Publié le 13 décembre 2017 à 14h34 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Le linguiste Claude Hagege prend la parole, en arabe, hébreu, italien, espagnol, grec, et explique: «J’ai souhaité faire entendre les voix qui raisonnent autour de la Méditerranée depuis bien longtemps» avant de considérer, en anglais, que cette langue «ne favorise pas la diversité des langues, elle y fait obstacle». Souligne que «ce qui nous menace ce sont des guerres si on ne prend pas en compte la défense et même la promotion des cultures et des espèces vivante (…). L’avenir, c’est la diversité, sa promotion, sa défense et la lutte contre ce qui la mettrait en péril»… Il s’agit là de l’un des nombreux temps forts de la manifestation « Méditerranée du futur », organisée par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur lors de laquelle il fut question d’environnement, d’éducation, de culture, bref de politique au sens noble du terme. Une manifestation voulue par Renaud Muselier qui considère: «Il nous faut partager une vision des enjeux climatiques en Méditerranée et nous fédérer pour construire, ensemble, une feuille de route pour la lutte contre le réchauffement climatique». Trois table-rondes et cinq ateliers ont rythmé cette première rencontre.
«Un continent de déchets 7 fois plus grand que la France»
Maud Fontenoy, navigatrice, vice-présidente de la Région, relate: «Lorsque, naviguant, on croise un continent de déchets 7 fois plus grand que la France, cela force à réfléchir. La mer souffre de surpollution, de surexploitation. Pourtant c’est d’elle que viennent les solutions, 22 000 médicaments en proviennent, elle contient nombre de trésors au rang desquels une partie des énergies du futur» Ihab Fahmy, ambassadeur, secrétaire général adjoint de l’Union pour la Méditerranée (UpM) plaide pour la construction d’une ville résiliente au réchauffement climatique. Note que, pour construire une réponse méditerranéenne aux questions environnementales, il existe un obstacle majeur, sur le plan macro-économique: «Cette région est la moins intégrée au monde. 90% du flux se fait au sein de l’Union européenne, 9% entre l’Union européenne et le Sud et 1% Sud-Sud». Dans ce contexte, il souligne que l’Union pour la Méditerranée œuvre à créer du lien entre les décisions politiques et leur traduction sur le terrain: «Nous sommes prêts à soutenir un agenda positif en nous appuyant sur le formidable potentiel existant en Méditerranée», assure-t-il. Le Liban, la Tunisie, montrent que ces pays, malgré les difficultés auxquelles ils peuvent être confrontées, n’en mènent pas moins une politique de réduction des gaz à effet de serre et de développement des énergies renouvelables. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence Française du Développement prend acte de toutes les initiatives qui voient le jour. «On peut fabriquer des coalitions d’acteurs: collectivités territoriales, entreprises, société civile, chacun renforçant l’autre. Et le leadership de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est particulièrement important».
«Nous réussirons ensemble ou nous échouerons tous»
Caroline Pozmentier-Sportich, vice-président de la Région en charge de l’international ouvre la deuxième table-ronde. «La Méditerranée du futur n’a pas d’autre solution que collective. Nous réussirons ensemble ou nous échouerons tous», indique-telle. Et se prononce pour «la mise en commun des bonnes volontés afin de créer une Méditerranée intelligente et connectée» Et de conclure en citant Gabriel Audisio, poète, romancier et essayiste. «Si la France est ma nation, si Marseille est ma cité, ma patrie, c’est la mer, la Méditerranée, de bout en bout». Le professeur Henry Laurens, titulaire de la Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France rappelle: «La Méditerranée a toujours muté, changé et ce serait une erreur de croire que les paysages antiques sont ceux que nous connaissons». Il évoque l’impact du refroidissement climatique qui, à partir du XVIe siècle a duré 3 siècles: «Cela a conduit à l’abandon des espaces bas, une remontée pour se protéger des inondations». Arrive 1830: «La fin de l’insécurité. La mer devient pacifiée. C’est aussi le moment où les savants européens inventent la notion d’une écologie méditerranéenne. (…). C’est la fin de l’âge glaciaire, le début de la reconquête littoraux». La culture méditerranéenne de l’ombre se transforme en celle du soleil. «Et, cette mer, prévient-il, tend aujourd’hui à devenir une barrière, parfois mortelle». Nicole Bacharan, politologue, chercheuse associée à l’université de Stanford revient sur le Sommet de Bonn qui vient de se dérouler: «Il y avait la délégation officielle américaine selon laquelle on ne sait pas si l’activité humaine a un impact sur le climat. Une délégation officieuse qui tenait un autre discours et des diplomates qui négociaient ». Une Amérique éclatée, dont une partie des élites nie la science.
«Participer à la création de la grande université méditerranéenne»
Yvon Berland, président d’Aix-Marseille-Université (AMU), plaide pour une Méditerranée de partage: «et il ne se fera que par le partage des reconnaissances». D’afficher sa volonté de participer à la création de la grande université méditerranéenne: «Ce qui veut dire des échanges d’étudiants, de professeurs, aller jusqu’à des diplômes communs». Le propos de Michel Vauzelle, l’ex-président PS de région est bien moins optimiste: «Honte à l’Europe de ne pas être présente aux côtés de la Sicile, de la Grèce, pour l’accueil des migrants. L’Europe et la France, en particulier, prétendent avoir une image morale, se permettent de donner des leçons au reste du monde sans voir que leur rejet de l’Autre écorne cette image». Et d’inviter, une nouvelle fois, à mesurer, qu’au-delà de la question morale: «Notre avenir est au Sud, dans un espace euro-africain». Et de proposer la mise en place d’un 5+5+5 (cinq pays européens, cinq du Maghreb et cinq d’Afrique. Michel Vauzelle n’en reste pas au constat, il fait également des propositions: «On peut avancer sur la formation professionnelle et on doit réfléchir au droit de l’Homme à sa sécurité, notamment environnementale et au droit de l’Homme à sa culture pour faire de la mondialisation un mouvement de fraternité et d’enrichissement mutuel et non d’appauvrissement». Pour Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France en Tunisie: «Il y a des savants sur tout le pourtour méditerranéen, de grandes universités, mais il faudrait un lieu permanent pour inscrire cette Méditerranée de la connaissance». Et d’ajouter: «Les artistes, les créateurs, ont aussi leur rôle à jouer car la Méditerranée est un des endroits les plus créatifs au monde».
Blanca Moreno-Dodson, Maria Snoussi et Patricia Ricard évoquent enfin les enjeux de la Méditerranée du futur. L’ancienne ministre Corinne Lepage signale qu’une évolution juridique est en cours avec des associations portant plainte contre des inactions de l’État. Patricia Ricard, présidente de l’Institut océanographique Paul Ricard avance: «On pourrait décider d’obliger que tout ce qui se fabrique n’ait aucun impact sur les océans». Blanca Moreno-Dodson, directrice générale du centre pour l’intégration en Méditerranée propose «d’éliminer les subventions aux énergies qui ne sont pas renouvelables». Maria Snoussi, présidente du Conseil scientifique de l’institut de recherche pour le développement rappelle:«Les politiques ont besoin d’une science robuste, indépendante, qui s’engage pour trouver des solutions, pour coconstruire avec les politiques, la société, de nouvelles trajectoires de développement».
Michel CAIRE
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