Publié le 26 novembre 2016 à 20h12 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h43
Les engrenages identitaires en France, en Europe comme aux Etats-Unis sont des enjeux vitaux qu’il est essentiel d’éclairer à la lumière de l’expérience historique.
C’est une mission centrale de la Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Éducation.
Une certaine Amérique a élu son chef, et celui-ci procède à des nominations qui inquiètent. Après le Brexit, cette situation qui bouscule marque une rupture dont les contours sont encore flous. Deux grandes démocraties historiques semblent ainsi hésiter entre une réorientation forte mais apaisée et une dérive vers un bouleversement immaîtrisable et dangereux pour la paix civile. L’incertitude obscurcit leur avenir, et le nôtre. Partout dans le monde démocratique, les «surprises» traduisent une déstabilisation du politique par le sociétal, cet ensemble difficile à cerner où les valeurs, les affects voire les passions dominent actuellement. Devant de tels enjeux, le recul de l’Histoire et des sciences sociales permet d’apporter un éclairage, aujourd’hui nécessaire, pour mieux comprendre et donc mieux combattre les processus et les écueils mortifères que nos sociétés doivent impérativement éviter. C’est l’expérience de l’humanité qui peut ainsi être mise au service de son présent.
Les engrenages identitaires qui ont été à l’œuvre dans les plus grands drames de l’histoire produisent et reproduisent les mêmes étapes nourries de peurs et de rejet de l’autre, puis d’exclusions voire de violences extrémistes, racistes, antisémites et xénophobes. A partir de l’expérience historique des grandes tragédies humaines, les sciences sociales permettent aujourd’hui de prendre le recul nécessaire pour éclairer les mécanismes individuels, collectifs et institutionnels qui peuvent conduire nos démocraties à leur perte et menacer la paix civile. Mais l’Histoire nous dit aussi que chacun peut réagir, résister, chacun à sa manière, et que plus tôt a lieu la résistance, moins elle est difficile et plus elle est efficace.
De ce point de vue, parmi d’autres «surprises» politiques, le résultat des élections américaines est un nouvel « avertisseur d’incendie » pour la France et l’Europe, comme le disait Walter Benjamin face à la montée de l’autoritarisme dans les années trente. Il confirme que les crises morales, politiques, économiques et sociales qui affectent actuellement nos sociétés attisent les peurs, souvent les passions et toujours les crispations. Celles-ci exacerbent la dimension identitaire et donnent au «Eux et Nous» une place centrale dans le débat public. Ces « surprises » traduisent et accélèrent aussi un processus de banalisation et surtout de légitimation et de libération de la parole raciste, antisémite, xénophobe et discriminatoire. Et quand les mots deviennent fous, les hommes deviennent fous.
Alain Chouraqui est Président de la Fondation du Camp des Milles- Mémoire et Éducation et Directeur de recherche émérite au CNRS. Il a dirigé l’ouvrage «Pour Résister à l’engrenage des extrémismes, des racismes et de l’antisémitisme» aux éditions Cherche-midi , 2015. «Petit Manuel de survie démocratique», éditions FCM 2016
A propos de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation :
La Fondation du Camp des Milles est un établissement à but non lucratif, reconnu d’utilité publique par décret du Premier ministre en date du 25 février 2009.
Elle avait pour mission première d’aménager les espaces et bâtiments de l’ancienne tuilerie des Milles qui fut entre 1939 et 1942 camp d’internement et de déportation, pour en faire un haut-lieu de Mémoire et d’Histoire au service de l’Éducation citoyenne et de la culture. C’est aujourd’hui le seul grand camp français d’internement et de déportation encore intact.
Après l’inauguration en septembre 2012 de ce Site mémorial, la Fondation est aujourd’hui en charge de la gestion et du développement de celui-ci, ainsi que des activités d’accueil des publics, de formation, de culture, de recherche et de coopération internationale.
Ces activités sont particulièrement tournées aujourd’hui vers les publics des quartiers prioritaires eux-mêmes souvent confrontés aux extrémismes identitaires.
Dans le cadre de sa mission fondamentale de mémoire et d’éducation citoyenne, la « Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Education » propose, dans le Site mémorial comme par ses outils pédagogiques, un éclairage pluridisciplinaire et intergénocidaire qui se conjugue au présent et au futur, en particulier sur la dynamique des extrémismes identitaires. Un réseau scientifique international créé par la Fondation du Camp des Milles et l’Université d’Aix-Marseille sous la responsabilité d’Alain Chouraqui a été reconnu comme « Chaire Unesco » et inauguré en 2015 par le président de la République et la directrice générale de l’Unesco. Son domaine d’action est : «Éducation à la citoyenneté, sciences de l’homme et convergence des mémoires». Il prolonge le «volet réflexif» d’éducation citoyenne du Mémorial qui est lui-même inédit sur un lieu de mémoire dans le monde.