Publié le 7 avril 2013 à 2h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h11
L’avenir est à écrire
Quelles opportunités pour les jeunes, quelles sociétés pour demain ? Ces questions essentielles étaient à l’ordre du jour, ce 6 avril, d’un débat stratégique du Forum Anna Lindh.
Fathallah Sijilmassi, le secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UpM), rappelle dans un premier temps que la Méditerranée « a une réalité géographique, sociale, politique qui, forte de son passé, nous propulse vers l’avenir ». Il revient sur l’ UpM : « sa redéfinition a été basée sur une vision lucide de ce qui se passe en Méditerranée. On a fait là les discours les plus angéliques et les plus pessimistes, et puis après qu’a-t-on fait ? Alors l’UpM est basée sur trois principes, premièrement se concentrer sur le renforcement de la coopération régionale. Nous vivons en effet dans une région trop faiblement intégrée. C’est inacceptable, si on veut créer des emplois et favoriser le développement, il faut une intégration régionale qui ouvre les marchés. Il faut, deuxièmement travailler sur la base de la géométrie variable. L’UpM c’est 43 pays, l’Union Européenne c’est 27, bientôt 28, elle a grandi sur la base de la géométrie variable, c’est elle qui lui permet d’avancer ». L’UpM travaille sur des grands dossiers « elle a ajouté un deuxième pilier, humain, en travaillant sur la promotion des femmes, la mobilité des jeunes, l’emploi. Car, s’il y a eu une vraie faille, elle résidait là, dans l’absence de l’humain. On a signé des accords de libres échanges, beaucoup de choses, mais l’élément humain n’était pas au centre de notre réflexion, de notre action ».
« En Méditerranée les capitaux circulent très bien, les denrées relativement bien, mais les hommes et les femmes ne circulent pas »
Philippe de Fontaine Vive, vice-président de la Banque Européenne d’Investissement intervient dans le même sens, en plaidant pour que les jeunes puissent avoir à la fois un emploi et un engagement. Il explique que la Méditerranée fait peur avec ses crises politiques, économiques et « dans un monde de personnes âgées ce qui fait peur pousse au repli ». Tout au contraire, selon lui : « Le retour de la parole libre sur la rive Sud représente une fantastique source d’espoir ». Il plaide donc pour développer l’emploi, favoriser tout « ce qui peut permettre d’avoir un emploi qui donne satisfaction ». Déplore à ce propos : « On ne trouve pas suffisamment de projets sur la rive Sud ». Il faut retrouver le chemin de la création de valeurs. Il va jusqu’à prévenir : « Ce n’est pas l’austérité qui sauvera l’Europe et la Méditerranée, c’est l’innovation ». Il poursuit : « Ce qui me frappe c’est qu’une société purement matérialiste ne satisfait pas. Nombre de personnes et singulièrement des jeunes veulent avoir un véritable engagement personnel. Donc, on a besoin, dans cette zone, d’être, en dehors de son métier, un acteur pour la Méditerranée. Et, cette dimension méditerranéenne touche à l’universel puisque lorsqu’un banquier comme moi parle de chiffres, ils sont arabes, et, en ce qui concerne les mots, ils ont, dans nos cultures, étaient créés dans ce bassin ».
Philippe de Fontaine Vive avance : « Si on a réussi l’Union Européenne c’est parce qu’elle c’est construite sur des concepts très ambitieux. En Méditerranée les capitaux circulent très bien, les denrées relativement bien, mais les hommes et les femmes ne circulent pas ». Il conclut : « Le Président du Parlement européen et Président en exercice de l’Assemblée Parlementaire de l’Union pour la Méditerranée, Martin Schulz est à Marseille, demandez lui de ne pas adopter le budget européen s’il ne prend pas en compte un Erasmus méditerranéen. Mais attention, il faut que cette possibilité de circuler existe pour les diplômés mais aussi pour ceux qui ne le sont pas ». Fathallah Sijilmassi acquiesce : « Je pense à tous ces jeunes qui voulaient venir et qui n’ont pas eu leur visa ».
« Maintenez la pression sur les institutions et elles évolueront »
Mats Karlsson, président du Centre Méditerranéen pour l’intégration constate : « Ici, ces derniers jours, j’ai pu constater un certain optimisme, car sont là des acteurs des sociétés civiles. Or, c’est l’action qui permet le changement. Bien sûr que nous sommes limités, que les réponses ne sont parfaites, mais, chaque fois qu’il y a problème il faut chercher des solutions, il faut retrouver la volonté de créer. Le contrat social, dans le monde communiste reposait sur : on fait semblant de te payer et tu fais semblant de travailler ; dans le monde arabe il était fondé sur : tu te tais et on t’apporte quelques subsides. Tout cela s’est effondré, il faut un nouveau contrat social. Il faut répondre à deux fragilités des pays du Sud : le manque d’eau et d’énergie. Il faut aussi favoriser les mobilités, aucun jeune, aujourd’hui, n’a envie de rester au même endroit, il faut dans ce cadre améliorer la reconnaissance des diplômes ». Il avoue : « J’ai passé ma vie au sein des Institutions, chaque fois qu’elles ont changé de comportement c’est parce que cela leur avait été imposé. Alors maintenez la pression sur les institutions et elles évolueront ».
