Publié le 1 mars 2018 à 9h59 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
La charge d’Emmanuel Macron et de son gouvernement contre les cheminots pour privatiser la SNCF est injuste, méprisante et dangereuse de la part de celui qui se dit être le Président de tous les Français et le capitaine d’une «France forte».
Sous couvert d’une réforme nécessaire, après avoir organisé ces derniers mois toute une campagne de dénigrement de la SNCF, la charge conduite par l’exécutif est injuste. En effet ces serviteurs zélés de la finance au pouvoir, escamotent volontairement les vraies causes des dysfonctionnements du système ferroviaire français : suppression de 40 000 emplois de cheminots ces quinze dernières années, sous-investissements chroniques pour la rénovation des lignes, intérêts colossaux versés aux banques (1,7 milliards d’euros chaque année) au titre des emprunts, casse de l’unicité de la SNCF qui est devenue incohérente depuis 1999 avec la création de RFF (Réseau Ferré de France) pour récupérer la dette de la SNCF, sans jamais la résorber. Elle reste une dette de l’État, propriétaire de l’entreprise nationale.
Cette stigmatisation est méprisante car en pointant du doigt les cheminots, en les opposant aux autres salariés et travailleurs, aux paysans, aux précaires, ce pouvoir piétine des générations d’hommes et de femmes qui ont permis à la France de se développer économiquement, industriellement, socialement. Une corporation qui a construit le réseau ferroviaire le plus performant au monde, qui a inventé le TGV et ses records de vitesse, qui a permis un développement sans pareil des territoires urbains et ruraux, qui s’est opposée aux nazis et aux collabos de Vichy. Cette corporation qui fait que par tous les temps, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, nous puissions nous déplacer en toute sécurité. Cette corporation qui, par son mouvement social de 1995, a, pour une part, participé à la prise de conscience citoyenne sur les questions environnementales et écologiques, et ainsi entraîné une politique de développement des TER dans toutes les régions. Ainsi, aujourd’hui, en quoi supprimer le statut des cheminots permettra-t-il une amélioration de la qualité du service ferroviaire ?
Cette attaque est dangereuse. Cette méthode vise à tirer tout le monde vers le bas, vers la médiocrité, vers la concurrence, l’écrasement de l’autre au lieu du dépassement en se bonifiant. Pour les libéraux, ne plus avoir de statut permettrait une soi-disant souplesse. Pourquoi ne pas être sincère et annoncer que le but est la recherche d’une plus grande corvéabilité, pour une productivité exacerbée et une nouvelle accumulation de profits financiers ?
Présenté comme un privilège dépassé au regard du chômage, de la précarité, le statut devrait au contraire être une garantie indispensable pour tous les travailleurs. La garantie pour travailler efficacement, pour innover, pour prendre des risques sans craindre de perdre son emploi, pour passer d’un emploi à une formation et vice et versa.
Le statut des cheminots a ainsi permis l’efficacité de fonctionnement et de développement d’un système complexe. Pourquoi ? Souvent réduit à la simple mais importante garantie de l’emploi durant toute une carrière, le statut contient surtout une panoplie de droits et de devoirs. De droits, comme le droit à la formation continue (pour des métiers propres aux chemins de fer), le droit à un déroulement de carrière reconnaissant la qualification obtenue par des examens, des concours internes, par l’expérience, le droit à une protection sociale spécifique (régime spécial), le droit d’accès à la médecine de soins parallèlement à la médecine du travail qui garantissent la prévention de la santé et la sécurité au travail donc pour les usagers. Des droits qui sont des coûts, certes, mais que ne supportent pas les contribuables français comme l’avancent de manière mensongère, certains ministres. En effet, ces droits sont financés par du salaire différé, payés par des cotisations plus importantes que celles supportées par les autres travailleurs. Pas de cadeau donc ! Même avec la gratuité des voyages qui n’en est plus une, rognée par le paiement des réservations qui se généralisent.
Des droits pour attirer des salariés plus tentés pendant des décennies par le privé où les salaires étaient plus importants. Des droits pour compenser des devoirs et des engagements comme celui de servir le public en permanence avec toutes les contraintes qui en découlent. Mais le statut c’est aussi des devoirs pour accepter des conditions de travail propres à cette entreprise singulière. Des devoirs comme l’acceptation de la pénibilité au travail pour les métiers directement liés à la circulation des trains tellement mal payés, que la SNCF peine à embaucher des jeunes. Ainsi, la crise de manque de conducteurs que connait l’entreprise risque fort de s’amplifier, si demain le statut disparait.
Mais ne nous trompons pas, Macron et consort ne font pas d’erreur, en cassant le statut des cheminots par ordonnance, ils visent un symbole national de résistance -à l’instar des mineurs sous Thatcher- pour mettre à genou celles et ceux qui seraient tentés de relever la tête et de résister à la politique ultralibérale mise en œuvre. Ils cherchent la rapidité, la division et l’absence de débats parlementaires et citoyens. Ils refusent que vienne sur la place publique la vraie comparaison entre les entreprises ferroviaires européennes, comme celle qui permet de tirer les enseignements de l’échec de la privatisation des chemins de fer britanniques. Ils veulent empêcher que soit évoquée l’histoire des chemins de fer français qui a commencé par des Compagnies privées en 1823. Les mêmes Compagnies qui ont fait faillite dans les années 1930 pour arriver au sauvetage du ferroviaire avec la nationalisation et à la création de la SNCF en 1937 et au développement dans les années 1970-80 avec le TGV.
Le pouvoir veut aller vite et brutalement pour empêcher les convergences possibles entre les catégories en colère justifiée comme les soignants des hôpitaux et des EHPAD, les gardiens de prisons, les paysans, les salariés du privé en proie à des plans de licenciement, des fermetures d’entreprises…
Par cette contre-réforme, Macron va affaiblir l’industrie française, la recherche et l’innovation dans une activité qui est devenue fleuron mondial. Il créé les conditions de la privatisation de la SNCF avec pour conséquence la fermeture des lignes dites «secondaires» que les Régions n’auront pas les moyens de financer. Il s’attaque à un pilier de notre République : l’égalité. L’égalité des territoires par un service public national. Pire, il est incohérent avec tous ses discours et ses ambitions contre le réchauffement climatique. Il se range ainsi du côté du lobby routier, coûteux pour la société, polluant, encombrant, ce qui ne manquera pas de développer la thrombose routière déjà en route.
La SNCF appartient à la Nation. Sa réforme est nécessaire et urgente. Mais pour une réforme juste et efficace, le débat devra être citoyen, contradictoire et transparent, tirant les enseignements des ouvertures ratées à la concurrence comme pour le Fret. Une réforme qui assure la pérennité de l’entreprise nationale. Une réforme qui nécessite des moyens financiers importants dont l’appréciation de leur niveau devra se faire en terme d’efficacité sociale et environnementale et non pas en terme de rentabilité financière. L’argent existe. Encore faut-il avoir le courage politique de le prendre par justice fiscale, plutôt que de taper sur des lampistes !
A lire aussi de Jean-Marc Coppola, conseiller municipal de Marseille PCF-Front de gauche
–Lycée Simone Veil de Marseille (13e) : Un bel écrin pour apprendre et se souvenir
–Code du travail : mort sur ordonnances