Publié le 7 avril 2013 à 4h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h11
Martin Schulz veut mettre l’Union européenne à l’heure euro-méditerranéenne
La visite des bassins portuaires de Marseille, qu’il a effectuée sous la pluie ce samedi après-midi, a donné l’occasion au président du Parlement européen de se livrer à un plaidoyer pour la coopération euro-méditerranéenne.
Le président du Parlement européen Martin Schulz n’a pas été dépaysé le moins du monde, ce samedi 6 avril après-midi, à l’heure d’effectuer, sous une pluie battante, une visite en bateau des bassins portuaires de Marseille. « C’est un temps allemand », a-t-il ironisé avec le sourire en arrivant à la Joliette au siège du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), le premier port français mais également le premier port méditerranéen. Une initiative à la veille du premier sommet des présidents de parlements de l’Union pour la Méditerranée à laquelle s’était jointe Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, le préfet Laurent Théry, chargé du projet de l’agglomération Marseille-Provence, et les députés européens Jean Roatta, Dominique Vlasto, Danièle Rivasi, Malika Benarab-Attou et Françoise Grossetête.
Un casting devant lequel Jean-Claude Terrier, président du directoire du GPMM, s’est livré à une rapide présentation de la place portuaire. Et de rappeler tout d’abord que le premier port méditerranéen s’étend sur deux entités Marseille à l’est et Fos à l’ouest. « On a l’habitude de dire que le monde arrive à Fos et la Méditerranée à Marseille », schématise Jean-Claude Terrier. Les bassins de Fos, 3e port mondial pour le pétrole, sont ainsi dédiés à la plus grosse part du trafic conteneurs. On retrouve en revanche à Marseille essentiellement du trafic roulier. « La dimension est intra-méditerranéenne avec également des conteneurs mais sur des chargements plus petits, précise le président du directoire du GPMM. A Fos, on est sur une moyenne de 1 500 à 2 000 boites par chargement, elle est de 150 à Marseille mais sur une fréquence plus rapide. On a également des trafics de vracs solides qui permettent de nourrir quelques industries et des trafics de céréales pour le silo de Panzani. »
Le seuil du million de conteneurs franchi l’année dernière
L’activité passagers est l’autre grande vocation des bassins portuaires de Marseille. « C’est une activité en croissance avec 2,5 millions de passagers l’an dernier. Il y a trois grands secteurs d’activité : la desserte de la Corse via une délégation de service public (DSP), des lignes régulières vers l’Algérie, la Tunisie, et nous l’espérons bientôt le Maroc, et le segment le plus dynamique depuis une dizaine d’années, la croisière », détaille Jean-Claude Terrier. Marseille accueille ainsi désormais plus d’un million de croisiéristes, un trafic nourri par les dessertes dont la ville bénéficie au niveau aérien et du TGV. « Cela permet d’alimenter le marché de la croisière qui a encore beaucoup de potentiel de développement. On en est encore au stade embryonnaire. La croisière est un trafic plus rentable pour le territoire que pour le port lui-même, mais il nourrit aussi des activités de réparation navale de plaisance, de petits yachts et de réparation navale lourde », souligne le président du directoire.
Si le trafic global du port, qui s’est établi à 85,79 Mt, a connu l’année dernière une baisse de 3% par rapport à 2011, cette tendance générale cache de réelles satisfactions pour la place portuaire marseillaise. A commencer par la hausse de 12% du trafic conteneurs qui, pour la deuxième fois de l’histoire du port après 2007, a dépassé le seuil du million. Le chiffre de 1,062 million d’EVP (équivalent vingt pieds) constitue même un record historique puisqu’il surpasse les 1,003 million d’EVP de 2007. Malgré la crise, Marseille a ainsi été le troisième port européen, après les hubs méditerranéens de Gioia Tauro et Algesiras, à connaître une hausse de son trafic conteneurs à deux chiffres. « Depuis la réforme portuaire et le retour de la fiabilité sociale, nous gagnons des parts de marché, analyse Jean-Claude Terrier. CMA-CGM, le 3e armateur mondial dont le siège est à Marseille, est un moteur de ces trafics. »
« L’alternative méditerranéenne » au cœur de la stratégie du port
Au total, l’activité du GPMM nourrit 43 500 emplois, dont 13 100 dans les professions portuaires, 15 800 dans l’industrie et 11500 au niveau des activités logistiques, et dégage une valeur ajoutée de 3,5 Mds€. Le port, c’est aussi un institut de formation qui assure la formation interne des agents du port, mais aussi de la formation externe professionnelle et de la formation initiale de niveau Bac+2 ou Bac+3.
Or, « l’alternative méditerranéenne » est au cœur de la stratégie du GPMM. « Beaucoup de conteneurs arrivent en Méditerranée via le canal de Suez mais ne s’y arrêtent pas, observe le président du directoire. Ils contournent la péninsule ibérique et vont provoquer la congestion des infrastructures des ports du Nord » comme Anvers ou Rotterdam. Un schéma dans lequel Marseille a un rôle central à jouer, de par sa situation géographique, en tant que plate-forme des échanges. « Nous disons à ces conteneurs de s’arrêter à Fos, d’où ils pourront rejoindre les grands marchés sans obstacle via le couloir rhodanien. Ikea a ainsi choisi Fos pour desservir tout le Sud de l’Europe. Fos est d’ailleurs le seul port quadri modal de toute la Méditerranée avec la route, le chemin de fer, le réseau fluvial Fos-Lyon et les pipes. Franchir les Pyrénées ou les Alpes se révèle forcément plus coûteux. Passer par Fos permet de gagner du temps et, en outre, cela va améliorer le bilan carbone », plaide Jean-Claude Terrier.
