Publié le 9 décembre 2016 à 21h01 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h45
29… C’est un chiffre sympathique, rond avec de belles volutes. La tête du 2 enroule lentement un corps mince se terminant sur un pied bien stable et solide, dans son dos le neuf met en avant ses circonvolutions pour se lover parfaitement dans celui qui le précède. Tous deux sont ronds comme un bide énorme, tel celui d’une femme enceinte. D’ailleurs lui, le ventre de sa mère, il ne l’avait quitté qu’il y a une quinzaine d’années. Mais est-ce que ce chiffre lui aurait plu, lui aurait-il inspiré le repos, la sérénité ? Le repos il l’a, la sérénité l’a-t-il connue ?
Ils sont comptabilisés comme des boîtes de conserve, comme des objets sans vie par une presse contrainte de déplorer cette litanie et par des autorités policières incapables de solutionner leurs enquêtes. Alors ils tombent comme des mouches flytoxées, comme la lame venant trancher la nuque du condamné et faire rouler les têtes ensanglantées dans un vulgaire panier d’osier. Pourtant tous ont été condamnés à mort mais sans jury populaire …
En ce mois de novembre, ils sont 29 à avoir succombé à Marseille. 29 personnes n’ont pas survécu aux balles des armes automatiques circulant librement dans les cités des quartiers nord de la ville. Certains avaient passé la quarantaine, d’autres allaient atteindre la trentaine mais beaucoup d’entre eux n’avaient pas vingt ans.
Lui, le numéro 29, n’avait que 15 ans et c’est dans une colline Marseillaise toute proche de l’agglomération qu’il a été découvert. Il avait reçu deux balles dans la tête et son corps était en partie calciné. Dans le fond d’une ravine, par loin du regard des promeneurs, il avait été abandonné. Même pas caché, pas dissimulé comme si les tueurs n’avaient pas eu honte d’abattre un si jeune homme et se moquaient de ce que l’on en penserait. Presque comme une provocation, un pied de nez aux services de la police judiciaire phocéenne.
Il n’avait que 15 ans et même si son casier judiciaire était bien plus étoffé que son curriculum-vitae il ne méritait pas de finir ainsi. Un enfant, un minot de Marseille élevé dans le 3° arrondissement de la ville. Un arrondissement perdu comme tant d’autres, comme ceux du Nord de la deuxième ville de France. Ces arrondissements que l’on ne veut pas voir, que l’on souhaiterait même supprimer pour embellir la carte postale de cette mégalopole où accostent régulièrement des bateaux de croisière pour déverser des centaines de touristes désireux de s’encanailler dans la capitale de la Kalachnikov. Jadis il y eut Chicago aujourd’hui nous avons Marseille.
C’est même un business. Une entreprise prend en charge les croisiéristes pour les amener au fil des quartiers dans lesquels des crimes ont été commis, dans des secteurs où des grands noms d’un banditisme sont nés. Une aberration !
Mais ce crime abominable n’est en fait que le reflet d’une politique ayant délaissé des quartiers entiers au profit de projets ambitieux. Dans ces quartiers il n’y a plus rien, plus rien ne subsiste. Les services à la personne ont disparu, les services public ont déserté. Plus de commissariat de police, plus de Poste et plus de pharmacie ou d’épicerie autre que Hallal. Le seul commerce qui y est florissant reste celui de la résine de cannabis. Ce sont des millions d’euros qu’il génère, ce sont des dizaines de meurtres qu’il engendre au nez et à la barbe des autorités sans doute bien occupées à construire des Mucem ou des Terrasses du Port.
Lui, il avait grandi là dans un quartier du centre-ville mais que l’on considère, au moins au niveau policier, déjà comme le nord de la ville. Son univers était fait de shit, de guetteur et d’argent pas si facile que cela puisqu’il conduit dans un ravin d’un colline locale. Ses uniques repères n’étaient que la violence, l’insulte en oubliant le collège et le respect, en omettant même qu’il fallait se faire un avenir. Mais a-t-on un avenir lorsque l’on vit là ? A-t-on un espoir de sortir de ce marasme autrement que par le deal, autrement que par la violence et les armes ?
Aucune alternative ne lui était offerte, rien ne lui était proposé par les services de la mairie ou de l’État. Ici même les piscines sont fermées, même les écoles sont vétustes et même les associations peinent à exister. Dans le Sud de la ville les grandes roues tournent, les rues sont refaites et le stade Vélodrome s’est enveloppé d’une robe blanche pour accueillir une équipe qui peine à briller. Dans le Nord de la ville ont ne gagne pas non plus, on y rame, on y galère … On y crève !
Il n’a pas eu le temps d’aller voter, de conduire une voiture ou de passer un baccalauréat, il n’a eu le temps de rien si ce n’est d’évoluer dans une atmosphère glauque et de mourir comme un chien …
Sans doute ce crime sera élucidé, il le sera policièrement comme disent les limiers de la P.J. Ils parviendront à mettre des noms sur des meurtriers sans pouvoir les «accrocher», sans pouvoir prouver qu’ils sont bien les commanditaires et les porte-flingues d’un ridicule réseau de vente de shit ou de trafics divers … Il restera le numéro 29 d’une liste qui prendra fin le 31 décembre 2016. De quoi sera faite celle de 2017 ?
A lire aussi de Marc La Mola [[Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de notre ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. «Après trop de saloperies brassées et surtout trop de turpitudes d’une hiérarchie devenue inhumaine car aux ordres d’une politique abjecte, Marc décide de retourner à la vie civile pour écrire.» Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls », «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, « Police, Grandeur et Décadence » dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Marc est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne aussi l’écriture de scénarios à l’école supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13) ]]