Publié le 15 août 2017 à 19h56 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Il était à peine quatorze heures et le soleil frappait la façade du 6, rue Émile Pollak comme s’il voulait y pénétrer ou lui rendre un éclat que le Palais de justice n’avait jamais dû avoir. Quelques policiers cherchaient désespérément une zone ombragée pour s’y réfugier en attendant la fin de leur vacation et moi je bravais les températures puis les escaliers de marbre pour me rendre dans la salle d’audience où allaient être jugées plusieurs affaires en comparutions immédiates.
Très vite la cour faisait son entrée. Philippe Hoareau allait présider en compagnie de deux assesseurs, à sa droite le ministère public était incarné par Xavier Léonetti. Au programme, huit affaires dont la plupart pour des infractions de cession, acquisition, transport de produits stupéfiants. La routine des quartiers nord en un condensé de ce que ces secteurs peuvent offrir, sont capables de proposer à ceux qui s’y égareraient ou s’y rendraient sciemment pour se «charger» en shit et autre cocaïne. Mais, les principales affaires traitées ce jour avaient un point commun, une concordance étonnante qui surpris autant les magistrats que moi même : la pseudo contrainte ! Est-ce que les mis en cause avaient eu le temps de mettre en place une nouvelle stratégie de défense? Toujours est-il qu’ils optèrent pour la même piste, celle d’une organisation les ayant obligés à devenir dealer ! Mais quelle époque vivons-nous et dans quelle société sommes-nous où des gens peuvent venir vous forcer, sans vous violenter, à vendre de la drogue? Ça fait peur non? Mais l’audience ne provoqua chez moi que des rires et non de la crainte…
A quatorze heures trente le premier mis en cause était conduit entre deux policiers jusqu’au box des accusés, l’affaire était renvoyée et le mis en cause maintenu en détention. Le deuxième arriva dans le box en saluant d’un grand geste de la main la cour et les quelques badauds présents dans la salle. Il devait être jugé pour avoir violenté sa compagne. Déjà condamné par deux fois pour des faits similaires, il invoquait une schizophrénie l’obligeant à battre celle qui vivait à ses côtés … Deux êtres en un dont l’un serait violent et que le second ne parviendrait pas à dominer. Une pathologie en somme qui nous ferait presque entrer en empathie avec cet homme à la gifle trop facile. Pas mal comme défense non ? Un système de défense comme un autre qui, bien évidemment, ne convainc pas la cour qui ordonna une analyse psychiatrique et un maintien en détention.
Par la suite, nous vîmes entrer un homme de trente-cinq ans portant, comme les autres d’ailleurs, l’uniforme des cités à savoir le sempiternel survêtement. Il semblait égaré comme si ce qui allait se jouer là ne le concernait pas. Néanmoins, il prit part au débat en relatant ses mésaventures de dealer et, comme celui qui allait suivre, nous raconta une histoire à dormir debout. Se trouvant à son domicile, il fut agressé par quatre hommes armés, détenant les clefs de chez lui, qui l’obligèrent à vendre des produits stupéfiants. Il évoqua sa vulnérabilité et tenta de se faire passer pour un pauvre bougre devenu dealer malgré lui. Il parla de sa vie en prison et implora le juge de ne plus l’incarcérer aux Baumettes où sa vie était en danger et surtout de l’éloigner de la cité de la Busserine où il fut interpellé. A la question du Président sur les sommes gagnées, il affirma avoir reçu, dans un premier temps, trois cents euros par jour puis … plus rien !
