Publié le 21 mars 2017 à 19h55 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h45
A peine quelques lignes dans un journal, juste quelques mots hésitants pour annoncer ce qui finira par se savoir même durant cette période étrange où être flic n’est pas la panacée. Un entre filet discret presque timide tant l’annonce risquerait de froisser ou de provoquer l’hilarité des gens sensés. Bref quelques mots pour révéler que Kévin est devenu flic … Sans concours !
Mais, depuis le zinc du bar des Sports Robert s’envoie son pastis et fracasse quelques cacahuètes sous ses dents cariées et, avant de commander son quatrième «jaune», s’exclame :
– Qui c’est ce Kévin ?
– Kévin c’est le flic qui a été frappé avec un manche balai souple à Paris, tu sais le ninja! Réponds Manu en s’empiffrant d’arachides trop salées.
– Ah … Mais il était déjà flic non ? S’étonne Robert.
– Ben non il était Adjoint De Sécurité, emploi jeune en fait et il avait échoué le concours de flic.
– Il a échoué et il est reçu ? Comprends rien moi …
Ben oui c’est ainsi le jeune Kévin vient d’intégrer une école de police pour devenir Gardien de la Paix et ce sans avoir passé le concours et mieux encore après l’avoir échoué. Étrangeté que celle de l’intégration discrétionnaire d’un postulant hors sélection officielle à la suite d’un fait d’arme hyper-médiatisé. Si tant est que sa passivité face à un agité en soit un.
Et hop une esquive rotatoire et re-hop une parade croisillon pour ne pas recevoir des coups d’un tube souple porté par un abruti pensant sans nul doute que son geste allait marquer les archives des manifestations de notre pays et que les images allaient circuler durant plusieurs générations. Un idiot armé d’un bâton ridicule face à un succédané de flic, un pauvre jeune jugé inapte à la fonction. Mais parfois dans notre pays l’héroïsme se mesure à pas grand-chose voire même à rien ou à quelques images ressassées à longueur de journée sur les chaînes infos.
En arrière plan la voiture part en fumée et juste sous nos yeux un flic subi la connerie d’un anarchiste qui regretta toute sa vie son geste d’une stupidité absolue. Celui qui détestait les flics à offert malgré lui un poste à vie, une carrière de flic à celui que l’administration avait déjà sanctionné par un refus d’intégrer les rangs de la police. Ah bravo !
Mais ce qui me surprend le plus dans cette affaire ce n’est pas le geste débile du frappeur mais la capacité de l’administration a remettre en cause sa décision et ce sans aucun scrupule ni aucune honte. Un concours de la fonction publique reste le moyen le plus logique et le plus équitable pour recruter ses fonctionnaires. Feuilles anonymes, jury indépendant impossible à soudoyer et enfin entretien avec des psychologues aguerris à ce genre d’entretien forment les différentes étapes d’un processus propre au recrutement dans la fonction publique.
Si je m’attarde sur ce que je sais aujourd’hui du concours de gardien de la paix et notamment son niveau de recrutement, initialement prévu au baccalauréat, et si je regarde la nécessité comme l’urgence de recruter en masse des flics de base je suis de nouveau en droit de m’interroger sur le niveau scolaire de Kévin.
Je m’explique …
Ne nous voilons pas la face le BAC n’est plus ce qu’il fut et le niveau moyen des bacheliers d’aujourd’hui fait se retourner Jules Ferry plusieurs fois dans sa tombe. Même pas au niveau du brevet des collègues et certains affirment qu’il ne serait pas équivalent au certificat d’études de nos grands-parents, le BAC ne représente plus grand-chose hormis la fin de la période lycéenne en restant néanmoins un bagage indispensable pour poursuivre des études.
Mais Kévin ne devait pas être ni meilleur ni pire que ses rivaux. Je ne peux donc imaginer que son échec, puisque l’administration ne cesse de baisser le niveau et donc la note moyenne basse pour ne pas être contraint d’éliminer la quasi-totalité des candidats, soit dû à son piètre résultat aux épreuves écrites mais bien à l’entretien avec les psychologues.