« 75 millions de jeunes du monde cherche un emploi »
La Grecque Alexia Kalaitzi, « Les Sociétés Unies des Balkans » insiste sur l’importance de l’emploi « celui des jeunes est un véritable défi lorsque l’on sait que 75 millions de jeunes du monde cherchent un emploi et qu’ils sont 4 millions de plus qu’en 2007. Ils connaissent le stress, les tensions, l’abattement. Les conséquences du chômage sont également sociétales. On le voit, en Grèce, avec l’arrivée à l’Assemblée, d’un parti néonazi qui est rejoint par de nombreux jeunes chômeurs ».
Jean-Louis Reiffers, École de la 2e chance, est universitaire, il a formé des générations entières d’étudiants en économie. Il explique « Je suis d’origine luxembourgeoise, j’ai passé une partie de ma jeunesse en Allemagne et je suis tombé amoureux de la Méditerranée. Et nous avons là deux mondes magnifiques mais différents ». Une fois cela posé, il considère : « La situation est incertaine en Méditerranée. L’avantage qu’il y a à cela c’est que l’avenir étant indéterminé on peut en faire ce que l’on veut ». Selon lui « nous sommes sortis d’une période où nous avions une vision très classique, basée sur le libre -échange, l’ouverture au privé. Nous avons tous proposé cela, moi le premier et tout cela manquait de corps, de romantisme. La Méditerranée, c’est une forme de romantisme, une distance face à l’argent, une volonté de paraître, la famille, la place de l’enfant en son sein, c’est l’exact contraire du monde germanique ».
Puis de plaider pour une vision et des projets.« Je ne vois pas comment une vision ne pourrait pas concerner la jeunesse sachant qu’en Méditerranée 40% de cette dernière participe à la population active, soit le taux le plus bas au monde. Nous avons également le plus fort taux de chômage de diplômés. Comment ne pas voir qu’il y a là des risques considérables si on ne fait rien ? On ne peut pas laisser un jeune entre 18 et 25 ans sans rien, avec un taux de chômage entre 40 et 50%, c’est pourtant le cas dans les quartiers Nord de Marseille, sans avoir besoin d’aller chercher la rive Sud. C’est pour cela que l’école de la 2e chance a vu le jour ».
« Aujourd’hui on ne donne pas de vision et on fait du micro-crédit »
Il explique : « Nous sommes dans une société où on crée des diplômés dont le but est d’entrer dans des administrations et ceux qui ont des compétences, mais qui ne savent pas bien parler, sont abandonnés. Or, pour moi, celui qui a 19 quelque part et 0 partout ailleurs et aussi important que celui qui est formaté pour passer des diplômes, c’est à dire avoir 10 partout. Mais ce discours ne plaisait pas. Nous avons créé des écoles qui fonctionnent sur des bases différentes, où les professeurs ont des plein temps et où l’on travaille sur les compétences de base : math, bureautique, anglais et français. Après, il faut des résultats, 3 000 entreprises sont en lien avec nous et nous avons 60% d’insertion. Aujourd’hui nous avons 70 écoles en France, 90 avec le reste de l’Europe et nous travaillons avec le Maroc, la Tunisie, la Jordanie…Il faut avancer car on ne peut pas vivre avec deux mondes, un riche, l’autre qui crève la faim. C’est vrai au Sud, cela l’est aussi à Marseille ».
Il analyse ensuite : « En Algérie, la mouvance intégriste est au tour de 20%, au Maroc, les évolutions en cours permettent une stabilité. Il reste la Tunisie et l’Égypte. Au lieu de jouer à minima les équilibres politiques, au lieu de se faire piéger dans des débats sur le voile, la place des femmes… il faut dire à la jeunesse que vous allez lui donner accès à tous les savoirs comme le faisait le monde arabe entre le 8e et le 13e siècle, un monde qui comptait les plus grands mathématiciens, qui traduisait les philosophes grecs, qui offrait une société totalement ouverte. Les révolutions ont été faites, très bien, il faut maintenant offrir à la jeunesse l’accès à toutes les cultures, donner tous les moyens pour les aventures culturelles et économiques ». Puis de déplorer : « Aujourd’hui on ne donne pas de vision et on fait du micro-crédit »
Fathallah Sijilmassi reprend la parole en conclusion du débat : « Je suis contre le concept de deux rives de la Méditerranée, aujourd’hui la population, la jeunesse, devancent les Institutions. Il existe une société civile euroméditerranéenne puisqu’on compte 15 millions de gens originaires du Sud dans l’Union Européenne et, attention, contrairement à ce que l’on pourrait croire ils ne viennent pas dans le Sud, mais en Belgique, au Pays-Bas ».
Michel CAIRE