Mais le pire fut lorsqu’il déclara une activité professionnelle d’assistant de vie scolaire (AVS) …Rassurez vous braves gens vous pouvez confier vos enfants aux gentils AVS qui, faute de leur apporter aide et assistance aux devoirs, ils leur apprendront à dealer et à mentir ! Douze mois de prison ferme avec mandat de dépôt …
Le suivant s’exprimait dans un français approximatif et son élocution laissait à désirer. D’après ses dires et ceux de son avocat, il était une victime d’un système qui le dépassait puisqu’il était contraint de consommer allégrement de la résine de cannabis pour oublier une agression l’ayant plongé dans un coma, en 2014. Coma dont il semblait ne pas être encore totalement sorti. Cet état de fait justifiait, pour lui, sa récente interpellation et sa présence en ce tribunal. Notre héros fut interpellé à la cité Font-Vert par des policiers ayant mis en fuite une ribambelle de guetteurs et de vendeurs, dont lui. Il justifia sa fuite par une peur incommensurable de la police et par le fait qu’il se trouvait sur les lieux même d’une précédente interpellation pour laquelle il était incarcéré puisque dealer et se trouvait en semi-liberté. Il rappela encore son besoin d’acheter du shit pour oublier son coma et refusa d’assumer la quantité de matière découverte pas les policiers à l’endroit même où il se trouvait au moment de l’arrivée des forces de l’ordre. Une empreinte de chaussures sur un scooter servant de tremplin pour accéder à la matière et des carences flagrantes dans la procédure eurent raison du travail des policiers. L’avocat s’engouffra dans les brèches laissées par la police pour parvenir à faire douter la cour, il réclama la relaxe. Deux mois ferme …
C’est un jeune homme à l’identité fluctuante qui fut conduit dans le box. Connu sous plusieurs alias, l’homme semblait jouer avec la police et la justice à chaque interpellation. Il affichait un joli palmarès puisqu’il avait été condamné à neuf reprises pour diverses infractions de détention de produits stupéfiants, faux et usage de faux, escroqueries … Un bien joli curriculum-vitae dans une cour de justice où l’une des références reste l’analyse du casier judiciaire pour se faire une idée de la personnalité des mis en cause et par-delà statuer sur le sort de cet individu qui visiblement ne comprend rien au sens du mot résilience. Une fois de plus la chanson du : «C’est pas ma faute» fut jouée. Malgré les 31 grammes de cocaïne et les quelques trois cents euros qu’il transportait, il trouva encore le courage de jouer la sérénade de la contrainte. Hé oui, visiblement dans les prétoires c’est la nouvelle tendance de se faire passer pour une victime d’une organisation malsaine capable d’aller chercher des individus et de les contraindre, sans les violenter, à devenir dealer !
Le procureur de la République ne manqua pas de tourner cette déclaration au ridicule en affirmant que «si la main d’œuvre fait défaut c’est plutôt bon signe» et que sans nul doute «le trafic de cité est sur la voie de l’éradication». Il poursuivit ses réquisitions en détaillant les alias du mis en cause et ne manqua de relever brillamment que l’identité fournie cette fois était Seck Isaa … (C’est qui ça?). Son avocat eut beau plaider la prise de conscience de son client et le travail fourni pour se réinsérer, il évoqua encore la contrainte et le contrat qu’aurait mis sur sa tête l’organisation, etc., etc. Il fut condamné à douze mois ferme.
La litanie des affaires peu glorieuses prit fin vers 17h30. Dehors le soleil était toujours puissant et sa chaleur se précipita sur mes épaules. Les flics avaient enfin trouvé un endroit ombragé et moi je m’engouffrais dans le métro en pensant que rien, absolument rien n’avait changé depuis mon départ de la police. Ni les flics, ni les avocats et certainement pas les voyous empêtrés dans des affaires minables et incapables d’assumer des rôles médiocres. La suite à la prochaine audience …
Marc La Mola [[Marc La Mola a été flic durant vingt-sept années. Après des débuts à Paris, il rejoint sa ville natale, Marseille et choisit les quartiers Nord pour y exercer. C’est aussi là qu’il a grandi. Officier de Police Judiciaire, à la tête d’un groupe d’enquête de voie publique, il a traîné dans ces quartiers pour en mesurer les maux. Il a touché du doigt la misère et la violence de ces secteurs de la Ville. Marc La Mola a sans doute trop aimé son métier et c’est en 2013 qu’il décide de mettre un terme à sa carrière. Il retourne à la vie civile pour écrire. Il est aujourd’hui auteur, romancier et scénariste. Chez Michalon Éditions il a publié : «Le sale boulot, confessions d’un flic à la dérive», «Un mauvais flic, lettre ouverte à Manuel Valls», «Quand j’étais flic …». Ces trois témoignages relatent les moments forts de sa carrière et ses différentes prises de position. C’est chez ce même éditeur qu’il publiera en mars 2017, «Police, Grandeur et Décadence» dans lequel il explique comment la police en est arrivée à descendre dans la rue pour manifester son mécontentement. Il est encore romancier. Il publie chez Sudarenes Éditions un polar à l’accent Marseillais, «Le sang des fauves». En juin 2017 le personnage de ce premier polar revient dans «Vallis Clausa», deuxième volet des enquêtes de son personnage Randy Massolo, un flic torturé. Il est aussi scénariste et a signé l’écriture de plusieurs synopsis optionnés par des maisons de production. Il enseigne également l’écriture de scénarios à l’École supérieure du cinéma Cinemagis de Martigues (13)]]