Publié le 11 avril 2017 à 19h52 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Les terribles images d’enfants tués ou blessés ont légitimement choqué le monde entier. Cet acte de barbarie insensé, dont chacun a pu mesurer les conséquences, a provoqué une vague de choc et de colère partout. C’est bien normal. Depuis le 2 septembre 2014, je préconise une intervention militaire sous mandat international en Syrie et en Irak, «avant qu’il ne soit trop tard» : près de 3 ans après, la situation s’est bien évidemment aggravée. L’attaque chimique, la quatrième connue du régime de Bachar El-Assad, est le nouveau symptôme du mal profond qui gangrène le Levant. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’agir, l’émotion ne nous garantit rien.
Il y a 14 ans, les États-Unis d’Amérique se paraient du mensonge le plus éhonté pour justifier une intervention unilatérale en Irak. Les «armes de destruction massive» n’existaient pas. La déstabilisation de la zone a donné naissance aux enfants terribles de Daesch. De ce mensonge, restent des images et des mots : celle de l’audition de Colin Powell agitant ses prétendues preuves, ceux du discours de Dominique de Villepin qui affirmaient la position française. J’étais alors Secrétaire d’État aux affaires étrangères. Jacques Chirac avait compris les conséquences de ce mensonge, et il voulait que nous portions la voix de notre pays, libre et indépendant.
14 ans après le mensonge, c’est l’émotion qui pourrait nous conduire à aggraver la situation.
Oui, une intervention militaire est nécessaire. Elle doit réunir la totalité des acteurs pertinents, sur la base d’un mandat clair de l’ONU, des Américains aux Russes en passant par l’Iran et Israël. Autrement dit, il faut éviter à tout prix l’intervention unilatérale d’une coalition dont les objectifs seront nécessairement sources de conflit. Mesure-t-on bien aujourd’hui, au rythme des communiqués triomphalistes et des prises de position hâtives, à quel point l’escalade est possible ? Où est la France lorsqu’elle s’inscrit dans le sillage américain ? De notre indépendance dépend notre puissance.
La solution, à vrai dire, ne sera trouvée qu’au titre d’un compromis entre les puissances historiques qui composent le Conseil de sécurité de l’ONU. La France y a une voix essentielle, elle sera même après le Brexit la dernière puissance européenne à disposer du droit de veto comme de la puissance nucléaire d’ailleurs. Assad, Daesch, Al-Nosra : nos cibles ne doivent pas être distinguées en fonction de leurs degrés de cruauté mais en fonction de leur dangerosité pour la paix du monde. Les terribles attentats en Égypte du Dimanche des Rameaux prouvent que la bataille est loin d’être gagnée.
4000 combattants de Daesch sont terrés dans Raqqa : ce serait l’honneur d’une coalition mondiale que de les en déloger ! C’est la perspective d’écrire l’Histoire, puisque partout où l’État islamique est passé, les échos sont les mêmes : dégoût du fondamentalisme et aspiration à la paix, comme à Manbij, au Nord de la Syrie, où l’après-Daesch a déjà commencé. Pensons que les Russes sont sur le terrain, aux côtés des milices chiites et du régime. Pensons que les forces spéciales américaines, épaulées par les Kurdes, occupent certaines positions.
Allons-nous ignorer ces données ? Allons-nous projeter nos forces sans tenir compte de cette réalité ? Ce n’est qu’au prix d’une alliance mondiale coordonnée, et pas sur la seule base d’une émotion naturelle, que nous parviendrons à faire la différence sur le terrain. Pour cela, une seule solution : en passer par les Nations Unies, et éviter de répéter les fautes du passé qui ont tant coûté aux enfants de Khan Cheikhoun. Encore plus aujourd’hui qu’hier avec François Hollande, la France doit peser dans les nations du monde, compte tenu de son histoire, mais aussi de sa force diplomatique, économique et militaire. Elle ne pourra y parvenir que si elle retrouve une puissance politique, avec un Président respecté, estimé ou craint. Le choix de notre Président sera déterminant pour l’équilibre mondial. Il faut donc voter en parfaite conscience de ce paramètre jamais évoqué dans la campagne électorale !