Publié le 10 août 2017 à 20h54 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h24
Les enjeux liés à la sécheresse et au gaspillage de l’eau viennent d’être rappelés par les ministres Nicolas Hulot (Transition Écologie et Solidaire) et Stéphane Travert (Agriculture Alimentation). L’Institut de l’économie circulaire, présidé par le député (LREM) des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert, est précurseur en anticipant les besoins d’eaux dans le futur, en travaillant sur le plus grand gaspillage actuel de l’eau, celui des eaux usées traitées et non réutilisées. Une étude en cours de l’Institut, initié par son Président, avec le soutien du Groupe Suez, «permettra de donner les leviers d’action pour que dès 2018 s’inscrivent dans la loi, la réglementation, les politiques publiques, les moyens d’usage de ces eaux usées régénérées et saines», souligne François-Michel Lambert dans un communiqué de presse avant de préciser: «Ce sera mon rôle en tant que député, après avoir initié cette étude.»
Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, et Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, ont présenté, le mercredi 9 août, leurs axes d’actions sur la gestion quantitative de l’eau. En effet chaque année en France, lorsque la saison estivale commence et que les touristes affluent, les nappes phréatiques, les cours d’eau et les plans d’eaux atteignent des seuils critiques dans de nombreuses régions, et les préfets doivent prendre des mesures restrictives afin de préserver l’environnement et la santé publique. Mais si la consommation humaine pompe dans nos réserves naturelles, les quantités d’eaux usées disponibles augmentent mécaniquement. Cette ressource est encore considérée comme un déchet en France, et l’on dépense beaucoup d’énergie pour la traiter avant de rejeter ces hectolitres dans le cycle de l’eau. Il existe pourtant de nombreuses techniques et stratégies pour réutiliser ces eaux usées traitées, créant de nouvelles synergies permettant de réduire notre impact sur notre environnement. L’Institut de l’économie circulaire explore le potentiel dans une étude à paraître, qui réunit de nombreux acteurs de la REUT (Réutilisation des eaux usées traitées).
Dans leur ouvrage «L’eau potable en France, entre facture et fractures !», David Coulon et Jean Launay expliquent que les tensions entre régions inondées et zones de sécheresse vont exacerber la relation passionnelle que nous entretenons avec l’eau, élément vital et parfois si rare. Nous en avons fait pour la première fois l’expérience durant l’été de 1976, lorsque la France se retrouva confrontée à son premier grand épisode de canicule, après une année particulièrement sèche et chaude. Avant cela, le mercure était certes monté à des hauteurs «appréciables» mais jamais sur une période aussi prolongée. Une grave crise politique s’en suivit, qui culmine avec la démission du Premier ministre de l’époque Jacques Chirac, juste après avoir annoncé la mise en place d’un grand fonds de soutien aux agriculteurs qui fut financé par l’impôt.
Depuis quelques années, ces vagues de chaud deviennent plus régulières et moins espacées dans le temps. La fréquence de ces sécheresses ne devrait pas aller en s’arrangeant avec le réchauffement climatique, comme l’indique le BRGM dans un rapport de 2012 intitulé «Ressources et besoins en eau en France à l’horizon 2030 ». Conséquence directe et assez logique : les réserves en eaux douces se tarissent alors que les risques de feu explosent.
Des arrêtés préfectoraux en hausse
Selon le BRGM, la situation du niveau des nappes phréatiques au 1er mai 2017 avait déjà interpellé les agences de surveillances, puisque les deux tiers des nappes (67%) affichaient un niveau « modérément bas à très bas », chiffre qui monte à 74% en début juillet et qui traduit un fort déficit de recharge hivernale cette année. Conséquence directe, les arrêtés préfectoraux vis-à-vis de l’eau signalent une situation préoccupante sur l’ensemble du territoire. Ainsi, au 28 juillet 2017 ce sont en tout 75 départements qui sont concernés par un arrêté limitant certains usages de l’eau, dont 26 présentant un état de « crise ». Pour ces départements, tous les prélèvements non prioritaires sont interdits. Cela vaut pour les agriculteurs, qui doivent donc utiliser l’eau sur des plages horaires nocturnes et avec des débits réduits. De tels niveaux n’avaient jamais été atteints, comme le montre le graphique suivant qui s’appuie sur les données livrées par le ministère de la Transition écologique et solidaire à travers son site Propluvia.
