Publié le 17 septembre 2017 à 20h01 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Après un premier volet qui a introduit le contexte économique israélien, puis un deuxième sur Israël « Une économie dynamique mais…divisée », le Pr. Gilbert Benhayoun boucle le dossier « Israël, économie duale, société segmentée » par ce dernier volet « Israël, une société fragmentée ».
Dans le dernier rapport du PNUD [[Programme des Nations-Unies pour le Développement. L’IDH est un indice composite. Il intègre trois dimensions, l’espérance de vie à la naissance, le niveau scolaire et le revenu par habitant.]], Israël est classé dans le groupe «Développement Humain très élevé». En 2015 l’indice de développement humain (IDH) était de 0.899, ce qui place le pays à la 19e place sur 188 pays, la France se situant à un rang légèrement inférieur (21e). En longue période, la progression de l’indice a été constante, passant de 0.785 en 1990 à 0.899 en 2015, soit une augmentation de 14.5%. Dans cette période, l’espérance de vie, 82.6 ans, a augmenté de 6.2 années, les années scolaires de 3.3 années et le revenu par habitant de près de 80%. Comparé à d’autres pays de niveau de développement comparable, Israël enregistre des scores plus qu’honorables (tableau ci-dessous).
IDH (rang) | Esp. de vie | Scolarité | Revenu per capita $ constants | |
Israël | ||||
France | |
|||
Suisse | ||||
Pays IDH très élevé | |
La valeur de l’IDH, son évolution comparée à celle d’autres pays, permet, certes de valablement situer les progrès d’Israël en matière de développement humain, mais il présente une faiblesse. Il ne donne qu’une indication moyenne de la situation d’un pays, il ne renseigne donc pas, par définition, sur les écarts qui existent à l’intérieur de la population. Or, s’il est important d’assurer le développement d’un pays à un niveau le plus élevé possible, il est non moins important de faire en sorte que les inégalités ne deviennent insupportables.
C’est la raison pour laquelle le PNUD a décidé de calculer, depuis 2010, un autre indicateur qui tient compte des disparités entre les habitants d’un même pays, et qui présente l’avantage de pouvoir procéder à des comparaisons internationales. Le PNUD calcule ainsi, en plus de l’IDH, un indice qui rend compte des inégalités (IDHI).
Les inégalités. Afin de mesurer l’ampleur des inégalités qui affectent un pays, le PNUD calcule l’IDH “ajusté“ ou IDHI (Indice de Développement Humain ajusté aux Inégalités). Cet indice ajusté tient compte des inégalités qui affectent les trois dimensions de l’IDH, l’espérance de vie, le niveau de la scolarité et le revenu par habitant. De par son mode de calcul, il permet de mesurer la “perte“ de développement humain d’un pays due aux inégalités. Elle est mesurée par la différence entre les valeurs de l’IDH et celles de l’IDHI. Plus la différence est importante (l’IDHI est inférieur à l’IDH), plus les inégalités sont importantes.
L’examen de cet indice (tableau ci-dessous) dans le cas d’Israël donne une image nettement moins élogieuse que celle donnée par l’examen de l’IDH. L’IDH de ce pays, ajusté des inégalités (IDHI), est en 2015 de 0.778. Il ressort ainsi que la perte de l’IDH due aux inégalités est de 13.5 points, ce qui met le pays au même niveau que les États-Unis ou que de…l’Albanie !
Israël est le pays le plus inégalitaire des pays de l’OCDE, à part la Turquie, le Mexique ou la Corée du Sud. Elles sont plus importantes que dans des pays membres de l’Union européenne, à niveau de vie pourtant inférieur à Israël, comme la Roumanie, le Portugal, la Grèce. Notons qu’en France la perte est de 9.4%. Alors qu’Israël se situait à la 19e place de l’IDH, il passe à la 30e place de l’IDHI, la France ne perdant qu’une place, passant de la 21e à la 22e place.
Pays | REV/HAB. | DH-IDHI | Pays | REV/HAB. | IDH-IDHI |
Israël (19) | |
Roumanie (50) | |||
Albanie (75) | Grèce (29) | ||||
Portugal (41) | Jordanie (86) | ||||
Bosnie (81) | Palestine (114) | |
Le tableau ci-dessous permet d’attribuer à chacune des composantes du développement humain la responsabilité relative des inégalités.
