Publié le 5 janvier 2018 à 18h42 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Du jamais vu depuis 2009, les Iraniens sont dans la rue défiant le régime, alors qu’il y a peu les Mollahs revendiquaient la victoire sur Daesh et la création d’un corridor chiite, allant de Téhéran à la Méditerranée. Après les multiples ingérences de la République islamique d’Iran chez ses voisins, est-ce le retour du boomerang téléguidé de l’extérieur ou assiste-t-on aux prémices d’un printemps perse?
Revendications sociales mais également contestation politique
En une semaine, les manifestations ont fait plus d’une vingtaine de victimes et ont conduit à des centaines d’arrestations. Ce ne sont plus uniquement les Kurdes iraniens qui descendent dans la rue, ni les femmes rejetant le port du voile. Tous les secteurs de la société sont concernés et l’on assiste à de véritables scènes d’émeutes avec l’attaque des symboles du pouvoir. Si dans leur majorité les manifestants exigent de meilleures conditions de vie et la fin de la corruption, ont été scandées également de virulentes critiques à l’encontre de la politique menée par le gouvernement. Devant l’ampleur du phénomène, les autorités prises au dépourvu tentent de brider les réseaux sociaux ou d’organiser des contremanifestations pro-régime.
Une déstabilisation téléguidée de l’extérieur?
Le « Président modéré », Hassan Rohani et le guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, le véritable détenteur du pouvoir, voient une main extérieure manipulant les manifestants et accusent en premier lieu les USA, Israël et l’Arabie Saoudite. Il est vrai que le locataire de la Maison Blanche ne porte pas dans son cœur la théocratie chiite qu’il qualifie de « régime brutal et corrompu ». Quant à l’État Hébreu, il ne verrait pas d’un mauvais œil la disparition d’un pouvoir appelant régulièrement à sa destruction. En ce qui concerne le nouvel homme fort de Riyad, le prince héritier Mohamed Ben Salman, on imagine aisément que tout ce qui pourrait affaiblir l’ennemi chiite ne serait pas pour lui déplaire. Cependant, c’est oublier un peu vite qu’il existe des raisons objectives au mécontentement populaire.
Les Iraniens ne comprennent pas, dans une période de sanctions économiques, que des sommes astronomiques soient englouties par leurs dirigeants dans des conflits extérieurs alors que sur place la population se voit privée de l’essentiel. Le peuple iranien conçoit également une rancune tenace à l’égard des gardiens de la révolution, l’armée d’élite du régime qui détourne l’appareil militaro-industriel, bloquant ainsi le développement économique du pays. Enfin, la dictature religieuse est rejetée par la majorité. Les plus vieux ont été spoliés d’une révolution qu’ils ont faite pour mettre fin à la monarchie iranienne en chassant le Shah Mohammad Reza Pahlavi. Et les plus jeunes aspirent à un mode de vie dont les valeurs sont plus proches de l’occident que du modèle archaïque prôné par les Mollahs.
Le corridor chiite, autoroute ou voie sans issue?
Pour étendre son influence et réaliser son rêve d’un « croissant chiite » au Moyen-Orient, la République islamique d’Iran s’est ingérée dans les affaires intérieures de ses voisins en soutenant les populations chiites au détriment des sunnites majoritaires, et des autres communautés. C’est ainsi qu’ont pu voir le jour le Hezbollah au Liban, véritable État dans l’État, ou les Houthis au Yémen. Ces milices servant la politique de Téhéran agissent comme de véritables armées en intervenant directement dans les conflits comme en Syrie, ou en déclenchant la guerre comme en 2006 contre Israël. La victoire sur Daesh a permis à l’Iran de créer une continuité territoriale, allant de Téhéran à la Méditerranée. Cependant, pour assoir cette hégémonie régionale, le prix à payer a été exorbitant. Non seulement il a fallu détourner la majorité des ressources d’un pays vivant sous le régime des sanctions internationales, mais les pertes humaines ont été telles que le pouvoir a dû camoufler les cercueils revenant du front syrien. Mais, grâce à cet axe, l’Iran espère renforcer son emprise régionale en faisant transiter des forces et des moyens, ainsi que de trouver de nouveaux débouchés pour sa production en hydrocarbure via un ou plusieurs pipelines.
Cependant, cette victoire, n’est qu’apparente car sans les forces russes d’un côté et la coalition américano-kurde de l’autre, Daesh sous sa forme étatique n’aurait pas été défait. De surcroît, pour assurer la sécurité d’une aussi vaste étendue, il faudra toujours plus de moyens, sinon ce corridor subira le même funeste sort que le gazoduc du Sinaï pour l’Égypte, – victime d’attaques terroristes incessantes -, avec la perspective de transformer l’ « autoroute chiite » en voie sans issue.
Vers la fin du régime des Mollahs?
La modestie de la couverture médiatique accordée aux manifestations en Iran ne cesse d’étonner surtout si l’on compare à ce qui a prévalu pour les printemps arabes ou ce qui se passe pour Israël où le moindre frissonnement donne lieu à pléthores de dépêches et de reportages. Pourtant il s’agit d’un pays majeur du Moyen-Orient, peuplé de 82 millions d’habitants et sa déstabilisation ne serait pas sans conséquence majeure pour la région toute entière.
La structure complexe du pouvoir et les rivalités internes, en particulier sur fond de succession du Guide suprême, sont autant de variables qui rendent difficiles toute prédiction. Mais ce dont on peut être certain, c’est que ni les Ayatollahs ni les Pasdarans, les gardiens de la révolution islamique, ne quitteront aisément le pouvoir. Le pire est donc à craindre tant en interne qu’à l’extérieur. Aussi, doit-on s’attendre à une répression féroce si la mobilisation ne faiblit pas, et au déclenchement d’un conflit extérieur pour détourner l’attention. En l’occurrence, Israël serait un bouc émissaire bien pratique. C’est la raison pour laquelle un réchauffement du front libanais via le Hezbollah ou de Gaza avec le Hamas, en panne dans le processus de réconciliation avec l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas, sont plus que jamais d’actualité.