Publié le 29 juillet 2013 à 7h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h06
Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. C’est dire s’il est important de mettre en avant les travaux de ce groupe alors qu’il est de nouveau question de paix entre Israël et la Palestine, que des négociations débutent ce mardi 30. Nous nous faisons l’écho d’une réflexion sur un dossier sensible, l’eau. Alors que le pessimisme est souvent de rigueur, Gilbert Benhayoun et le groupe d’Aix avance : « La thèse que nous voulons défendre est que la guerre de l’eau n’aura pas lieu ».(*)
Le conflit. Il porte sur la définition des ressources en partage et ce qui alimente les reproches réciproques.
Les ressources en partage. Quelles ressources à partager ?
Tout accord portant sur le partage doit en premier lieu spécifier quelles sont les ressources qui font l’objet des négociations et celles qui relèvent de la seule souveraineté des Israéliens et des Palestiniens respectivement. Les ressources à exclure de toute négociation comprennent essentiellement les ressources non conventionnelles obtenues par dessalement et par traitement des eaux, l’aquifère côtier que se partagent Israéliens et Palestiniens de manière non équivoque , les ressources souterraines du Néguev qui appartiennent exclusivement aux Israéliens, les ressources du bassin du Mont Carmel. Les eaux du Lac de Tibériade sont considérées appartenant à Israël à part ce qui revient, en vertu des accords passés de 1994, aux Jordaniens.
La question de savoir si les Palestiniens ont des droits sur les eaux du Jourdain fait débat entre Israéliens et Palestiniens. Ces derniers revendiquent la moitié des ressources du Bassin du Jourdain alloués à la Jordanie par le Plan Johnston de 1955. En 2000, lors des discussions de Camp David, l’Autorité palestinienne de l’eau, a revendiqué 250 millions m3 du Bassin du Jourdain. Les accords d’Oslo II de 1995 ne font pas mention de tels droits pour les Palestiniens qui n’ont donc pas accès aux eaux du Jourdain. Pourtant, pour le ministre palestinien de l’eau, selon l’application des règles internationales de partage équitable et raisonnable des ressources, les Palestiniens peuvent faire valoir leurs droits sur les quatre aquifères, trois en Cisjordanie et un à Gaza, ainsi que sur les eaux du Jourdain. Cette revendication, constante de leur part, s’appuie sur une approche politique.
Un accord qui permettrait aux Palestiniens d’avoir accès aux ressources du Jourdain semble difficile, du point de vue israélien car, d’une part, un tel accord devra faire intervenir les autres pays riverains du Jourdain – le Liban, la Syrie et la Jordanie – ce qui est impossible tant qu’un accord de paix entre Israël, le Liban et la Syrie n’est pas signé, et, d’autre part, la reconnaissance des droits palestiniens sur le Jourdain reviendrait à reconnaître leurs droits sur l’ensemble de la Vallée du Jourdain, ce qu’Israël refuse.
Il est probable que dans les négociations futures, la question de la reconnaissance des droits palestiniens sur les eaux du bassin du Jourdain, soit dans leur totalité – Haut Jourdain et Bas Jourdain – soit uniquement dans leur partie basse, et du partage « raisonnable et équitable » des ressources, feront l’objet de vives discussions entre Israéliens et Palestiniens.
Les reproches.