Ces arrêtés ont des conséquences économiques et sociales difficilement chiffrables, mais résolument importantes, puisque l’eau est une ressource que l’on utilise pour tous nos usages. Les villes touristiques voient leurs golfs et leurs espaces verts jaunir tandis que leurs fontaines se tarissent. Les agriculteurs doivent trouver de nouvelles stratégies pour sauver leurs cultures, qui sont victimes d’orages très violents et courts dans le temps suivis de longues périodes de sécheresse. Le niveau des cours d’eau baisse, ils deviennent de plus en plus sensibles aux risques de pollutions (eutrophisation) et ne permettent plus de servir de canal d’évacuation de nos rejets. Les littoraux sont touchés par les mêmes problèmes, ce qui augmente les risques sanitaires pour les zones de baignade et les enjeux de biseau salé qui contaminent les nappes. Chaque conséquence alimente la dynamique et met en place un cercle vicieux qui accélère en bout de ligne le processus d’urgence.
Les eaux usées : un nouvel « or noir »
«En plus des efforts indispensables de réduction de l’utilisation de cette ressource, il existe une source d’eau qui est sous exploitée alors même que ses volumes augmentent pendant la période estivale dans des zones en stress hydrique : les eaux usées », déclare François-Michel Lambert, président de l’Institut de l’économie circulaire. Bien que l’on observe un développement rapide de la production d’eaux usées traitées réinjectée dans le « petit cycle de l’eau [[Le «petit cycle de l’eau» est un cycle intermédiaire artificiel qui s’imbrique dans le cycle naturel de l’eau (de la pluie jusqu’à la formation des nuages) et qui est d’origine anthropique : il commence par le prélèvement en milieux naturels et finit après son « utilisation » par retourner dans les stocks naturels.]]», avec une croissance des volumes qui atteint 10 à 30% en Europe (avec un net avantage en Espagne et en Italie), seulement 5% des eaux usées traitées sont réutilisées au niveau mondial (Lazarrova & Brissaud, 2007). Signe de l’actualité de cet enjeu, la REUT est devenu le thème central de l’édition 2017 de la World Water Week, grand rassemblement mondial des acteurs de l’eau dont le thème cette année sera : «Water and waste: reduce and reuse». L’Institut de l’économie circulaire sera d’ailleurs présent à l’évènement, dans le cadre de son étude sur le sujet.
Ce nouvel «or noir», comme l’a considéré la mission pour l’eau de l’ONU, doit devenir une ressource à privilégier, et la France a un potentiel immense devant elle. Premièrement parce qu’une grande partie des technologies de pointe de REUT (Réutilisation des eaux usées traitées) sont disponibles et développées notamment par les entreprises françaises de l’environnement. Deuxièmement, parce que la France pourrait soutenir une bonne partie de sa consommation d’eau pour l’irrigation, comme l’Espagne (leader européen avec 347 Mm³ /an), tout en diminuant les intrants chimiques de fertilisation, puisque les eaux usées sont riches en nitrates et en phosphates. En France, le secteur agricole représente 4,6 à 7 km3 d’eau prélevés par an dont une très faible partie retourne dans le cycle (essentiellement dans le sol). En comparaison, ce sont 6,3 km3 qui sont prélevés pour la production d’eau potable, dont un seulement 1/3 est consommée, le reste étant restitué sous forme d’eaux usées. Et troisièmement, car plus de la moitié de l’eau prélevée au niveau national est pompée pour refroidir les centrales électriques (eau qui finit de toute façon dans les réservoirs naturels). En favorisant la REUT, notamment pour ces deux usages, la France pourrait drastiquement réduire son prélèvement d’eau dans les milieux naturels.
Un essaimage qui passe par des politiques publiques ambitieuses
La liste des formes d’utilisation de cette ressource est presque sans fin, puisque l’eau touche aujourd’hui de près ou de loin toutes les chaines de production. Mais ce n’est que grâce à des politiques publiques ambitieuses que les vannes s’ouvriront. À titre d’exemple, le « Plan Hydraulique » espagnol de 2000 prévoit l’utilisation exclusive d’eaux recyclées pour l’irrigation des golfs (300 au total), alors que Madrid prévoit de faire grimper à 10% la quantité d’eau recyclée. Chypre a quant à elle annoncé vouloir atteindre 100% de REUT, sans toutefois expliciter la méthodologie, mais cet effet d’annonce permet d’attirer de nombreux investissements qui lui permettront de rejoindre les leaders mondiaux que sont la Californie, l’Australie, Israël et la Chine.
