Les gens qui doutent». Faisant l’objet d’une mise en scène particulière avec changement de tenue de scène, chaque titre choisi donne l’occasion aux chanteuses d’Évasion de raconter une histoire bigarrée d’où surgit pour les titres plus graves une interrogation sur la violence du monde avec la magnifique «Berceuse de Bagdad»; la dangerosité des centrales nucléaires, «Coïncidences »; la façon dont nous polluons la planète «Le Lac Saint-Sébastien» où le narrateur prend la parole pour dire la folie des hommes prompts à salir l’eau de la vie; l’importance de la création artistique, «Écrire pour ne pas mourir» chef d’œuvre de 1985. Magiques Gwénaëlle Baudin, Soraya Esseid, Anne-Marie Ferreira, Talia Ferreira, et Laurence Giorgi, les cinq «Frangines» d’Évasion, passent d’une chanson à l’autre sans imiter Anne Sylvestre, la trahir, devant un public conquis. Quant aux textes que l’on ne peut jamais dater car ils sont d’une force intemporelle, ils prennent avec Évasion des couleurs nouvelles.
Jean-Rémi BARLAND
Le Petit Duc: 1 rue Emile Tavan – 13100 Aix-en-Provence – Tél : 04 42 27 37 39
Plus d’info: lepetitduc.net/
«Évasion chante « Les Hormones Simone » sur le répertoire d’Anne Sylvestre » (CD Vocal 26/L’autre Distribution)
