Publié le 13 mars 2017 à 19h56 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h56
Beate et Serge Klarsfeld « les guérilleros de la mémoire » ainsi nommés dans un film qui leur fut consacré en 2011, ont dédié leur vie à la lutte contre l’oubli. A partir des Mémoires de ce couple, parues en 2015, le grand séminaire de la Maison de la recherche d’Aix Marseille Université (AMU) a posé la question de la transmission et de la préservation de la mémoire dans un contexte transculturel. Trente après le procès Barbie il s’est agi, voilà quelques jours, de réfléchir à la légitimation juridique des actions des Klarsfeld et, par extension, d’interroger le concept de justice dans la tradition juive. Un débat auquel participait notamment Alain Chouraqui, le président de la Fondation du Camp des Milles, (Serge Klarsfeld étant le président de l’Association des Amis de la Fondation du Camp des Milles). La Fondation accueille l’exposition sur les 11 400 enfants juifs déportés de France. Une rencontre qui, dans une salle comble, a été animée par l’universitaire Béatrice Gonzales-Vangell
En 1960, à 21 ans, à peine sa majorité atteinte, Beate quitte l’Allemagne pour devenir jeune fille au pair à Paris. Sur un quai du métro, elle rencontre Serge Klarsfeld avocat, dont le père est mort en déportation. Ils ne se quitteront plus. Il lui fait découvrir l’histoire de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, la présence d’anciens nazis à des postes clés de la société. Le 7 novembre 1963, ils se marient devant le maire du XVIe arrondissement dont c’est le premier mariage franco-allemand. Il déclare aux jeunes mariés : «Tâchez d’être un couple exemplaire». Serge Klarsfeld considère: «Le Maire a été un bon pédagogue, nous avons tout fait pour rapprocher la France et l’Allemagne».
«La chasse des criminels nazis ne doit pas faire oublier la lutte contre l’oubli»
C’est aux Klarsfeld que l’on doit la condamnation de plusieurs responsables nazis : ils ont retrouvé en Bolivie Klaus Barbie, le boucher de Lyon, Kurt Lischka, chef de la Gestapo, complice de l’assassinat de 73 000 juifs… Le couple est parfois à la limite de la légalité, leurs actions sont toujours spectaculaires. Ils sont également de tous les combats contre « les collabos ». La chasse des criminels nazis ne doit pas faire oublier la lutte contre l’oubli conduite par les Klarsfeld. Pour eux, l’Allemagne et la France doivent regarder en face leur passé. Une pensée qui va les conduire à collecter des documents, organiser des manifestations, poursuivre les criminels. Il faudra attendre 1995 pour que Jacques Chirac reconnaisse le rôle de l’ État français dans la déportation des juifs de France et ce n’est qu’en 2015 que l’Allemagne a remis aux Klarsfeld la Croix fédérale du mérite. Ils sont depuis plusieurs années commandeur et grand officier de la Légion d’honneur en France.
L’histoire a commencé par une gifle, en 1968 au chancelier allemand, Kurt Georg Kiesinger. Cet ancien nazi a été élu en 1966. «C’était une gifle pour l’avenir», assure Beate. Elle fut condamnée à un an de prison ferme et déclarée renégate: «Mais le monde entier avait découvert que l’Allemagne était gouvernée par un ancien nazi». Serge Klarsfeld dévoile: «J’ai dit à Beate qu’elle avait accompli un acte historique, que nous ne ferions rien de plus important. Alors c’est avec décontraction que nous avons fait le reste».