Selon François-Michel Lambert : «En France comme dans de nombreux autres pays, les mentalités doivent changer, nourries par des retours d’expérience, la mise en place de nouveaux projets et la création de dynamiques territoriales». Le manque de cas pratiques vient d’une règlementation inadaptée, stricte et indifférenciée, ne laissant donc pas de place à la diversité des usages. Par suite, la demande ne peut suivre les coûts induits par ces normes. Les études d’impacts et de suivis, préalables à tout processus de REUT, sont souvent trop chères et parfois trop contraignantes par rapport à l’usage imaginé. Mais d’une manière générale, la population est favorable à la REUT, surtout s’il s’agit de pallier des «situations aberrantes» décrites par Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, lors de son audition par la Commission des affaires économiques du Sénat le 18/07.
Une étude de l’Institut pour accompagner l’essor de la REUT en France
Comme souligné par l’intervention de Nicolas Hulot et Stéphane Travert, ce mercredi matin, le gouvernement souhaite apporter rapidement des solutions pour «résorber durablement les situations de tension hydrique et associer pleinement les territoires à la pratique de la gestion de l’eau». Une vision long-termiste qui doit s’articuler avec les collectivités territoriales et qui se déroule selon deux axes principaux :
-encourager la sobriété des usages et réguler en amont la ressource, grâce notamment à l’innovation;
-faire émerger, dans l’ensemble des territoires, des solutions adaptées aux besoins et aux contextes locaux.
Le premier axe présente une forte ambition pour le développement de la REUT en France, puisque les ministères souhaitent explicitement poursuivre les investissements avec les collectivités pour favoriser la REUT, en s’appuyant sur les pôles de compétitivité hydrique (DREAM en Centre Val-de-Loire, Pôle EAU en Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur et HYDREOS dans le Grand est) et les organismes scientifiques. Et d’après le deuxième axe, l’émergence de solutions durables passera notamment par un accompagnement des territoires par les Agences de l’Eau et une mobilisation des préfets coordinateurs de bassin qui œuvreront pour dynamiser les projets à l’échelle locale. Et puisque le secteur agricole est le plus gros consommateur de ressources aquifères, une cellule d’expertise doit voir le jour pour développer une gestion plus durable de l’eau. On peut imaginer que les solutions de REUT pour l’irrigation agricole sera étudié par cette cellule qui devra rendre compte aux ministères le 31 octobre.
Les procédés de REUT sont par nature circulaires puisqu’il s’agit de faire perpétuer le «petit cycle de l’eau» créé par l’Homme tout en réduisant sa consommation de ressources naturelles. L’Institut de l’économie circulaire réalise actuellement une étude qui identifiera les potentiels de la REUT et ses leviers de développement, grâce à un recensement des projets réalisés, des rencontres avec des porteurs de projets et des focus sur des collectivités territoriales souhaitant mettre en œuvre ces techniques. Cette étude sera publiée avant la fin de l’année, quelques semaines avant que les institutions européennes proposent une réglementation permettant de cadrer la REUT. Des seuils règlementaires sectoriels sont centraux pour l’avenir de la REUT. En effet, les niveaux de qualités exigés peuvent renforcer la confiance et soutenir le développement de la REUT -cependant, des seuils d’exigence non différenciés et non adaptés pourraient au contraire bloquer le développement de la filière voire faire revenir en arrière les démarches mises en œuvre en Italie ou encore Espagne.
Ainsi, le calendrier politique s’accélère sur le sujet de l’eau, et la France a un rôle central à jouer en tant que fer de lance pour une stratégie qui soit ouverte à la diversité des solutions, au moment où le monde commence à réellement intégrer que nous vivons une période de changement sans précédent.
L’Institut de l’économie circulaireFondé en 2013 par François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône, l’Institut de l’économie circulaire est une association nationale multi-acteurs, un cercle de réflexions et d’actions, dont la vocation est de promouvoir l’économie circulaire. Dans une démarche collaborative, il fédère et implique près de 200 adhérents composés d’entreprises, de collectivités territoriales, d’ONG, de personnalités qualifiées (experts, chercheurs, parlementaires …). Son ambition est non seulement de faciliter les échanges de savoir et d’expérience entre l’ensemble de ses acteurs mais aussi de communiquer sur l’économie circulaire en vue d’améliorer sa connaissance et sa compréhension par le plus grand nombre. |