Les reproches palestiniens. Depuis 1967, Israël contrôle les ressources en eau des Territoires palestiniens, dont les plus importantes sont les aquifères. Or, il s’agit de ressources transfrontalières qui, selon le droit international, doivent faire l’objet d’un partage « équitable et raisonnable », ce qui, pour les Palestiniens, n’est absolument pas le cas. Ils estiment qu’Israël exploite 90% des ressources, que la consommation domestique journalière par habitant des Palestiniens est en dessous du seuil minimum. Elle est très inférieure à celle des Israéliens estimée à 280 litres/jour/habitant, soit plus de quatre fois plus. Cette disparité n’est pas, selon le ministre palestinien de l’eau, justifiée par l’écart de niveau de vie des Israéliens et des Palestiniens, mais résulte principalement de politiques discriminatoires et de pratiques qu’Israël impose aux Palestiniens, « en violation de la loi internationale ». Concernant la Bande de Gaza, ils font remarquer qu’en plus d’un déficit quantitatif se pose, de manière dramatique un problème de qualité de l’eau. Du fait de la politique israélienne qui met des entraves au développement de ressources alternatives d’eau, les Palestiniens de Gaza sont obligés de pomper l’eau de l’aquifère côtier. Les retraits sont deux fois plus importants que les quantités d’eau renouvelables estimées à 55 millions de m3. Ils reconnaissent cependant que les Israéliens ont fait un effort sérieux pour accroître, de manière significative, les ressources non conventionnelles, mais ajoutent qu’ils doivent payer pour obtenir un surplus de 21,8 millions de m3, alors que, dans le même temps les Israéliens refusent de leur accorder la possibilité de construire des unités de traitement des eaux usées, ce qui donc explique que les rejets se font en direction… d’Israël. Selon leur point de vus, l’approbation par Israël des projets palestiniens est contingent à l’acceptation par les Palestiniens des projets qui concernent les implantations israéliennes en Cisjordanie. Lorsque les Palestiniens refusent de tels projets, les Israéliens, à leur tour leur refusent les projets, qui sont pourtant financés par l’aide internationale et destinés aux villes palestiniennes. Et, dans l’hypothèse où le projet israélien est agréé par l’Autorité palestinienne de l’eau, c’est sa crédibilité qui est en jeu, car ainsi elle légitime les implantations. Pour les Palestiniens (PLO-Negotiation Affairs Department, Recognizing Palestine. An Investment for Peace. 2011 ), en mettant des obstacles à la gestion de l’eau, en s’octroyant une quantité d’eau des aquifères supérieure de plus de 80% à celle prévue, en refusant d’informer les Palestiniens de la quantité d’eau extraite des trois aquifères, Israël a violé les accords d’Oslo II . Concernant le Comité mixte de gestion de l’eau, les Palestiniens considèrent que son fonctionnement s’effectue à leur détriment, car il « agit moins comme un cadre de collaboration que comme une instance par laquelle les autorités israéliennes contrôlent le développement du secteur palestinien de l’eau ».
Les reproches israéliens. Cela peut ressembler à un dialogue de sourds, tant les points de vue sont divergents. Dans un rapport récent, les Israéliens commencent par rappeler qu’ils remplissent, et au-delà, les obligations telles qu’elles ressortent de l’accord Oslo II (Ministère Israélien des Affaires Etrangères, note du 29 avril 2009), qu’ils estiment « pratique, juste et imaginatif ». Alors que les obligations israéliennes envers les Palestiniens étaient de 31 millions m3, la quantité fournie, en supplément à la production palestinienne, s’est élevée en 2010 à 52,6 millions m3. L’accord prévoyait une dotation de 118 millions m3 aux palestiniens plus 23.6 millions m3, et en fait, de 1995 à 2008, la consommation, sans compter la Bande de Gaza, a été de 200 millions m3 qui se décomposent ainsi :
– 118 millions m3, prévus par Oslo II,
– 22 millions m3, prévus par Oslo II, supplément,
– 40 millions m3, nouveaux puits autorisés,
– 20 millions m3, puits non autorisés.
Ils rejettent fermement l’idée selon laquelle Israël « vole » l’eau aux Palestiniens. Pour eux, le partage des ressources des aquifères est basé sur des droits historiques que les conventions internationales admettent comme fondés. Renoncer à l’eau qui provient des aquifères revient à nuire à la population et serait ainsi contraire aux règles d’Helsinki et à la Convention de New York de 1997. Ils donnent aussi, l’exemple des revendications de la Syrie et de l’Irak à propos du Tigre et de l’Euphrate dont les ressources en eau proviennent de la Turquie, pays amont.
Ils reprochent aux Palestiniens d’une part, de violer leurs engagements en creusant plus de 300 puits sans autorisation de la Commission mixte, et d’autre part, de ne pas traiter les eaux usées, ce qui aggrave la pollution, et qui conduit à des pompages excessifs, « responsables de la salinisation et donc de la dégradation des ressources ». Ils font également remarquer que le pourcentage de perte de l’eau dans les canalisations est trois fois plus élevé chez les Palestiniens que chez les Israéliens, 11% contre 33%, et que les Palestiniens rejettent les eaux usées vers Israël.
