Publié le 13 novembre 2017 à 17h41 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 17h47
Ce matin en ouvrant la presse, j’ai pris en pleine gueule ce chiffre pourtant aux formes et aux galbes agréables et n’inspirant que la douceur. Et pourtant en ce début de semaine il symbolisait un très profond malaise aux fonds abyssaux, un malaise récurent semblant laisser le citoyen lambda dans une profonde indifférence. Ils ont été huit, seulement huit à ne plus pouvoir avancer dans ce métier qui tue ceux qui le servent. Huit membres des forces de l’ordre se sont donnés la mort, seulement huit devrais-je dire puisque même cette litanie s’étant déroulée sur une seule semaine ne semble pas toucher l’administration.
J’ai quitté la police le premier septembre 2013 avec un goût amer de devoir le faire, d’être contraint de le faire pour ne plus pouvoir le faire. J’ai tout donné à ce métier, ma vie personnelle, sentimentale, sociale et même ma fonction de père que je n’ai que partiellement assumée pour aller lutter contre une délinquance qui me phagocytait. Je vivais un rêve, celui d’être au service d’une société que je ne savais pas ingrate, que je pensais reconnaissante. Lentement j’ai glissé vers les profondeurs d’un burn-out et ai failli moi aussi passer du côté sombre et laisser ceux que j’aimais dans la douleur. L’écriture m’a sauvé, les médias aussi…
Aujourd’hui le problème ne se pose plus pour moi ou du moins plus directement en ce qui me concerne. Je suis devenu le spectateur passif d’une situation dramatique s’alourdissant d’années en années. Les flics mettent fin à leurs jours avec une «facilité» déconcertante. Passif je ne sais pas l’être et je ne peux le rester que quelques minutes. Les combats ponctuent ma vie et même si j’en sors rarement vainqueur c’est sabre au clair que je repars à la charge et notamment lorsque l’ennemi est puissant. Cette fois encore il l’est puisqu’il s’agit d’une grande et vieille dame n’aimant pas être bousculée, ne souhaitant pas être secouée et encore moins être violée. C’est comme cela qu’il faut passer, c’est comme cela qu’il va falloir aller dans son antre pour la remuer et lui faire prendre conscience de son incapacité à admettre qu’elle est elle-même à l’origine de ces suicides.
Ma plume ce matin s’excite, elle s’agite pour retranscrire ma colère de voir tomber ces policiers sous leurs propres balles. Je sais que mes mots restent sans écho, je sais que certains s’en moquent mais je ne peux cesser d’écrire pour tenter d’enrayer ce phénomène. J’ai sollicité bon nombre de parlementaires de tous clivages, de tous horizons mais aucun n’a daigné s’emparer de ce combat. La plupart sont restés sourds à mes appels.
Alors ce matin je m’interroge en cherchant des mains tendues, des oreilles attentives pouvant s’arrêter quelques instants sur mes mots et s’en emparer pour le transformer en combat acharné. Mais une fois de plus je me heurte à des murs bien hauts, à des boucliers bien durs et froids comme l’acier et comme les visages fermés de ces hauts fonctionnaires frustrés bien incapables de verser une larme sur les cercueils drapés de tricolores.
Je les déteste de ne pas agir, je les vomis de les voir inactifs devant ce chiffre, devant une trop longue liste de casquettes percées par des projectiles de 9 mm. Je voudrais les voir réagir, je voudrais les apercevoir devant des caméras dé télévision pour une fois peut être hurler leur colère de voir passer à trépas ces femmes et hommes ayant cru en l’État.
Je les hais, je les déteste de ne plus être capables de penser humain avant carrière, je les vomis de les voir se congratuler dans des salons dorés alors que des familles patientent dans les couloirs sombres d’un service de pompes funèbres.
Je les déteste pour nier les larmes de veuves et les cris des enfants, j’exècre de les savoir assis dans leurs bureaux luxueux de la place Beauvau en lorgnant un déroulement de carrière prometteur dans l’ombre d’un ministre vieillissant.
Je suis maintenant fatigué d’espérer les voir réagir, d’ailleurs je n’espère même plus les voir comprendre les véritables maux d’une institution moribonde qu’ils ont été incapables de redresser. Ils ignorent même les conditions déplorables de travail de la troupe, ils feignent de ne pas comprendre les conséquences désastreuses d’un management minable, ils ne savent même pas que le flicard souffre au quotidien de n’être pas reconnu par son officier et son commissaire.
Je voudrais entrer en force dans ces bureaux, je voudrais briser les portes et les anathèmes m’empêchant de les empoigner pour les secouer jusqu’à ce qu’il commencent à comprendre un peu ce qu’est un flic, comment il raisonne et comment il fonctionne. Ils n’en savent rien !
Alors moi ancien flic de rue, ancien poulet de terrain je veux, à la manière d’un procureur de la République, porter accusation et désigner de mon doigt vengeur les vrais responsables de cette liste de suicides.
J’accuse donc les politiques conduites depuis de nombreuses années qui ont délaissé les flics sur le bas côté d’une route isolée.
J’accuse encore les différents ministres de l’intérieur tous carriéristes et ignorant des réelles difficultés du terrain.
J’accuse le management inhumain …
J’accuse les primes aux mérites …
J’accuse …
Je suis fatigué d’accuser, moi il m’ont déjà condamné …