«Ils ont mis en avant la nécessité de compléter une mémoire tournée vers le passé par une autre, tournée vers l’avenir»
Alain Chouraqui indique: «Dans le combat de plus de 30 ans pour la reconnaissance du camp des Milles les Klarsfeld ont été parmi les premiers à nous rejoindre et ils ont mis en avant la nécessité de compléter une mémoire tournée vers le passé par une autre, tournée vers l’avenir. Avec Simone Veil, Jorge Semprun, Elie Wiesel, ils ont permis que la mémoire révérence soit complétée par la mémoire référence». Il ne manque pas d’alerter sur le fait que le logo de la Fondation a été modifié: «il y était inscrit « mémoire pour demain », nous l’avons changé par « mémoire pour aujourd’hui ». Demain est arrivé très vite». Il insiste sur l’importance de la mémoire transculturelle: «C’est un outil méthodologique essentiel. Il s’agit, lorsque l’on travaille sur les conditions qui ont conduit à la Shoah de savoir si elles sont spécifiques ou sont une leçon de l’Histoire dans son universalité. Nous avons donc rapproché la Shoah des génocides arméniens et tutsis car il faut valider une « expérience », aussi tragique soit-elle, pour savoir si elle est universalisable. Et nos travaux montrent qu’il existe des spécificités mais aussi des grandes étapes qui conduisent au pire ainsi que les capacités d’y résister». «Dans quelques semaines, poursuit-il, nous allons connaître une échéance politique majeure. Les extrémistes identitaires religieux et nationalistes seront présents or de tels extrémistes mènent au pire, font sortir du cadre de la raison bien fragile. Une raison dont la démocratie a besoin mais qui peut être balayée lorsque les tensions sont trop fortes, la démocratie trop faible. Un phénomène qui se produit au terme d’étapes précises. Et il importe de savoir que nous sommes aujourd’hui au milieu du chemin. Le plus grand danger réside dans le fait que nous n’y croyons pas alors que le processus peut s’accélérer dans quelques semaines ». Serge Klarsfeld va dans le même sens: «Si la France peut donner 30% dans les sondages au leader d’un parti chauvin, raciste, extrémiste, c’est que la menace est grande de voir un parti tels ceux des années trente arriver au pouvoir. Et si l’Europe se fragmente avec des frontières, des armes, des rivalités, nous aurons une violence qui ressemblera à celle des années 40. Nous sommes confrontés à un péril extrêmement grave. Il faut se mobiliser pour constituer un front républicain, un combat que j’avais mené lors des dernières régionales en Paca». Il plaide alors pour une Europe fédérale.
«Il ne peut y avoir miséricorde si, au départ, il n’y a pas justice»
Le propos en vient au concept de justice dans la tradition juive. Jean-Marc Chouraqui explique: «Dès l’ouverture du texte biblique la création se donne sous le signe de la justice, le premier évoqué est en effet celui de justice, celui de compassion et d’amour n’apparaissent que plus tard. il ne peut y avoir miséricorde si, au départ, il n’y a pas justice». «L’idée de vengeance, ajoute-t-il, est fondamentalement refusée. C’est dans ce cadre qu’est apparu la Loi du Talion qui insiste sur la notion de proportionnalité qui n’existait pas à l’époque. Le texte ne peut être pris de façon littérale car, comme il est dit dans le Talmud, si un aveugle me crève un œil… Ce qui est mis en avant c’est la réparation financière et, après, il faut que celui qui a fait du mal demande pardon». Serge Klarsfeld avance: «Nous avons toujours eu confiance dans la justice et nous avons obtenu des jugements même s’il nous est arrivé de mettre la justice sous pression. Nous nous sommes battus pour que Papon ne soit pas acquitté. les uns voulaient l’acquittement, d’autres la perpétuité, nous nous étions pour une peine graduée. De plus les Hommes peuvent changer, nous avons toujours dit aux personnes en face de nous que, si elles avaient changé elles devaient se livrer elles-mêmes. D’ailleurs, les Juifs ne se sont pas vengés avec Eichman, ils l’ont enlevé, certes, mais ils lui ont donné toutes les chances de se défendre lors d’un procès équitable».
Michel CAIRE
Ont pris part au débat les universitaires: Nicole Colin, Catherine Teissier, Béatrice Gonzales-Vangell, Sophie Nezri-Dufour et Jean-Marc Chouraqui