Enfin, ils reprochent aux Palestiniens de n’avoir pas, contrairement à ce qui avait prévu dans l’accord Oslo II, développé de nouvelles ressources soit par dessalement soit par réutilisation, après traitement, des eaux usées.
La résolution du conflit?
Ainsi que nous l’avons vu les termes de l’accord Oslo II qui définit les conditions du partage des ressources des aquifères montagneux ne satisfont pas les Palestiniens. La question se pose alors de savoir pourquoi les deux parties ont des difficultés à se mettre d’accord sur une solution qui pourrait être considérée comme optimale pour chacune des parties. En d’autres termes, à quelles conditions accepteraient-elles de renégocier l’accord Oslo II signé il a maintenant près de vingt ans? On peut légitimement se demander pourquoi les Israéliens et les Palestiniens sont amenés à préférer rationnellement des solutions non optimales?
La question se pose d’autant plus qu’existe un facteur d’ordre technique qui devrait inciter à la coopération : les ressources qui font l’objet du partage sont constituées d’eaux souterraines et non d’eaux de surface. Ceci introduit des paramètres que l’on ne retrouve pas dans ce dernier cas, et qui devraient imposer aux deux parties d’adopter une attitude coopérative. Chacune des parties, et en particulier Israël devra tenir compte des facteurs suivants :
– par l’action de l’autre partie les eaux des aquifères peuvent être polluées,
– dans l’hypothèse où les aquifères sont surexploitées, le risque de salinisation de l’eau s’accroît, et peut affecter l’autre partie,
– de l’avis des experts, il existe une forte incertitude sur la structure des aquifères,
– les relations entre les eaux souterraines et les eaux de surface sont mal connues,
– il existe une forte incertitude sur le volume potentiel des aquifères, du fait d’une forte variabilité des précipitations dans la région.
L’alimentation en eau est ainsi menacée par la diminution du niveau des aquifères de montagne due au pompage excessif en Israël et en Cisjordanie, ainsi que par la pollution causée par l’infiltration de pesticides, d’engrais et d’eaux usées.
Sur le plan théorique, deux écoles apportent des réponses opposées à ces questions : l’école réaliste et l’école fonctionnaliste. La première peut être considérée comme pessimiste, la seconde serait plus optimiste.
L’école réaliste fait valoir le fait que les conditions politiques et structurelles influencent fortement la volonté des Etats de s’engager dans une attitude coopérative. La recherche de la sécurité est le premier objectif, aussi ce qui compte pour les tenants de cette approche c’est de refuser toute solution qui aboutirait à limiter leur pouvoir et leur capacité de décision. Systématiquement se sont les solutions qui renforcent l’autonomie qui sont préférées, car cette approche considère qu’on ne peut faire confiance à l’autre partie. Cette approche n’incite pas à priori à coopérer. Si pour l’école réaliste les Etats sont prédisposés à la compétition, voire au combat et échouent souvent à coopérer même s’ils partagent des intérêts communs, les tenants de l’approche fonctionnaliste ont une attitude inverse.
Pour l’école fonctionnaliste, plus optimiste, la coopération doit être la norme et le conflit l’exception. L’interdépendance économique et environnementale entre les Etats a tendance à s’accroître, aussi chacune des parties a intérêt à considérer l’autre comme un partenaire. Cette approche est prescriptive, elle propose des solutions à la question de savoir comment coopérer, alors que la question du pourquoi coopérer ne lui semble pas pertinente. Cependant, elle introduit un élément supplémentaire qui tempère son optimisme. Elle reconnait qu’il existe une barrière à la coopération : le risque du non-respect des accords passés.
La coopération ne sera alors possible que si un organe crédible de coercition est mis en place. Pour l’école fonctionnaliste l’asymétrie de l’information entre les États et l’incertitude sur le comportement de l’autre sont les principaux obstacles à la coopération.
