Publié le 17 janvier 2018 à 20h39 - Dernière mise à jour le 9 juin 2023 à 21h56
« Tout ce que vous voulez », pièce signée Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, est une machine de guerre ! Les mots tombent, les situations s’enchaînent, les répliques fusent, et on y applique à la lettre ce principe énoncé par un des personnages : «Au théâtre, le dialogue c’est pas du bavardage, c’est de l’action.» Après «Le prénom» et «Un dîner d’adieu», les deux auteurs nous offrent avec «Tout ce que vous voulez», que l’on peut voir jusqu’à dimanche au Théâtre du Gymnase une comédie puissante, drôle, émouvante, rythmée, intelligente, tendue à l’extrême, et d’une efficacité redoutable. Un spectacle qui fait aimer la vie et qui rend heureux. Les deux complices en écriture étant au théâtre ce que sont au cinéma Eric Toledano et Olivier Nakache (les réalisateurs d’«Intouchables», et «Les jours heureux») : des faiseurs de joie qui ont «le sens de la fête» et qui ont assimilé que l’on peut faire rire sur des sujets sérieux. Après la famille («Le Prénom») et les amis (« Un dîner d’adieu»), nos deux compères s’attaquent au couple. Vaste programme traité comme le feraient Pirandello et Molière par un jeu de «théâtre dans le théâtre». Dramaturge Lucie Arnaud, enfance à la Zola (on verra pourquoi), rentre en contact, par fuite d’eau interposée, à son voisin du dessous un certain Thomas Moreau, enfance très «Spirou», sans éclats de voix avec harmonie en bandoulière et barbecues à Chatenay-Malabry, cité paisible immortalisée par Vincent Delerm dans l’une de ses chansons. Venant réclamer des comptes quant à son salon inondé par sa charmante écrivaine, notre bonhomme se voit reçu comme un chien dans un jeu de quilles, Lucie dégainant son carnet de chèques prête à tout rembourser du moment que celui qu’elle qualifie d’intrus rejoigne son intérieur-piscine. Bien sûr, les choses n’en resteront pas là, et Lucie, en panne d’inspiration quant à la rédaction de sa nouvelle pièce où son mari Daniel Ferrand, acteur à succès est parti prenante.
Assistance à auteur en danger
S’ensuit un dialogue nourri de moult éclats de voix au départ, puis fait, au fur et à mesure, d’échanges complices où chacun dévoilera une part de sa vie intime passée et de ses souvenirs (Thomas évoquera sa femme morte d’un cancer), où il sera démontré au final qu’«être auteur, c’est être libre». Joyeuse comédie sur fond de mélancolie et de douleur rentrée, «Tout ce que vous voulez» pourrait s’appeler «Assistance à auteur en danger». Mais, il est parfois risqué de porter secours à un dramaturge en détresse d’inspiration. Celui-ci étant comme un romancier un pilleur de vies, on peut retrouver ensuite ses propos retranscris dans sa pièce, tout comme le voir utiliser les moments passés avec lui dans l’une des scènes de sa comédie. Avec brio, Arnaud de la Pattelière et Matthieu Delaporte jouent avec ces codes, et nous promènent dans une histoire d’amour à retardement, truffée de mots d’auteur, de situations burlesques, et de poésie. Un récit, plus profond qu’il n’y paraît, qui s’apparente à bien des égards aux meilleures comédies de Billy Wilder. C’est dire à quel niveau on se situe ! En revanche si la mise en scène de Bernard Murat ne brille pas par son aspect révolutionnaire, (c’est solide mais pas surprenant), l’absence de prise de risques est contrebalancée au final par une ingénieuse présentation de ce «théâtre dans le théâtre» qui est un des moteurs de la narration. Avec en prime un beau décor signé Nicolas Sire et une musique additionnelle très somptueusement glamour que l’on doit à Benjamin Murat.
Bellissima Bejo et exceptionnel de Groodt
Et puis il y a les acteurs ! Au diapason et en parfaite adéquation avec le texte. Dans le rôle de Lucie, Bérénice Bejo, d’une beauté parfaite, imprime au fil des minutes à son personnage une densité dramatique des plus troublantes. Pas forcément très à l’aise au début, l’actrice nous éblouit par la suite. Parfait de bout en bout, faisant de son personnage d’amoureux qui ne veut pas trop le montrer un être fragile dans la lignée de ceux de la Commedia dell’arte ou de Beaumarchais, Stéphane de Groodt, par Thomas interposé, arrive à nous renverser l’âme. Sa gestuelle, sa manière de se déplacer, ses regards échangés avec Bérénice Bejo apportent densité, et le comédien est tout simplement prodigieux dans la manière de faire entendre… les silences. «Si l’amour porte des ailes, n’est-ce pas pour voltiger ?», écrivait Beaumarchais repris en cela par Jean Renoir au début de «La règle du jeu». Parfaitement d’accord ! Et ici c’est le spectateur qui s’envole !
Jean-Rémi BARLAND
« Tout ce que vous voulez » au Gymnase de Marseille: jeudi 18 janvier à 20h30 – vendredi 19 janvier à 20h30 – samedi 20 janvier à 15h et 20h30 et le dimanche 21 janvier à 15h. Plus d’info et réservations – lestheatres.net