Publié le 26 avril 2017 à 21h43 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Arrivés à la cinquantaine nous faisons tous le bilan de notre vie. Avons-nous été de bons parents, de bons enfants et avons nous toujours été respectueux des autres et des institutions, avons nous eu une attitude parfaite, etc. etc.? Bien évidemment non, du moins en ce qui me concerne mais, la cinquantaine reste aussi la période où les traumatismes d’enfance refont surface tels de vieux cauchemars dissimulés derrière un âge presque canonique et une expérience de la vie déjà bien complète.
Pour moi c’est indéniablement la roulette du dentiste dans les années 70 chez qui les séances sur le fauteuil de moleskine ressemblaient plus à des scènes de torture et à des actes de barbarie. J’ai souvenir de son regard vicieux et autoritaire et encore aujourd’hui je perds trois kilos à chaque détartrage tant je sue. Et, même si ma praticienne se prénomme Laurence et me plante son 90 bonnet D dans la gueule à chaque fois qu’elle reluque ma cavité buccale je me transforme en mauviette dès que je m’installe dans sa salle d’attente et que je sens les fragrances agressives des substances vénéneuses qu’utilise cette tortionnaire.
Dans le domaine des traumatismes d’enfance je ne compte malheureusement pas que celui-là. Dans le genre pervers, il y avait aussi mon professeur de mathématiques qui se faisait un plaisir de parler une langue que je n’ai jamais comprise. Il prenait un malin plaisir à me lancer des insultes comme PGCD ou PPCM en brandissant sa craie blanche. Je me souviens même qu’une fois il m’avait même traité de cosinus …
Un réel traumatisme que je trimballe depuis tout ce temps et que même après des mois de psychothérapie je ne suis pas parvenu à extirper de mon cerveau malade d’ancien flic et à me confier à ce spécialiste des tortures infligées aux enfants de ma génération. Mais il est vrai que dans un encéphale de flic on peut trouver plein de choses, plein de traumatismes bien plus sérieux que ceux que je viens d’énoncer en introduction de ma tribune.
Aujourd’hui donc, j’ai passé la cinquantaine et je regarde cette période trouble sur le plan politique que nous vivons actuellement. Je n’ose pas me mettre à la place des adolescents et m’inquiète de savoir comment ils vivront, dans trente cinq ans, ce traumatisme car c’en est un. Le premier tour de l’élection a permis d’éliminer neuf candidats tous plus grotesques les uns que les autres et dont certains n’avaient que la probité de Scarface ou de Mesrine alors que les autres n’étaient venus là que pour se distraire ou plutôt distraire les Français plongés dans un ennui à mourir. Je ne reviendrai pas sur notre ami Poutou incapable de se raser et de porter à minima une chemise et au maximum un costume, je ne vous ferai pas l’affront d’évoquer ce pauvre Lassale qui semblait une brebis égarée dans une meute de loup et enfin, je ne parlerai pas des candidats n’étant pas parvenus à récolter un pour cent des suffrages. Enfin une pantalonnade qui provoque, chez les quinquas, des fous rires et crée de vrais traumatismes chez les ados et c’est bien cela qui m’inquiète.
Quelle image de la politique vont-ils avoir, que vont-ils penser de nous et des choix que nous avons été amenés à faire … ?
Tant de questions que ces jeunes devront aller exprimer dans des cabinets de psy, tant de perturbations engendrant des TOC et des TIC sans doute pour une génération sensée préparer les retraites de leurs aînés. Comment vivront-ils dans une société si c’est une madame Le Pen qui dirige? Nous trouveront-ils des excuses de n’avoir eu que ce choix, de ne pas avoir été capable de discerner la démocratie de l’obscurantisme, la tolérance face au totalitarisme ?
Je m’interroge et dois vous avouer que je suis inquiet mais non pas pour la société qui d’ailleurs n’a jamais rien compris à la politique et est capable d’élire à Marseille un maire de secteur FN puis de voter, sur le même arrondissement, majoritairement à la Présidentielle pour J.L Mélenchon …
Cette société incapable de citer deux mesures des programmes des deux derniers challengers ou d’être encore capable de donner à l’Assemblée Nationale une majorité opposée au Président qu’ils vont élire.
Bref, un désastre générateur de profonds traumatismes allant inévitablement impacter nos enfants et allant créer une société d’incultes politiques puisqu’ils auront eu peut-être la douleur de grandir sous le règne de cette dame à la crinière blonde et aux idées extrêmes.
C’est un réel foutoir qui s’impose à nos yeux pourtant aguerris puisque nous avons malgré tout connu Valéry Giscard D’Estaing et Mitterrand qui dans d’autres domaines excellaient aussi et nous offraient de jolis spectacles d’écoutes téléphoniques, d’avions renifleurs ou de diamants de Bokasa. Les plus âgés apprécieront …
Mais ces gens avaient de l’envergure et du charisme et même si après le Général de Gaulle la notion d’homme d’État avait disparu de notre territoire nous avions, en guise d’hommes politiques, ces hommes là. Tout comme ceux d’aujourd’hui nous les subissions et nos parents les avaient mis en place sans générer chez moi des traumatismes. Je n’en veux d’ailleurs pas à ma mère d’avoir voté Mitterrand, mais je lui en veux, encore aujourd’hui, de m’avoir traîné chaque jeudi chez ce fumier de dentiste !