Une stratégie qui passe aussi par du lobbying au niveau européen, une échelle où, comme le reconnaît le président du directoire, le port de Marseille est « encore assez peu présent ». « Il faut aller se vendre, au sens le plus noble, auprès des décideurs européens », insiste-t-il. D’autant que Marseille est inscrit sur deux corridors de trafics, le corridor mer du Nord-Méditerranée et le corridor méditerranéen. « Les ports sont un point de massification des trafics pour le report route-rail », conclut Jean-Claude Terrier.
« Une intercommunalité Aix-Marseille-Provence qui pourra gérer tout l’hinterland du port »
La ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, tient pour sa part à préciser la contribution de l’Etat à ce projet stratégique. « Si le gouvernement français m’a donné comme ordre de m’occuper de ce territoire, c’est pour répondre à ce besoin de la place du port dans le cadre européen. Le GPMM traverse plusieurs intercommunalités. Le gouvernement a pris deux engagements. Tout d’abord, avec beaucoup de difficultés par rapport aux acteurs locaux, mais c’est aussi l’histoire des gouvernements que d’affronter les résistances, nous allons construire une intercommunalité Aix-Marseille-Provence qui pourra gérer tout l’hinterland du port. Le gouvernement s’engage aussi à apporter des moyens plus importants en appui de cette demande d’une évolution institutionnelle forte », explique-t-elle.
Le député européen Jean Roatta insiste quant à lui sur l’intérêt que peuvent revêtir « les autoroutes de la mer » pour lesquelles il milite depuis des années. « Marseille n’a pas vocation à n’être qu’un port pour les croisières. Il y a 4,5 millions de camions qui traversent l’Espagne pour le seul Maroc : ça pollue. Un camion traverse l’Espagne en 34 heures, par Fos, il mettrait 36 heures mais sans pollution. C’est pour ça que je me battrai au Parlement européen », martèle-t-il. Et Jean-Claude Terrier d’abonder dans le même sens : « Il y a un deuxième axe Turquie-Marseille où le trafic maritime peut se substituer à un long trajet terrestre. »
La députée européenne Françoise Grossetête, élue issue de la région Rhône-Alpes, plaide pour la constitution d’un véritable arc latin. « Le port de Marseille nous intéresse énormément. Nous avons besoin de retisser ces liens entre le port de Marseille et Lyon. La vallée du Rhône est engluée de camions. Nous avons intérêt à développer le trafic fluvial. Nous avons intérêt à travailler ensemble », insiste-t-elle. D’autant que, comme le précise Jean-Claude Terrier, « le fleuve peut accompagner quatre fois plus de trafic qu’aujourd’hui, sans rien investir ». Et de regretter au passage que sur les « 50 000 boîtes expédiées par Michelin depuis l’Auvergne, seules 3 à 4 000 transitent actuellement par Fos », le reste étant acheminé via Anvers.
« Nous avons besoin de politiques qui installent l’Union européenne comme entité dans un cadre mondial »
« Je souscris à chaque mot, indique d’emblée Martin Schulz. Je suis le défenseur du budget européen : défendons un budget pour vous soutenir dans vos ambitions appropriées au XXIe siècle. » Il insiste aussi sur le rôle central qu’est appelée à jouer Marseille sur l’échiquier méditerranéen. Soulignant que les trafics pour la Méditerranée passent par Marseille, il estime que « ce qui passe à Marseille à un rôle plus important à jouer que ceux qui passent pour le monde ». « La région méditerranéenne peut devenir une des zones les plus prometteuses dans le monde. L’Union européenne doit se concentrer sur les grands projets du XXIe siècle. Nous avons besoin de politiques qui installent l’Union européenne comme entité dans un cadre mondial », plaide-t-il.
Et de noter qu’il y a tant à faire entre au Nord « une région qui se considère en crise », et au Sud « une région sautant du XIXe au XXIe siècle ». « Pourquoi vous ne combinez pas vos potentiels, vous ne coopérez pas plus ? Les Chinois veulent racheter le port du Pirée pour en faire un des centres commerciaux du XXIe siècle. A Marseille, vous êtes sur la bonne route. Marseille se rénove pour un futur prometteur méditerranéen », se réjouit-il.
Martin Schulz finira par un mot sur les perspectives que peut offrir la Turquie. « Elle est l’une des rares à avoir une double dimension : c’est un pays de la Méditerranée et c’est un pays de la mer Noire qui permet de toucher l’Ukraine, la Russie, la Roumanie et la Bulgarie. Nous avons besoin d’une politique de coopération de l’Union européenne. Cette politique, de la part de l’Union européenne, est sous-évaluée et sous-développée », relève-t-il. Et d’en conclure : « La réunion de 42 présidents de parlements euro-méditerranéens à Marseille n’est pas seulement un signal : nous sommes ici à un endroit où nous pouvons construire un futur économique très sérieux. »
Serge PAYRAU