Publié le 19 janvier 2018 à 11h57 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
On a toujours la dent dure avec les productions qui mettent en scène les super-héros de DC Comics. Ils apparaîtraient boursouflés et trop «premier degré» par rapport aux blockbusters Marvel. Ce jugement est assez injuste, largement infondé !
Ce qui est vrai, c’est que l’architecture symbolique et littéraire de l’univers DC ressort plus nettement que celle de son concurrent. Les archétypes sautent aux yeux : Superman emprunte à Hercule, à Prométhée et au Christ, Batman puise dans Zorro, The Shadow et le mythe du «chevalier noir» (disons l’anti-héros), Flash renouvelle le dieu Hermès, Wonder Woman est une amazone, Aquaman fait resurgir la légende de l’Atlantide, et Cyborg pointe en direction du Golem et de la créature du docteur Frankenstein ! Cela ne veut pas dire que Marvel ignore ces héritages culturels. Rappelons rapidement que Daredevil n’existerait pas sans l’imaginaire judéo-chrétien, qu’Iron Man s’abreuve dans le fleuve de l’histoire chevaleresque, que Thor est un dieu du panthéon scandinave, et que Captain America incarne une nation…
Ce qui différencie en réalité les deux mondes réside dans la contextualisation des personnages. Marvel fit le choix plus rapidement que la maison d’en face de mettre en avant narrativement la vie privée de ses personnages et de montrer l’impact sur celle-ci des évolutions sociétales. Pour être parfaitement clair, on voit bien dans les aventures des super-héros de la «maison des idées» que la psychologie de chacun est travaillée par l’environnement social et que des conséquences directes en découlent sur l’existence super-héroïque.
Toutefois, on constate également chez DC la résonance des révolutions mentales et culturelles intervenues durant les Trente Glorieuses. Il suffit d’analyser les personnages de Wonder Woman et Lois Lane (la collègue puis l’épouse de Clark Kent, alias Superman) pour s’en convaincre : les récits témoignent de l’évolution de la condition féminine sur soixante ans. On peut encore citer l’exemple de Green Arrow découvrant l’addiction à la drogue de son jeune partenaire. La différence vient de l’exploitation scénaristique et graphique.
On sent moins automatiquement chez DC l’influence sur les personnages de ce qui échappe à leur statut héroïque (même si cela est présent comme arrière-plan matriciel: on ne peut pas comprendre Batman en faisant l’impasse sur le fait que Bruce Wayne a perdu ses parents, tués par un criminel). D’où sans doute une moindre facilité d’identification pour le lecteur et la sensation que l’humour et le second degré échappent aux hommes et femmes masqués de DC. Rien de comparable en effet aux blagues de Spiderman en plein affrontement avec Electro ou le Docteur Octopus !
Pour autant, les deux galaxies de comics reflètent la vie de nos sociétés et leurs métamorphoses capitales. Seul le style diffère. De surcroît, DC n’a cessé de travailler l’accessibilité de ses personnages.
Que retenir par conséquent de Justice League ? Que Zack Snyder remplit le contrat et que l’on regarde les aventures de la Ligue des Justiciers avec plaisir, mais aussi que l’aspiration sociale à la survie du modèle héroïque est puissante. Dans une époque faussement cynique, où il faut faire semblant de rire de tout, d’ironiser à chaque instant et de paraître revenu de n’importe quel idéal (au profit d’une vague aspiration aux «valeurs», à l’éthique, et surtout au politiquement correct, qui est à la tolérance ce qu’est Tartuffe à la sincérité…), ce film (comme les précédents blockbusters DC) révèle une fois de plus que nos contemporains rêvent de figures emblématiques capables de transcender le nihilisme du début de siècle, pour orienter le regard de chacun vers des horizons plus enthousiasmants que le paradis consumériste et digital que l’on veut nous faire passer pour le nec plus ultra de nos ambitions individuelles et sociales.
Alors oui, il faut interpréter l’alliance des surhumains légendaires (venus de l’âge d’or des comics) formée pour faire échec à Steppenwolf, représentant du chaos et de la tyrannie, comme une expression culturelle de la hantise du déclin de la sphère occidentale, et aussi comme une symbolisation de notre besoin de dirigeants responsables et de modèles susceptibles de faire rêver ou d’inspirer. Nul doute que ce n’est pas une mode mais une espérance persistante…
Eric DELBECQUE est l’auteur de : Les super-héros pour les nuls (First)