2015 | Israël | France |
IDHI | ||
Esp de vie | ||
Éducation | ||
Revenus |
La lecture du tableau ci-dessus montre que :
(a) Aussi bien en Israël qu’en France, la composante espérance de vie est positive. Sa prise en compte dans le calcul de l’IDH réduit les inégalités entre habitants.
(b) Les plus fortes inégalités en Israël de développement humain proviennent des inégalités de revenus. Un autre indicateur donne des résultats comparables. Le PNUD calcule, en plus de l’IDHI, un coefficient d’inégalité des revenus perçus par les ménages, le coefficient d’inégalité des revenus dit de Gini. Plus la valeur de cet indice augmente, plus les inégalités sont fortes. Encore une fois, Israël se distingue par la très forte inégalité des revenus. Elle est du même niveau que celle de pays nettement moins développés qu’Israël, tel le Maroc ou même la Palestine. C’est dire une fois de plus la spécificité d’Israël.
Israël | Argentine | ||
France | Russie | ||
États-Unis | Uruguay | ||
Maroc | Palestine |
Dans le dernier rapport de l’OCDE [[OCDE, Perspectives de l’Emploi, 2017]] sur l’emploi et les salaires, c’est en Israël que l’on constate la plus forte inégalité des salaires de tous les pays de l’OCDE, à part les États-Unis, de même c’est en Israël que l’on observe le plus fort écart de salaires entre les hommes et les femmes. En 2014, le salaire médian [[Le salaire médian partage l’effectif salarié en deux. La moitié des effectifs gagne moins et la moitié plus.]] des femmes est de 22% inférieur à celui des hommes, alors que pour les pays de l’OCDE l’écart est de 17%. En France l’écart est inférieur, 14%. La réalité d’une forte inégalité en Israël se traduit par un taux de pauvreté alarmant. A cet égard, le pays est loin des idéaux de ceux qui ont créé l’État dont le souci était de faire en sorte que les inégalités soient les plus faibles possibles. En 1970, Paul Samuelson, prix Nobel d’économie, posait la question : «Quel est le pays aujourd’hui qui connait la plus forte égalité ?…Si on s’en tient au monde non communiste, Israël est en tête de liste».
La pauvreté. Les données, issues du National Insurance Institute en Israël sont, à cet égard, éloquentes. Nous en avons extraits quelques traits marquants regroupés dans le tableau suivant.
2006/7 | 2006/7 | 2014 | 2014 | |
par personne | enfants | par personne | enfants | |
Tel-Aviv | 14.76 | 24.5 | 10.8 | 20.3 |
Jérusalem | 39.5 | 51.4 | 43.6 | 56.8 |
Jérusalem juifs | 27.9 | 39.4 | 27.1 | 40.5 |
Jérusalem arabes | 66.0 | 73.9 | 75.4 | 83.9 |
-En 2014, la pauvreté est quatre fois plus élevé à Jérusalem qu’à Tel-Aviv.
-L’écart est encore plus important au niveau des enfants, il est 2.8 fois plus élevé à Jérusalem.
-Ce qui est inquiétant c’est que l’écart a augmenté sur la période 2006-2014. Il passe de 2.7 en 2006/7 à 4.0 en 2014, y compris au niveau des enfants puisque le rapport passe de 2.1 à 2.8.
-A ces différences selon les villes, s’ajoutent celles qui concernent les populations juives et arabes qui vivent à Jérusalem [[La population arabe est inexistante à Tel-Aviv.]]. La pauvreté est plus prononcée chez les arabes, en particulier pour les enfants. De plus, Le tableau ci-dessus montre que les écarts se sont accrus sur la période 2006 – 2014. L’écart entre juifs et arabes passe de 2.36 à 2.86 pour les taux de pauvreté par personne et il passe de 1.88 à 2.12 pour les taux par enfant. Notons le chiffre particulièrement élevé du taux de pauvreté des enfants arabes, 83.9%. En 2015 l’OCDE a mesuré et présenté les indices de bien-être de la population israélienne . Et les résultats confirment le caractère dual de la société et de l’économie dans ce pays. En termes de satisfaction globale de bien-être, des indicateurs de santé d’Israël se situent dans le groupe de pays de l’OCDE qui enregistrent de bonnes performances. En revanche, les indices de pauvreté, de logement et de qualité de l’air, sont très médiocres.
Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. |