Publié le 2 janvier 2017 à 9h06 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h45
Impossible d’aller chercher des vraisemblances historiques dans le film Assassin’s Creed tiré du célèbre jeu vidéo ! Ce ne fut jamais le but de ce divertissement à la mode des blockbusters américains. On s’installe dans un fauteuil face au grand écran pour d’autres raisons. On y croise d’abord les fans de Michael Fassbender, le célèbre Magnéto de la série X-Men de Marvel. S’y ajoutent les amateurs de super-héros, tant il est clair que les membres de la société des Assassins ressemblent à une équipe de méta-humains en regard de leurs incroyables prouesses physiques qui font passer les ninjas pour des amateurs… Ces guerriers Jedis du Moyen Âge espagnol bondissent de toit en toit avec une parfaite aisance ! Enfin, quelques cinéphiles verront dans ces deux heures de spectacle quelques occasions de réflexion symbolique sur notre époque politique et intellectuelle. Comme dans beaucoup de films destinés à distraire, on débusque sans effort dans le combat des Assassins quelques éléments forts du climat mental du temps.
Les Templiers, auxquels s’opposent les Assassins, représentent dans cette intrigue (éloignée des jeux vidéos) les élites politiques, économiques et culturelles de notre monde ; celles qui occupent le sommet de la pyramide du système de pouvoir contemporain. Jeremy Irons et Charlotte Rampling (dans le rôle de deux Templiers de la strate dirigeante) expliquent au cours d’une brève conversation que le but de l’organisation est de discipliner «les masses», à l’origine de la violence tout au long de l’Histoire.
On reconnaît dans leur discours le cheminement mental qu’empruntèrent dès les années 30 les théoriciens et les hommes d’affaires convaincus que les sociétés démocratiques deviendraient rapidement des régimes ingouvernables. A la suite de l’américain Edward Bernays (le père fondateur des relations publiques), ils encouragèrent l’éclosion d’une société de divertissement et de consommation destinée à éradiquer la dissidence intellectuelle. Ce que comprirent très tôt les plus hautes sphères dirigeantes des démocraties, c’est que la contrainte suscite mécaniquement des réactions, la violence d’État générant finalement une violence en retour au sein des populations. En dérive l’idée d’obtenir le consentement des individus à leur propre «normalisation», au profit d’un capitalisme de plus en plus prédateur (n’ayant plus grand chose à voir avec le libéralisme originel) et de pouvoirs politiques sclérosés, même dans les sociétés démocratiques. Il s’agit en fait de moderniser la mécanique de la «servitude volontaire» décortiquée jadis par Étienne de La Boétie, en la faisant reposer non plus sur la cascade de l’oppression mais sur la fabrication d’une cage dorée…
Pour en revenir au film de Justin Kurzel, des Templiers supervisés par Rikkin (Jeremy Irons) entreprirent de mettre définitivement fin aux désagréments de la liberté individuelle en s’emparant de la «Pomme d’Eden», sorte de carte génétique localisant le libre arbitre, dont on ne sait pas très bien si l’on doit la considérer comme un héritage divin ou le résultat des efforts scientifiques d’une ancienne civilisation extrêmement évoluée (qui aurait précédé l’humanité). A cette fin, ils rassemblent dans une citadelle -tenant à la fois du laboratoire d’expérimentations et du quartier de haute sécurité- les derniers représentants de la lignée des Assassins. En les plaçant à l’intérieur de l’Animus, un appareil de haute technologie créé par Sophia, la fille de Rikkin, les Templiers espèrent exploiter la mémoire génétique des prisonniers et mettre à exécution leur projet de domestication planétaire des esprits.
Au final, Assassin’s Creed atteint son objectif : divertir en mobilisant les experts du high-tech et en scénarisant quelques archétypes et figures historiques. Bien entendu, on n’oublie pas pour autant la stratégie commerciale d’Ubisoft consistant à communiquer autour de l’imaginaire de son jeu vidéo déjà star… Il n’en reste pas moins que le duel des Assassins et des Templiers va piocher dans cette tendance lourde de l’époque que constitue la méfiance envers les élites. La popularité de ce thème finit par être préoccupante… Et elle devrait davantage faire réfléchir nos dirigeants…
Eric Delbecque Président de ACSE Auteur de : Les super-héros pour les nuls (First)