Finalement, à la question de savoir que faire pour encourager la coopération l’approche réaliste a peu à dire, car pour elle la coopération est l’exception, alors que la méfiance et la situation de conflit sont la règle. Dans l’hypothèse où, tout de même un accord est passé, tel Oslo II, article 40, sur les ressources en eau, celui-ci doit refléter, ce qui est le cas, l’asymétrie du pouvoir : le comportement d’un Etat est proportionnel à sa puissance, aussi la coopération ne sera possible que si elle sert les intérêts de la puissance dominante. Les termes de la coopération doivent alors refléter avant tout ses intérêts. A l’opposé, l’école fonctionnaliste met l’accent sur tout ce qui pourra renforcer la coopération. Elle favorisera la création d’institutions supranationales, telles les agences spécialisées, la participation des structures méta-nationales. Elle pense que la condition pour que la coopération se développe, est l’acceptation par chacune des parties d’une perte partielle de souveraineté.
Le problème du partage des ressources en eau n’est pas, loin s’en faut, la cause première du conflit entre Israéliens et Palestiniens, on l’a dit. Dans l’optique fonctionnaliste, l’espoir existe qu’un accord sur les questions de type 2 (l’eau) pourra avoir un effet de contagion sur la résolution des questions de type 1 (réfugiés, Jérusalem, tracé des frontières et avenir des implantations) qui pourront plus facilement trouver une solution acceptable par les deux parties. Cette attitude, résolument optimiste, est cependant non confirmée dans les faits. L’accord d’Oslo I de septembre 1993 entre Israéliens et Palestiniens n’a, hélas, pas empêché la seconde Intifada d’éclater en septembre 2000. Adoptant une démarche gradualiste, cette approche espérait, par un processus d’apprentissage, modifier les comportements dans le sens d’une attitude plus coopérative. Elle avait une nette préférence pour une gestion partagée des ressources en eau dans le cadre d’un bassin unique, dans ce cas, le Bassin du Jourdain. Plusieurs tentatives allant dans ce sens ont été tentées dans les années cinquante mais ont finalement toutes échouées.
Mais alors, à quelles conditions la coopération est-elle rendue possible, si on admet que l’approche fonctionnaliste coopérative est considérée comme exagérément optimiste et de plus, démentie par les faits. Deux facteurs sont à prendre en considération, et deux conditions, considérées comme des impératifs, devront être satisfaites. Le premier facteur concerne le besoin de la ressource et le second a trait au rapport de forces. Concernant le premier facteur, la nécessité absolue de disposer d’eau dépend de la situation géographique. Le pays amont, qui se trouve ainsi dans une position favorable n’est pas incité à coopérer, alors que le pays aval, indépendamment de sa puissance relative, est toujours incité à obtenir un accord. Lorsqu’un Etat est puissant et que le besoin de la ressource est important la coopération est rendue possible. Deux conditions supplémentaires doivent être satisfaites. En premier, un accord sérieux sur l’eau ne pourra émerger que si un accord politique global portant sur les questions clés du conflit aura été, au préalable, signé. En ce sens l’accord Oslo II est un accord à minima. Tant que les questions fondamentales (réfugiés, statut de Jérusalem, l’avenir des implantations israéliennes en Cisjordanie), n’auront pas trouvé de solution acceptable par les deux parties, il n’y a aucun espoir que la partie dominante – dans ce cas, Israël – accepte de céder les avantages qu’elle possède. Il est raisonnable de penser qu’un accord portant sur les ressources du Bassin du Jourdain ne pourra se matérialiser que si les négociations entre Israéliens et Palestiniens sur le statut final aboutissent à la signature d’un accord définitif qui ne sera pas remis en cause ultérieurement par l’une des parties. La seconde pré-condition est la participation active d’un parti tiers à la négociation et à la mise en œuvre de l’accord.
