Publié le 4 juillet 2017 à 16h54 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Pinocchio aurait-il déteint sur le sémillant octogénaire compositeur Philippe Boesmans ? La semaine dernière, en interview, ce dernier nous confiait que 95% de l’opéra pour lequel il venait de composer la partition était compréhensible. Nous aurait-il menti par modestie. Car, au soir de la création de l’œuvre, lundi au Grand Théâtre de Provence, ce sont bien 98% du texte que nous avons compris… Et apprécié ! Force est alors de reconnaître que ce «Pinocchio» est bien né en cette première soirée du Festival d’Aix-en-Provence, édition 2017, et que son existence devrait être longue, bien au-delà de ses séjours à La Monnaie de Bruxelles, où il rouvrira la salle après des travaux, à l’Opéra de Bordeaux ou encore à Dijon pour frapper les trois coups de la prochaine saison.
On attendait beaucoup, de cette nouvelle collaboration entre le compositeur belge et Joël Pommerat. Il faut dire qu’après leur précédent opus en commun, «Au Monde» s’attaquer à ce mythe qu’est Pinocchio, parfaitement servi précédemment au théâtre, était une sacrée gageure.
Pari tenu, pari gagné ! De la forme théâtrale sont restées les 23 scènes traitées l’une après l’autre tant musicalement qu’au niveau du livret réécrit pour la circonstance. Collaboration lumineuse entre Pommerat et Boesmans qui réussissent le tour de force d’unir de la meilleure des façons qui puisse être le texte et la musique sans une once d’à-peu-près. Le premier effectue un travail énorme sur les mots et le second s’en empare pour distiller des notes en harmonie parfaite. D’où la compréhension évoquée plus haut liée aussi, ça tombe sous le sens, à la qualité de la diction des interprètes. Entre musique de cirque, fanfare désaccordée, ambiances balkaniques, Boesmans tisse d’élégants moments mais aussi des périodes de grâce extrême. Après «Au Monde» il désirait un peu de légèreté, il la trouve ici tout en servant cette ambiance très sombre voulue par le librettiste et metteur en scène Joël Pommerat. Ce dernier ne fait aucune concession à la tendresse et respecte cet univers agressif et violent qu’il affectionne parfois. Un réalisme qui renforce la puissance du parcours initiatique du pantin. Il faudra attendre la visite dans le ventre de la baleine pour percevoir que quelque chose à changé chez Pinocchio avant un happy end original. Les deux heures du spectacle sont parsemées de moments de grand bonheur, depuis les premières scènes autour de l’arbre jusqu’aux scènes sur l’océan et dans le ventre de la baleine en passant par la prison ou la rencontre avec la fée en majesté. Du rêve et de la magie auxquels il convient d’associer Eric Soyer (décors et lumières), Isabelle Deffin (costumes) et Renaud Rubiano (vidéo).
C’est à Chloé Briot que revient le challenge d’incarner le pantin. Performance d’autant plus ardue qu’elle est omniprésente sur scène avec l’obligation de jouer sans surjouer, d’avoir la voix toujours bien placée et de susciter tour à tour rejet et empathie. Ce qu’elle fait à merveille derrière ce maquillage hideux qui ne tombera qu’à l’ultime moment, celui où le pantin odieux deviendra Pinocchio, fils affectueux. Omniprésent, lui aussi, Stéphane Degout déroule avec aisance et puissance le fil rouge de l’action, assumant sans faiblesse trois rôles dans cette pièce. Du grand art ! Vincent le Texier et Yann Beuron cumulent aussi les rôles, sans temps morts ; le premier conférant une réelle dimension émotionnelle au père et le deuxième ne forçant pas son talent pour insuffler leur méchanceté aux personnages sombres de l’histoire. C’est à Marie-Eve Munger qu’il revient d’incarner la fée pour laquelle Philippe Boesmans a composé des parties mettant en avant le caractère colorature de la voix de la jeune femme, parties bien maîtrisées, quant à Julie Boulianne, elle excelle entre mauvais élève et chanteuse de cabaret un tantinet saoule… Une distribution idéale, nous semble-t-il, à laquelle il convient d’ajouter les musiciens de scène (Tcha Limberger, Fabrizio Cassol et Philippe Thuriot) ainsi que ceux du Klangforum Wien. Ces derniers, sous la direction d’Emilio Pomarico, ont donné toute sa saveur, sa couleur et sa puissance à la musique de Boesmans. Longue vie, désormais, à ce «Pinocchio» sur les scènes du monde.
Michel EGEA
Pratique. Au Grand Théâtre de Provence les 7, 11 et 14 juillet à 20 heures ; les 9 et 16 juillet à 17 heures. Réservations à La Boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, Tél. 08 20 922 923 (12 cts/mn) festival-aix.com