Publié le 25 avril 2013 à 3h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h06
Le rosé, un vin prisé par les femmes
En Allemagne et en Italie, ce sont les femmes qui consomment majoritairement le rosé. Une spécificité qui n’est pas sans conséquence sur la nature des vins qui y rencontrent le plus de succès.
Comme l’a souligné Edmund Diesler, président de l’association des œnologues allemands et président d’une coopérative dans la région viticole du Wurtemberg (au sud-ouest de l’Allemagne), lors des 4èmes Rencontres internationales du rosé, on trouve surtout deux spécialités de vins rosés outre-Rhin : les « Weiβherbst » qui sont élaborés à partir « d’un cépage unique » et les « Schillerwein/Rotling » où « des raisins blancs et rouges sont vendangés ensemble et vinifiés en rosés ». On trouve également des « rosés communs » et des « blancs de noirs », « des vins rouge cultivés en blanc » qui représentent « un marché important en Allemagne ».
Quel que soit le vin, « les yeux décident » en Allemagne. Or, « les jeunes consommateurs préfèrent la couleur rose plus tendance », indique Edmund Diesler. Des consommateurs de rosé qui ont « un goût très différent du buveur moyen de vin ». « Tous vins confondus, la consommation globale en Allemagne est constituée de 43% de vins secs et 57% de vins demi-secs et doux. En matière de rosé, les secs ne représentent que 26% de la consommation, avec 57% de demi-secs et 17% de doux », observe l’œnologue.
Outre-Rhin, la France détient 23,9% des parts de marché du rouge (derrière l’Allemagne 25,7%) et 8,2% du blanc (derrière l’Allemagne 49,1% et l’Italie 19,4%). Elle figure en deuxième position sur le rosé (14%) derrière l’Allemagne (39%) mais devant l’Italie (12,1%) et l’Espagne (10%). Le marché est complété par « le reste de l’Europe » (16,8%) et les rosés du « nouveau monde » (6,2%). « Seuls l’Allemagne et le reste de l’Europe ont connu une progression en 2011. Cela tient à la teneur en sucre du vin », estime Edmund Diesler qui insiste sur le fait que « le rosé n’est pas un produit aléatoire » en Allemagne : « il existe une demande constante sur le marché ».
« Les femmes gouvernent l’achat de rosé »
Sur l’année 2012, le rosé a représenté 10,2% du vin consommé en Allemagne et 11% des importations outre-Rhin, contre 60% pour le rouge et 29% pour le blanc. « A plus de 52%, les consommateurs qui boivent souvent du vin préfèrent le rouge. Ceux qui boivent plus rarement sont davantage portés sur le blanc. Mais ceux qui consomment fréquemment du vin prendront plus facilement du rosé que ceux qui boivent rarement du vin. D’autre part, beaucoup plus de consommateurs de vin blanc achèteront de temps en temps du vin rouge ou du rosé que de consommateurs de vin rouge du blanc ou du rosé », relève l’œnologue.
On observe aussi sur le marché allemand une césure en fonction du sexe du consommateur. « Les hommes sont plus portés sur le rouge, les femmes sur le blanc ou le rosé. Amateurs de vins demi-secs, elles prendront plus facilement du blanc ou du rosé que les amateurs de vins secs », explique-t-il. Or, ce sont souvent ces dames qui « gouvernent l’achat de rosé » en Allemagne. « Les Weiβherbst sont achetés chez le producteur. On trouve en revanche les Schillerwein/Rotling dans les grandes surfaces et les stations-services. Ainsi en Allemagne, plus de 50% des vins sont achetés en supermarchés donc par les femmes », analyse Edmund Diesler. Ce qui explique selon lui que le marché allemand affiche une préférence pour les « rosés demi-secs à doux » provenant de la production allemande ou d’Europe de l’Est, des vins « souvent 1er prix » sur lesquels se portent volontiers les femmes.
Enfin, l’âge est également un facteur à prendre en compte pour appréhender le marché allemand. « Ce sont les consommateurs de vins de moins 50 ans qui achètent du rosé, ceux de plus de 50 ans plutôt du vin blanc », conclut l’œnologue.
« Doit-on parler du rosé au singulier ou des rosés au pluriel ? »
En Italie, 7 millions de bouteilles de rosés, en mousseux ou vins tranquilles, sont consommées chaque année. « La production est en train de croitre mais la consommation ne croit pas aussi bien que la production », observe Manuela Violoni de l’Université catholique de Piacenza. Et de souligner que si l’Italie recouvre souvent « deux pays différents », dans le vin ce seraient plutôt « dix pays différents ». « Il existe de grandes disparités entre le Nord qui préfèrent les mousseux et le Sud plus porté sur les vins tranquilles », relève-t-elle tout en s’interrogeant : « Doit-on parler du vin rosé au singulier ou des rosés au pluriel dans un pays où on recense 133 Denominazioni di Origine Controllata (DOC) et 128 appellations géographiques ? ».
Si 32,2% des consommateurs italiens avouent n’avoir qu’une « connaissance limitée » du vin, 34% estiment que le rosé est synonyme de « jeune » et 23% qu’il est « à la mode ». Ce qui, comme le fait remarquer Manuela Violoni, peut s’avérer à double tranchant. « Ce qui est jeune et à la mode aujourd’hui devient très vite historique demain. Certes on trouve en France des vins historiques et toujours à la mode. Mais il faut se concentrer sur ce que l’on veut laisser comme image », souligne-t-elle.
Près de quatre Italiens sur dix (39,7%) consomment le rosé lors d’un apéritif chez des amis, 18,1% chez eux, 15,5% dans une œnothèque, alors que les bars ne représentent que 9,3% de la consommation totale. « Il y a là un vide à combler », juge la professeure de l’Université catholique de Piacenza.
Une perception avant tout « visuelle »
Alors que le goût est l’élément déterminant pour les consommateurs éclairés selon une étude datant de 2011, pour 70% de la population la perception est avant tout « visuelle ». « On choisit ce que l’on veut consommer sur ce que l’on voit. C’est seulement ensuite qu’interviennent le goût et l’arôme du vin », précise-t-elle. Manuela Violoni observe également qu’une large frange de la population « n’est pas disposée à payer plus de 7 € pour un rosé ». « Le futur est peut-être à un mousseux en Italie. Mais pourquoi le rosé, quelques-uns en tout cas, ne pourrait pas être associé à une image de luxe avec la communication en conséquence ? », suggère-t-elle.
L’enseignante de l’Université catholique de Piacenza évoque aussi une étude menée en 2010 sur les 13 vins les plus répandus sur le marché italien. « L’intensité de la couleur et du reflet sont déterminantes pour la majorité des consommateurs. Mais quand l’arôme vire à l’épicé, que le vin est orange plus que violet, l’évaluation œnologique diminue pour le dégustateur. Le rosé reste associé à la fraicheur », note-t-elle. Et Manuela Violoni de relever un paradoxe : « Les gens cherchent des vins avec une richesse aromatique et une persistance de ces arômes sans l’alcool pourtant caractéristique de la puissance de ces arômes ».
Enfin, elle estime que les différences de goûts masculins et féminins sont « en train de disparaître ». « Les jeunes hommes n’ont plus honte de demander dans un bar une liqueur à la framboise comme leur fiancée plutôt qu’un whisky. Il y a là peut-être une carte à jouer pour le rosé qui reste majoritairement consommé par les femmes », conclut-elle.
Serge PAYRAU