La situation actuelle est la suivante. D’une part, alors que la demande est en augmentation constante, la quasi-totalité des ressources non renouvelables, à l’exception notable des ressources de l’aquifère oriental, est exploitée, majoritairement par les israéliens, et, d’autre part, Israël développe à grande échelle d’autres ressources alternatives, soit par dessalement soit par traitement et réutilisation des eaux usées. Du côté palestinien, la possibilité d’accroître l’offre par dessalement n’est possible, qu’en construisant une unité de dessalement à Gaza qui a un accès sur la Méditerranée. Cette hypothèse suppose remplies trois conditions. En premier, compte tenu de leur dépendance vis-à-vis de l’aide internationale, celle-ci devra en assurer le financement. En second, un accord entre l’Autorité palestinienne qui gouverne en Cisjordanie et le Hamas qui gouverne à Gaza, sera indispensable pour la réalisation du projet. Dans cette hypothèse, le contrôle de l’eau à Gaza donnera au Hamas une arme stratégique vis-à-vis de la Cisjordanie. Enfin, le consentement des Israéliens est incontournable, dans la mesure où ils devront donner leur accord pour que le pipeline entre Gaza et la Cisjordanie traverse le territoire israélien. Ce qui pose le problème du lien territorial entre Gaza et la Cisjordanie. Ces données indiquent clairement que la solution passera, soit par l’acceptation par Israël d’accorder plus d’eau aux Palestiniens, soit de leur permettre d’avoir accès à la Méditerranée pour installer leurs unités de dessalement et donc de passer par le territoire israélien. Quelle que soit l’hypothèse retenue, la coopération entre les deux parties est inévitable, à la différence que les Palestiniens sont dans une situation plus délicate que celle des Israéliens qui n’auraient pas à souffrir de l’absence d’accord. Les Palestiniens sont, compte tenu des contraintes géographiques (localisation spatiale), politiques (absence d’État constitué, position de faiblesse relative), financières (dépendance par rapport à l’aide internationale et aux « clearences revenues ») et stratégiques, dans l’obligation de rechercher la coopération afin de satisfaire les besoins essentiels de la population.
En conclusion, tous les arguments militent en faveur de la coopération qui n’est pas seulement souhaitée, mais qui est incontournable, dans l’intérêt des deux parties.
A quelles conditions la négociation peut aboutir
Malgré la rigidité des positions, le débat sur l’eau a profondément évolué. Les rapports, les études, les propositions des uns et des autres montrent un paysage psychologique finalement assez nouveau. L’accord politique qui pourrait remplacer Oslo II devrait respecter un certain nombre de conditions, définir des objectifs communs et mettre en place un management efficace et équitable des ressources en partage.
Les conditions à respecter. L’accord devrait être rédigé en termes clairs, dépourvu de formules ambiguës, intelligible, contraignant politiquement. Il doit pouvoir être mis en œuvre sur le terrain de manière concrète, Il doit être symétrique, en ce sens que la solution ne doit pas être imposée par l’une des parties Il doit être durable, non susceptible d’être remis en cause, une fois signé, par l’une des parties, estimant pouvoir obtenir plus.
Le cadre élargi. Dans l’hypothèse où les négociations reprennent, elles devraient s’inscrire dans un cadre élargi à un double niveau, thématique et régional. Il parait impossible de vouloir traiter la question de l’eau indépendamment des autres aspects fondamentaux du conflit qui ont forcément une influence sur celle-ci (le tracé des frontières, le statut des réfugiés, le lien territorial entre Gaza et la Cisjordanie qui posera la question du transfert de l’eau dessalée depuis la côte méditerranéenne jusque dans les villes de Cisjordanie, la question du partage et de la gestion de Jérusalem. Également, ne serait-il pas souhaitable de traiter la question de l’eau entre Israéliens et Palestiniens dans le cadre élargi de l’Initiative Arabe de Paix ? Cette proposition, initiée par l’Arabie Saoudite en 2002, votée ensuite par la Ligue Arabe en 2002, puis à nouveau en 2007, pourrait relancer les négociations israélo-arabes et initier une coopération fructueuse au Moyen-Orient.