Je ne tiens pas rigueur à mon père d’avoir pleuré de joie le soir du 10 mai 1981, je lui en veux de m’avoir obligé à faire mes devoirs de mathématiques.
Ce que j’évoque ci-dessus, à savoir la notion d’homme d’État, me paraît important …
Mais quésako ? Cette notion est large et on peut y fourrer beaucoup de choses mais pour moi qui est lu le Général à seize ans je peux affirmer que ce concept a totalement disparu sans laisser ni de mots d’excuses, ni d’informations sur sa nouvelle destination. Elle reste une idée polymorphe mal définie par les politologues eux-mêmes incapables de la décrire à nos têtes blondes. Un mystère, un mythe …
J’ai appris récemment qu’elle avait fait l’objet de recherches par des gens ayant des ambitions électorales et désireux de redonner à la politique Française ses lettres de noblesse. Ils auraient bénéficier de l’aide de fameux anthropologues et d’historiens réputés mais ne seraient pas parvenus à dégotter une once de semblant de notion d’homme d’État chez les onze clowns ayant postulé à la présidentielle. Seulement des morceaux d’ambitions personnelles collés à des conglomérats d’individualisme occuperaient les cerveaux tordus de ces derniers.
En fait cette vague idée a disparu comme est en train de faire l’orthographe et plus généralement la langue Française. Vous verrez qu’après pouvoir écrire « oignon sans i » et « pharmacie avec un f » bientôt « la voiture A julien » sera au dictionnaire au même titre que le « tu sais c’est qui ou tu fais quoi ! ». A quoi bon instruire les nuls autant faire dégringoler le vocabulaire et la syntaxe au niveau de TPMP … Je m’égare et je m’énerve mais croyez-moi qu’il y a vraiment de quoi traumatiser nos gosses et je pense que le dentiste et le cosinus ne sont rien à côté de tout cela !
Donc nous sommes responsables de ce qui va se produire durant les cinq prochaines années et notre bulletin de vote, en ce second tour, se doit d’être responsable ou doit prendre en considération l’avenir et les potentiels traumatismes qu’il pourrait engendrer sur nos minots. Je n’ai jamais caché mon aversion pour le FN et ceux qui me lisent peuvent remarquer que je n’épargne jamais cette idéologie et pointe du doigt chacun de leurs dérapages. La responsabilité qui est la nôtre est grande, elle risque d’engager le pays dans la politique du pire. Avons-nous le droit de voter par défaut, détenons nous la faculté de placer une bulletin de vote comme l’on va à la pêche sans penser au lendemain, aux lendemains de nos enfants ?
Si j’avais la réponse je la donnerais et la hurlerait à qui veut l’entendre mais voilà je suis comme une majorité de Français, je me crée un autre traumatisme qui viendra s’empiler sur ceux que j’ai déjà évoqués : celui d’imaginer que le FN l’emporte !
Car voilà aucun des deux candidats en compétition ne me convient vraiment, aucun de ces deux prétendants ne procure chez moi des sensations et rarement de l’espoir. Mais une des deux ne me permet même pas d’avoir l’espoir d’espérer de nouveau.
Je ne peux me sortir de la tête le bruit strident de la roulette sur l’émail de mes dents et je ne comprends toujours rien au PPCM et autre cosinus mais je sais que ce qui va se jouer bientôt est plus grave que mes légers traumatismes d’adolescence. Je crains que le nom qui sortira des urnes créera automatiquement de sérieux traumatismes chez nos enfants, j’appréhende de voir le visage du prochain locataire du palais de l’Élysée et je m’en voudrai de laisser un électorat las d’espérer infliger à mes enfants des affections ou des pathologies que seuls des psychologues peuvent amoindrir.
Mais c’est ainsi chaque génération a ses traumatismes, chaque progéniture a quelques choses à reprocher à ses parents. Mauvaise éducation, absence récurrente ou simplement vouloir « tuer le père » sont trop souvent les reproches adressés à son paternel. Il ne me reste plus qu’à espérer que ma petite dernière ne me reproche pas, dans trente ans, le choix que vont faire les Français dans deux semaines. Je sais tout au moins qu’elle ne sera jamais en mesure de me reprocher de ne pas m’y être opposé. Finalement je préférerai qu’elle m’en veuille pour lui avoir imposé le port d’un appareil dentaire et de lui avoir ordonné d’être studieuse pour ne pas être contrainte de faire comme son père : devenir flic !
Je vais prendre le temps de réfléchir et demain je transmettrai ma tribune. J’ai évidemment fait mon choix et même si ce ne sera pas celui du meilleur, il sera certainement celui du moins pire.
Mais … Non demain j’ai rendez vous chez mon dentiste
Marc La Mola [[Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris, il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers Nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire, à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique, il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de la Ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. Il retourne à la vie civile pour écrire. Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls», «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, «Police, Grandeur et Décadence» dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Il est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne également l’écriture de scénarios à l’École supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)]]