Et c’est bien là que le bat blesse …
Si son échec est le résultat d’une concertation entre psychologues et hauts fonctionnaires de la police comment faire avaler aux autres candidats éconduits que Kévin est apte à occuper un poste de flic ? Pas à la société puisqu’elle l’approuvera après le premier JT de 20 heures et applaudira des deux mains cette incorporation bidonnée. Elle est même capable de verser une larme tant ce jeune Kévin est émouvant dans son uniforme trop serré …
Mais peu importe puisqu’il a été érigé en héros et même décoré de la médaille en chocolat, pardon en or, de la sécurité intérieure.
Je me le revois bombant le torse et faisant mine de retenir ses larmes de crocodile alors que le Président lui agrafait la fameuse breloque sur la poitrine. Affublé d’un collier cervical pour soulager une prétendue entorse cervicale j’ai même eu peur qu’il s’étouffe tant il était engoncé. Il fallait bien afficher des blessures …
Sous les crépitements des flashes et sous la haute considération de la presse voyant en lui un chevalier blanc pour ne pas avoir utilisé son arme face à un … simple manche à balai pliant sous l’effet des coups et même de l’amplitude donnée par les mouvements de l’agité du bocal anarchiste.
Affligeant et stupéfiant !
Visiblement nous n’avons pas la même vision de l’héroïsme.
Mais c’est quoi un héros ?
Un héros pour moi se lève chaque matin à 6 h et avale un mauvais café avant d’aller observer ses enfants dormir puis il part travailler pour ramener un Smic. Pour d’autres il portent une cagoule et un pistolet sur la cuisse et enfin pour les autres il reçoit quelques coups lymphatiques de manche à balai lors d’une manifestation.
Tout est histoire de vision, de considération des actes faits ou subis. Tout est laissé à l’appréciation du spectateur planté devant son écran de télé et recevant en pleine gueule les arguments des journalistes eux-mêmes formatés par la nécessité de créer des héros ou d’en faire, dans un volte- face, des lavettes voire des fascistes.
Non Kévin n’est pas un héros, il n’est qu’un pantin utilisé malgré lui par la place Beauvau pour démontrer que les flics sont équilibrés, qu’ils peuvent rester sereins face à des agressions gratuites. Reconnaissons que par les temps qui courent il vaut mieux parler de Kévin que de Théo. Non Kévin n’est pas plus un héros que ses collègues pris au piège d’une voiture de patrouille en feu, il ne l’est pas plus que ceux qui reçoivent des machines à laver lancées depuis les étages des tours HLM, il ne l’est pas plus que ce gendarme pénétrant dans un Airbus plein de terroristes qui aura le corps criblé de balles et ne sera jamais nommé au grade supérieur (1993), il ne l’est pas plus que cet infirmière que l’on humilie, que cette institutrice que l’on gifle et que ce contrôleur de bus que l’on moleste. Tout est histoire de considération et de conception de l’héroïsme. Le héros des temps modernes ne sauve plus la veuve et l’orphelin, il reçoit d’indolents coups n’occasionnant aucune blessure physique ou morale.
Mais Robert avale son dixième pastis et lance :
– Ben c’est bien pour lui au moins il n’ira pas, comme nous, chez Pôle Emploi !
Mais non Robert car dans une démocratie l’intérêt général doit primer sur l’intérêt particulier. La société a besoin de vrais héros, donnons lui en sans perdre de vue qu’ils doivent être des modèles pour une société paumée et sans repères.
Souhaitons que Kévin ne fasse pas parler de lui. Gageons qu’il soit un bon flic et ne fasse pas que la décision de l’intégrer, sans concours, soit un jour remise en cause.
Mes héros sont fatigués ils viennent de terminer une journée de labeur et pressent la télécommande pour découvrir ceux que la presse va placer au panthéon de la bravoure. Ils ne sont les héros de rien sauf peut être de leurs enfants …
Lire aussi de Marc La Mola [[Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris, il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers Nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire, à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique, il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de la Ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. Il retourne à la vie civile pour écrire. Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls», «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, «Police, Grandeur et Décadence» dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Il est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne également l’écriture de scénarios à l’École supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)]]
–Au Camp des Milles et au Vél’ d’Hiv il n’y avait aucun uniforme ennemi
–Affaire Théo « Il est où le ministre, il est où … ? »
–Police : Vous avez dit proximité ?
–Aulnay-sous-Bois : Bravure … Bavoure … Non Bavure tout simplement !
–A propos de Chiffres …
–Soufflet …
–Cannabis… Canebière !
– 29 …
–Mise à mort …
–Légitime déviance
–Oups ! Pas fait exprès…