De « l’hydro-conflit » à « l’hydro-confiance ». Le désaccord entre Israéliens et Palestiniens sur la question de l’eau, exacerbé par des déterminismes liés à l’environnement, caractérisé par un déficit chronique, est de nature politique. Il est perçu, en particulier pour les Israéliens, comme un élément de leur sécurité. Aussi, tant que le climat de méfiance persistera, l’eau sera considérée comme une « arme ». (1) Pour rétablir la confiance entre les deux parties, il est urgent qu’Israéliens et Palestiniens acceptent de passer d’une politique de management du conflit à la volonté de vouloir le résoudre. Les Israéliens doivent reconnaître, non seulement de manière formelle, mais aussi par des mesures concrètes le droit à l’eau des Palestiniens. Ceux-ci à leur tour doivent comprendre et respecter le souci sécuritaire légitime des Israéliens.
Un ensemble de mesures concrètes permettrait de rétablir un climat de confiance. La coopération est indispensable pour les deux parties, au moins pour des raisons techniques. Du côté palestinien la coopération est rendue nécessaire du fait de la position géographique de son territoire. Les ressources supplémentaires indispensables pour assurer les besoins croissants de la population et de l’économie ne pourront sérieusement provenir que du dessalement massif de l’eau de mer, or la Cisjordanie n’a pas d’accès à la mer et les unités de dessalement qui seront construites à Gaza ne pourront alimenter la Cisjordanie en eau potable que par des canalisations qui devront forcément traverser le territoire israélien. Les Israéliens ont également intérêt à coopérer car l’eau issue de l’aquifère montagneux risque d’être de plus en plus polluée dans l’hypothèse d’un pompage excessif. Une surexploitation de l’aquifère facilite l’infiltration de l’eau de mer qui rend l’eau salée.
La dimension politique. Les Israéliens ont déjà reconnu, dans l’accord Oslo II de 1995 les droits à l’eau des Palestiniens qui devront être mis en œuvre à l’issue de la période intérimaire de cinq ans. Il conviendrait, lors de la négociation future, de les inscrire de manière tangible, et pas seulement comme une déclaration de principe.
Les objectifs partagés. L’accord doit être économiquement efficient, équitable socialement et durable et dont la gestion puisse être appliquée en pratique.
Conclusion. Quels que soient les accords futurs, les Palestiniens, qui revendiquent l’affirmation politique de leurs droits, se trouvent dans la nécessité de coopérer de façon plus étroite avec Israël sur le plan technique. Les Israéliens, qui proposent une coopération technique accrue, seront forcément amenés à conclure un accord politique. Il s’agit, pour les années à venir, à la fois, de renforcer la coopération technique et de conclure un nouvel accord politique qui puisse satisfaire les deux parties. Il existe donc des pistes pour arriver à la conclusion d’un accord raisonnable sur l’eau, conclusion qui semble renforcée par le développement rapide des progrès techniques dans la production et le retraitement des eaux.
Trois conditions doivent être remplies pour assurer le succès de la négociation sur l’eau. En premier, les ressources en partage doivent être considérées par les deux parties comme stratégiques. En second, la négociation a des chances d’aboutir lorsqu’elle doit traiter du présent et non de problèmes à venir. Et enfin, troisièmement, il doit exister un climat de confiance entre les deux parties. Les deux premières conditions sont remplies, reste la troisième, plus difficile à satisfaire, compte tenu des déceptions engendrées par les négociations antérieures. Il faut espérer que la fatigue des parties, après un si long conflit, sera telle qu’elle puisse créer un minimum de climat coopératif et aboutisse à un accord solide et durable sur l’eau et… sur les autres dimensions du conflit.
Gilbert BENHAYOUN
(*) le titre et le propos introductif sont de la rédaction
(1) Le conflit armé qui a opposé Israël à la Syrie, en 1967 et au Liban en 2002, a montré que l’eau n’avait pas la même importance stratégique pour Israël et pour ses voisins. Pour les Israéliens, l’eau en provenance des hauteurs du Golan et du Sud Liban représente une part très importante des ressources en eau potable, alors qu’elles ne représentent qu’un pourcentage très faible, aussi bien pour les Libanais que pour les Syriens. Le projet de détourner ces ressources était plus motivé par des considérations politiques qu’économiques. (Libiszewski, S., « Water Disputes in the Jordan Basin Region and their Role in the Resolution of the Arab-Israeli Conflict », Occasional Paper, n°13, ENCOP, Environment and Conflicts Project, August 1995).