Publié le 24 avril 2017 à 19h16 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 16h02
Un Forum «Face aux extrémismes identitaires» a été organisé par le Site-mémorial du Camp des Milles en partenariat avec Le Monde. Dans un contexte de montée des extrémismes identitaires, religieux, nationalistes et politiques, ces deux jours de prises de paroles citoyennes ont été jalonnés de riches échanges avec les différents publics et nourris d’interventions de haut niveau.
«Il ne faut rien lâcher. C’est maintenant que tout se joue… Si vous êtes là, au Site-mémorial du Camp des Milles, c’est déjà un grand pas dans l’action». C’est le message fort lancé par Jeanne Uwimbabazi, rescapée du génocide des Tutsis au Rwanda, lors de la Table-ronde « Les femmes face aux extrémismes identitaires ».
Des propos en résonance avec l’alerte lancée par Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camp des Milles, directeur de recherche émérite au CNRS : «Les outils d’analyse historiques et scientifiques que nous avons élaborés, nous permettent de constater que nous sommes entrés dans une période de tensions et de crises qui mettent en danger immédiat notre démocratie et la République. Chacun doit être inventif et créatif dans la résistance à ce danger. Il faut sortir des sentiers battus, de nos routines, parce que nous sommes dans des situations nouvelles. La condition du pire c’est la passivité de la majorité. (…) La résistance est possible. Et elle est toujours efficace». Marie-Laure Sauty de Chalon (PDG de www.aufeminin.com), qui a animé cette table ronde, a mis en exergue que «partout où les droits de l’Homme sont atteints, pour les femmes c’est pire. La situation se dégrade aujourd’hui et il est d’autant plus important de se poser la question des femmes face aux extrémismes identitaires, car on touche là un point essentiel». Une invitation pour les intervenantes à évoquer leurs vécus et expériences face aux extrémismes tout en incitant vivement à y faire face. Lors de son témoignage, Jeanne Uwimbabazi releva qu’avant le génocide des Tutsis «le côté préventif m’échappait un peu. J’ai réalisé, il y a quelque temps, que c’était important de le faire. Je m’en voudrais de rester spectatrice devant un autre monde qui se défait autour de moi. Je sens en France aujourd’hui ce que je ressentais avant le drame au Rwanda».
Dans son intervention, Khadja Nin, célèbre chanteuse burundaise et lanceuse d’alerte, précise: «La résistance, ce n’est pas un métier. Personne ne dit : quand je serai grand je serai résistant. Mais si on ferme les yeux sur la montée des extrémismes, on ne pourra plus jamais se regarder en face». Et de souligner avec force : «La résistance c’est maintenant. Après c’est trop tard».
Quant à la représentante de la Brigade des mères qui agit dans plusieurs quartiers prioritaires du pays, elle a insisté sur les dangers de l’extrémisme islamiste, auxquels font face les jeunes : «Avant on avait peur que nos enfants deviennent délinquants, aujourd’hui on a peur qu’ils deviennent terroristes.» Et de rappeler: «Cela peut toucher tout le monde, tous les milieux sociaux (…). Ce qui m’inquiète c’est le déni de certains politiques et certains qui utilisent cela pour alimenter la haine». Avant d’affirmer «tous ensemble nous devons protéger cette jeunesse».
La conférence «Vichy aujourd’hui. Quelles leçons, quels échos d’un extrémisme au pouvoir ?» a pour sa part réuni Philippe Joutard, historien et ancien recteur, Robert Mencherini, historien, Steven Luckert, du United States Holocaust Memorial Museum de Washington et Alain Chouraqui. L’enjeu, comme le rappela Antoine Flandrin, journaliste du Monde qui animait cette conférence n’était pas «de dresser des parallèles entre Vichy et la France d’aujourd’hui, mais de proposer des clés de compréhension aux citoyens, de tirer des leçons utiles pour aujourd’hui».
Robert Mencherini mit ainsi l’accent, dans son intervention, sur la difficulté d’échapper à la propagande du régime de Vichy, sur la montée en puissance des actions de la Résistance et sur «les passerelles qui existent entre les formes de résistances.»
Steven Luckert contextualisa notamment l’arrivée au pouvoir du régime extrémiste en Allemagne « Le parti nazi prône le « tous ensemble » et la force du peuple. En recherchant des « boucs émissaires ». C’est cette « solidarité » qui est très attirante surtout au moment de la crise économique de 1929.» Les crises morales, économiques et sociales, entraînent des pertes de repères et créent un terreau favorable à la montée des extrémismes. «C’est la perte de repères qui conduit certains à rechercher des repères forts, nationalistes, religieux ou politiques, et qui favorise ainsi l’instauration de régimes autoritaires», affirma Alain Chouraqui tout en appelant à la vigilance devant «des engrenages identitaires qui ont dans le passé fini par jeter des groupes humains les uns contre les autres». Il fut rejoint dans cet appel à la vigilance par Philippe Joutard qui rappela que «les pouvoirs autoritaires en place (ou qui veulent être en place) avancent masqués ; l’extrémisme sait aussi se cacher derrière un costume tranquille de respectabilité et de continuité, afin que l’on n’ait pas le sentiment de ce qui est réellement en train de changer.»