Publié le 11 novembre 2017 à 20h11 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Si David Foenkinos admire beaucoup Albert Camus, c’est du côté de ceux que l’on appelait dans les années 1950 «Les hussards de la littérature», à savoir Blondin, Nimier, Marceau, et Michel Déon, que tend son œuvre. C’est-à-dire une manière toute personnelle de parler avec légèreté de choses graves tout en racontant des histoires où se détache en filigrane une étude sociétale rigoureuse et acérée. Des histoires où s’imposent des portraits de femmes, toutes combattantes de la liberté d’exister pour soi-même. La présence de son frère Stéphane à ses côtés pour l’écriture des scénarios de leurs films renforce cette impression et trouve dans «Jalouse», leur nouveau long métrage, sorti le 8 novembre, une sorte de paroxysme. On rit beaucoup aux scènes souvent déjantées de cette comédie de mœurs qui met en scène une certaine Nathalie Pêcheux, professeure de lettres divorcée, mère d’une fille de 18 ans qu’elle protège et pourrit l’existence à la fois par la manifestation d’une jalousie maladive et compulsive. Chacune de ses actions étant un acte de guerre, Nathalie s’étiole, se fane, se rend malade et crée auprès des siens un trouble permanent. De l’aveu même des deux réalisateurs-scénaristes il y a un mélange de «Tatie Danielle» et de «Une femme sous influence» dans ce portrait de femme d’aujourd’hui, férocement tournée vers sa seule personne. La scène où son ex-mari et père de sa fille, campé par Thibault de Montalembert, découvre que Nathalie a fait annuler à son insu son voyage dans les îles programmé avec sa nouvelle compagne vaut à elle seule le détour. Il faut dire que le film bien rythmé, très écrit, et souvent émouvant trouve en Karin Viard, l’actrice principale du film, une comédienne d’exception dont la performance est ici continue. C’est elle la « Jalouse » qui nous fait sourire, hurler de rire, nous touche également par son mélange de fragilité et de force, et que l’on ne voudrait avoir ni pour amie, ni pour mère, ni pour voisine, ni comme cousine et encore moins collègue de lycée, mais dont on se dit au final qu’on la protègerait volontiers d’elle-même. C’est cela la magie de la narration des frères Foenkinos que de rendre le spectateur complice, et partie prenante du film. On saluera également la prouesse de Karin Viard dans ses changements d’humeur et surtout physiques où, grimée, et transformée au gré de ses crises et de ses «mauvaises actions» elle apparaît presque méconnaissable au fil des minutes. Connaissant leurs classiques les frères Foenkinos ont construit leur fiction comme une pièce de théâtre avec des scènes offrant aux personnages des répliques dignes de Marivaux et Beaumarchais. On songe à Molière surtout lors d’une «engueulade» mémorable entre Nathalie et l’une de ses collègues où les deux femmes s’envoient des horreurs dans un style très châtié et sans un cri, rappelant par là même l’affrontement mythique de Célimène et Arsinoé dans la première scène de l’Acte 3 du «Misanthrope». Voilà un film de qualité et très subtil, dont on ne sait si c’est une comédie ou un drame, on y perçoit et l’aspect comique et ses accents plus sérieux. Et, on en salue la légèreté et la profondeur. La marque très «Hussards» du récit, évoquée au début, est la griffe des deux Foenkinos.
Jean-Rémi BARLAND