Publié le 7 avril 2017 à 8h54 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Le bombardement ordonné par Trump en Syrie le manifeste de manière concrète et cela paraît évident quand on lit le livre d’Alexandra Laignel-Lavastine Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? : la scène politique veut nous convaincre que le tragique a disparu de l’Histoire alors que nous constatons à chaque seconde le contraire… L’irréalité de la campagne présidentielle hexagonale est insupportable. Nous avons affaire à un concours de beauté entre des candidats, pas à une réflexion sur les programmes. Ce qui occupe les écrans, c’est une analyse comparée des individus (manquée de surcroît), et pas une évaluation des politiques publiques proposées.
Alexandra Laignel-Lavastine le démontre à travers le constat simple mais fort qu’elle réalise : nous répondons au terrorisme islamiste par des bougies, des bouquets de fleurs et des larmes. Certes, la tristesse des familles et des victimes est légitime et l’émotion populaire bien compréhensible : que ces sentiments s’expriment apparaît tout à fait normal. Ce qui est en revanche inquiétant, c’est qu’ils résument la réponse que nous apportons au salafisme djihadiste, cette peste totalitaire. « Comme si nous étions partis de l’idée folle […], écrit-elle, selon laquelle, pour se débarrasser des tragédies du XXe siècle, il suffirait d’en finir avec le tragique même. En finir avec le tragique, c’est-à-dire trois choses : en finir avec la finitude propre à notre condition par le transhumanisme et son « homme augmenté »; avec le surgissement de l’imprévu, dont l’apparition fracassante d’un nouvel ennemi du genre humain ; et avec la nécessité de faire des choix douloureux, exigeant parfois que l’on tranche dans le vif ».
C’est effectivement ce qui caractérise désormais nos dirigeants et la plupart de ceux qui veulent le devenir : affirmer que la fin de l’Histoire est derrière nous. Ils prétendent le contraire mais agissent exactement comme si la France avait renoncé à se mêler des affaires de la planète et même comme si le réel n’existait pas… Exit donc la confrontation productive avec les problématiques structurantes du siècle. A commencer par les questions de sécurité ou la guerre économique qui met aux prises les puissances les unes avec les autres. Les grands défis de notre époque sont tout simplement ignorés, balayés sous le tapis. L’exemple le plus intéressant est leur absence de méditation approfondie sur le cybermonde, l’influence de la numérisation des activités humaines sur la production et le travail, mais aussi sur la nature même des rapports interindividuels. Au fond, pour eux, la politique est un monde clos qu’ils interprètent peu ou prou comme les notables des décennies passées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si leur comportement rappelle celui des parlementaires de la IVe République. La volonté de nombreux politiciens de passer à une VIe République se révèle globalement suspecte : on comprend bien qu’il s’agit en fait de ressusciter celle des petits arrangements à laquelle le Général de Gaulle a mis fin en 1958…
L’essayiste a raison : elle voit juste en écrivant que c’est l’esprit de résistance, le désir même de combattre pour des convictions, qui fait défaut à ceux qui prétendent conduire l’État. Il existe dans l’Hexagone depuis la fin de la Première Guerre mondiale une volonté de ne plus se mettre en danger pour des idées, même lorsqu’elles conditionnent notre dignité d’être humains. Dès lors, nous tendons à nous soumettre à la volonté des plus puissants du moment, ou de ceux qui possèdent le plus fort potentiel de nuisance. Aujourd’hui, les dominants s’appellent les Etats-Unis et la Chine en géopolitique, les GAFA dans l’économie numérique, les «bobos» dans l’espace culturel, etc. La politique devient l’art du slalom entre les intérêts… Il ne s’agit plus de les coordonner pour produire un bien commun, mais de les faire coexister en émoussant les frictions et tout en préservant au final le consentement de tous à la dominance d’une élite qui n’est plus le fruit de la vie démocratique. L’essentiel est dit dans cette phrase : «Nos sociétés ont ainsi poussé si loin le principe individualiste que nous avons de plus en plus de mal à nous figurer pour quelle obscure raison nous devrions nous placer, fut-ce de temps à autre, du point de vue du tout, de l’ensemble».
Nous consentons en permanence, sans jamais vouloir reconnaître que tout n’est pas négociable. Or, nos « leaders », qui devrait par définition poser des limites, se révèlent être les premiers à juger que leurs positions d’un jour ne les engagent pas sur la durée. Ils incitent donc leurs compatriotes à renoncer aux principes fondamentaux de la démocratie, les uns après les autres. De ce point de vue, l’attitude que notre pays adopte face à l’islam radical prouve que nous n’avons pas compris l’esprit même de n’importe quelle forme d’intégrisme : tester les limites d’un système, progresser de quelques mètres à chaque occasion qui apparaît. La liberté de conscience comme la laïcité s’imposent pourtant comme d’ultimes remparts, ceux au-delà desquels plus aucune défense de la pensée critique n’est possible. Cependant, aucun politique ne veut se résoudre à mécontenter une «clientèle» potentielle…
En effet, Alexandra Laignel-Lavastine évoque à raison l’aspirant André Zirnheld, membre des Forces Françaises Libres, mort pour la France en 1942 en luttant contre la barbarie nazie : nos politiciens tireraient profit à la lecture de sa «Prière du Para», laquelle engage à réclamer du ciel ou des profondeurs de soi le courage d’affronter la tourmente, l’insécurité et l’inquiétude, c’est-à-dire la réalité, le caractère tragique de notre humanité, ce qui se révèle toutefois le meilleur moyen de rendre la planète un peu plus vivable. Pour cela, il nous faut des dirigeants envahis intérieurement par la volonté de donner un avenir à leur pays, pas par l’obsession d’exister sous les feux médiatiques. Vaste programme…