Publié le 22 août 2013 à 17h48 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h12
Les journées d’été des écologistes à Marseille s’ouvrent à peine qu’elles offrent une première image forte, symbolique : le public et la tribune sont debout pour applaudir Basma Khalfaoui, avocate et militante des droits humains, membre du Comité Central du parti des Patriotes de Tunisie, veuve de l’opposant Chokri Belaïd, assassiné en février 2013. Elle participe, avec Pascal Boniface, Institut des relations internationales et stratégiques et l’eurodéputée Eva Joly, à la première plénière qui porte sur « Méditerranée: naissance d’un autre monde ? ». Un débat animé par Françoise Alamartine, membre du bureau exécutif d’EELV, chargée de l’International.
« Le 6 février 2013, le jour où a été assassiné devant chez moi Chokri Belaïd, mon compagnon, le père de mes deux filles, mon ami, mon camarade »
« Je viens d’un Pays voisin, que vous connaissez, qui a beaucoup souffert, en silence, sous Ben Ali », rappelle Basma Khalfaoui. « Nous avons pu alors bénéficier d’une solidarité de citoyens, d’associations, de partis politiques français ». Elle poursuit: « Je viens vous parler de ce Pays en 2013, de février 2013, du 6 février 2013 jour où a été assassiné, devant chez moi, Chokri Belaïd, mon compagnon, le père de mes deux filles, mon ami, mon camarade. En Tunisie, en 2013, on assassine par balles, et, malheureusement, cela ne c’est pas arrêté le 6 février. Le 25 juillet un autre assassinat a eu lieu. Voilà, trois ans après la révolution, on tue en Tunisie, pays dans lequel on s’est battu pendant plus de trente ans pour la démocratie. Et nous avons un gouvernement, démocratiquement élu, c’est vrai mais qui a aidé à ce que la Tunisie soit en déclin à tous les points de vue, qui met en place, n’ayons pas peur des mots, un régime fasciste, qui fait tout pour que la Tunisie s’effondre». Elle précise: « Nous sommes face à un gouvernement sourd et muet qui n’écoute rien, ne voit rien, si ce n’est qu’il n’entend que les ordres du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Si ce n’est qu’il incite à la haine et à la violence ».
Puis d’indiquer que, depuis le 25 juillet, la place du Bardo, à Tunis, est devenue le lieu de rassemblement de l’opposition à Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, dirigé par Rached Ghannouchi. « Tous les jours, de manière pacifique, nous disons au gouvernement de partir. Le 6 août, à l’occasion des six mois de la mort de Chokri Belaïd, c’est un référendum grandeur nature que nous avons organisé, et 300 000 tunisiens ont dit « dégage !» au gouvernement. Le pouvoir n’a pas écouté. Le 13 août, à l’occasion de la Journée de la femme en Tunisie, nous étions encore plus de 150 000 à dire au gouvernement de partir, que nous n’avions pas besoin de ces terroristes ». Basma Khalfaoui de préciser: « Nous ne voulons pas que le gouvernement parte pour que nous le remplacions. Nous voulons qu’il soit remplacé par des technocrates jusqu’aux élections. Et on va, pacifiquement, continuer le combat. Je vous promets que nous ne baisserons pas les bras ».
« Aujourd’hui, on massacre en Égypte, la Syrie sombre dans la guerre civile »
Pascal Boniface note: « Voilà deux ans, il était question d’espoir dans cette partie du monde. Aujourd’hui, on massacre en Égypte, la Syrie sombre dans la guerre civile. Assad peut réussir son pari de transformer une révolution en guerre civile, d’imposer une logique selon laquelle il n’y aurait que lui ou le djihadisme. Et les militaires égyptiens tentent de faire de même ».
Selon lui: « Il faut refuser ces choix binaires. Bien sûr qu’il fallait lutter contre les Frères Musulmans en Égypte, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut accepter un coup d’État et les violences qui ont suivi. Ils avaient perdu leur légitimité car ils n’apportaient pas de réponses politiques à la hauteur des enjeux. C’est politiquement qu’ils devaient être battus. Là, la répression va leur redonner une légitimité, va les pousser au terrorisme. Et que fait l’Europe ? Elle n’a pas à se déterminer en fonction du Qatar ou de l’Arabie Saoudite ».
Il lance: « Le même jour, nous avons appris la libération de Moubarak et la condamnation à 35 ans de prison de Edward Snowden. Si ce dernier avait été russe ou chinois, l’Occident en aurait fait un héros. Là, nous l’avons laissé tomber ».
Il revient à la Tunisie: « Elle est aujourd’hui un symbole pour la Méditerranée, d’abord parce que c’est le seul pays où ait eu lieu une véritable révolution. Ensuite parce que le peuple résiste, se bat. C’est dur, des tragédies se produisent, mais j’ai confiance dans le peuple tunisien. Il ne pourra y avoir de retour en arrière. On a pu croire que le printemps arabe aurait un effet domino sur les autres pays. C’était une erreur, il y a 22 situations différentes. Mais ce qui est vrai c’est que le temps du monopole des États sur l’information est révolu. Et même des États autoritaires tels la Chine ou la Russie doivent tenir compte de l’opinion publique. Alors, des mouvements sont lancés, bien sûr, des régressions peuvent se produire. Nous sommes bien placés pour le savoir, notre Révolution ne s’est pas faite en un jour ».
Il conclut: « Le temps de l’ingérence est révolu, mais entre l’ingérence et l’immobilisme il y a de la place pour l’accompagnement, l’aide, l’accueil aux peuples en marche vers la démocratie ».
Eva Joly salue « le courage des femmes tunisiennes qui résistent aux intégristes qui recommencent à parler de polygamie, qui trouvent que le mariage des filles dès l’âge de 13 ans n’est pas une mauvaise idée. Mais les femmes tunisiennes résistent. Tandis qu’un mur de cadavres ne cesse de s’élever en Tunisie. Tandis qu’un coup d’État militaire vient de se dérouler en Égypte. Tandis qu’en Afghanistan, au Pakistan, mais aussi au Mali, en Libye les Djihadistes sont très actifs ».
« Je propose la tenue d’Assises méditerranéennes de l’écologie cet automne à Marseille »
Elle en revient à la Tunisie: « Il faut que le gouvernement comprenne qu’il a été élu pour voter la Constitution. Or, il y a trop longtemps que l’on discute de cette dernière, sans jamais aller au vote et, sans s’occuper des crises sociale, économique, écologique. Alors oui, il faut aider les forces démocratiques qui luttent pour la démocratie. Il faut aussi aider à récupérer les sommes détournées par Ben Ali et qui sont toujours dans les Banques Européennes. Il faut revoir la dette, aider la Tunisie dans ses négociations avec le FMI pour qu’il n’impose pas de nouvelles privatisations ». De par l’urgence de la situation, Eva Joly propose: « La tenue d’Assises méditerranéennes de l’écologie cet automne à Marseille. Et je propose d’autre part la constitution d’une Commission internationale de juristes pour suivre l’instruction du meurtre de Chokri Belaïd afin de vérifier que rien n’est laissé dans l’ombre».
Michel CAIRE